Elle s’appelait Scorpion
(Joshû sasori: Dai-41 zakkyo-bô)

1972

Réalisé par: Shunya Ito

Avec: Meiko Kaji, Fumio Watanabe, Kayoko Shiraishi

Il est parfois des suites qui surgissent si rapidement à l’écran que le public associe les différentes déclinaisons comme un seul et même geste artistique, comme si le cinéaste avait pensé sa proposition en plusieurs parties mais habité d’une même démarche. La même année, 1972, que sa “Femme Scorpion” qui nous a personnellement récemment émerveillé, Shunya Ito dégainait “Elle s’appelait Scorpion” qui s’inscrivait directement dans la continuité du destin cruel de la prisonnière Matsu (Meiko Kaiji), toujours détenue dans un quartier de haute sécurité où règne la tyrannie des gardiens et de certaines autres condamnées. Nul doute que la réflexion autour de cette suite fut initiée dans le même temps que le long métrage originel tant un esprit commun plane sur les deux pellicules. Pourtant “Elle s’appelait Scorpion” transcendera les limites de son aîné: il sera plus sombre, plus violent, plus enlevé mais aussi plus fou visuellement.

Pour ce faire, Shunya Ito va quitter le huis-clos de la prison pour proposer une structure scénaristique bien différente, proche du Road-Movie. C’est l’évasion de Matsu et de six autres prisonnières qu’on va vivre, sur les routes et les chemins, talonnées par la police et le despotique gardien de la prison qui pesait déjà sur le premier opus. Pour l’auteur du film, c’est sans doute l’occasion de laisser derrière lui l’aspect chorale de “La femme Scorpion” pour mieux construire ses sept héroïnes. On regrettait que la personnification soit parfois complexe dans l’histoire initiale, et Shunya Ito va ici répondre en creusant de manière poussée la psyché de ses égéries, quitte à nous les présenter de butte en blanc dans une mise en scène onirique très théâtrale.

« Un chapeau qui deviendra iconique de la saga. »

Le coup de génie du long métrage c’est d’ailleurs sans doute de faire de ses sept destinées différentes un écho aux entraves qui font souffrir les femmes dans la société de l’époque. Les condamnées le sont à juste titre mais leurs méfaits ne sont que le résultat de dilemmes qui leur sont tombés dessus malgré elles. Shunya Ito est dans l’exagération, ou plutôt l’amplification, son récit utilise une grammaire grandiloquente, mais il n’en est pas moins le témoin d’une période clé de l’histoire de l’émancipation féminine.

Une règle qui trouve en conséquence logique une place de l’homme presque toxique. D’abord tournés en ridicule (et les institutions par extension) et moqués, les protagonistes masculins deviennent par la suite vicieux, calculateurs et profondément sanguinaires. Ils sont le symbole des chaînes qui contraignent les femmes, le terrible fouet prompt à s’abattre. La structure narrative qui se déroule désormais hors des murs de la prison est aussi l’occasion de ne pas réduire l’homme aux rôles de policier: la population civile est elle aussi montrée rapidement, mais ses mâles sont tout aussi néfastes, complètement décadents. Finalement, hommes ou femmes, Shunya Ito fait le choix de renier volontairement une part d’humanité à ses personnages pour s’inscrire dans une caricature intelligente et bien plus fine qu’escomptée. Un parti-pris artistique total et sans concession.

Autre démarche jusqu’au boutiste: la grammaire de la violence avec laquelle le cinéaste compose son œuvre. “Elle s’appelait Scorpion” n’a rien a envier à “La femme Scorpion” en terme d’horreur visuelle très crue mais ce qui lui donne une dimension supplémentaire c’est sans doute le parfum de vice profond qui habite chaque évènement. Tous les personnages, sauf peut être Matsu, sont animés par des instincts animaux parfois affreusement primaires. Rien n’est sacré dans la proposition de Shunya Ito, tout sent la corruption à plein nez, la décrépitude d’un monde fou. Mais qu’il serait idiot de réduire la mise en scène virtuose du film à un simple film gore. Shunya Ito compose ses plans sur de multiples dimensions, casse parfois les règles de l’espace pour partir dans une rêverie visuelle, émerveille par son sens de la lumière, agresse par un montage corrosif… Dans toutes les strates de sa conception, “Elle s’appelait Scorpion” tutoie le prodige.

Elle s’appelait Scorpion” est un poème visuel sur la corruption humaine habillement composé par un Shunya Ito engagé dans sa démarche décadente et violente jusqu’à l’extrême.

Nicolas Marquis

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