Black Christmas
Black Christmas affiche

1974

Réalisé par: Bob Clark

Avec: Olivia Hussey, Margot Kidder, John Saxon

Film vu par nos propres moyens

En 1974, le cinéma d’horreur redéfinit ses codes. En porte étendard des productions de ce genre unique, Massacre à la tronçonneuse fait sensation et pose un certain nombre de dogmes qui deviendront incontournables par la suite. Mais est-il réellement le seul ? Au Canada, presque en même temps, c’est un tout autre film qui fait grand bruit, accueilli lui aussi comme résolument novateur et moderne: Black Christmas. Les spectateurs se massent dans les salles pour savourer l’énergie et l’originalité du réalisateur Bob Clark, faisant de son œuvre qui réinvente un style un véritable succès du box office. De quoi logiquement assurer son exportation sur une route pavée d’or si le destin n’en avait décidé autrement. La promotion, essentiellement aux USA, apparaît comme une pure catastrophe, alors que le long métrage connaît notamment de nombreux changements de titre, empêchant le public de parfaitement l’identifié. Un véritable gâchis qui confère néanmoins à Black Christmas un statut bien particulier aujourd’hui, celui de pépite injustement méconnue, chère au cœur de nombreux cinéphiles aventureux. La mémoire du cinéma ne cesse de s’entretenir, et redécouvrir le film est désormais un plaisir: l’éditeur français The Ecstasy of Films lui offre un splendide écrin, rempli de bonus savoureux qui accompagnent une restauration impeccable.

Bob Clark impose l’effroi dans un cadre bien particulier: alors que la ville qui accueille l’action du long métrage vit au rythme des festivités de Noël, une petite maison d’étudiantes est en proie à un terrible tueur qui élimine ses victimes une à une, dans le plus grand secret. Désemparées face à la disparition de leurs colocataires dont elles ne trouvent aucune trace, les jeunes femmes doivent également composer avec d’abominables coups de fil anonymes qui accentuent la tension. D’un bien maigre réconfort, la police tente toutefois de lever maladroitement le voile sur le mystère.

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Dès l’entame du film, Black Christmas manifeste une idée purement visuelle qui anime tout le film: celle de ne jamais montrer le meurtrier, mais de toujours le représenter ses déambulations en vue subjective. Un pari osé pour Bob Clark qui assimile ainsi la vision du spectateur à celle de son antagoniste, insufflant une bien curieuse identification, porteuse d’un malaise certain. Sur le plateau, l’innovation est de mise, et le directeur de la photographie Reginald H. Morris se livre à un bricolage habile pour pouvoir se mouvoir caméra sur l’épaule, tout en gardant ses mains libres. Implicitement, à la vision des doigts qui agrippent différents objets et mettent à mort les victimes, le long métrage créer également une conscience du corps du tueur volontairement dérangeante: le public est prisonnier de cette enveloppe charnelle, privé de liberté de mouvement, et devient tout aussi esclaves des événements que les jeunes femmes de la maison. Si en 1974, la vue subjective n’est pas une invention, le simple fait de la maintenir durant l’intégralité de l’œuvre apparaît hautement original, et inspire des dizaines de cinéastes dans les années suivantes.

Bien au-delà de ce parti pris purement esthétique, Black Christmas s’impose en réalité comme une œuvre fondatrice, précurseur, qui invente une grammaire entière d’un sous-genre du film d’horreur: le slasher. Bien que Bob Clark s’en soit toujours défendu, tous les éléments de ce style à part entière sont disposés dans son film: demoiselles en détresse, mises à mort violentes, tension perpétuelle… Les ingrédients d’une recette vouée à devenir populaire sont là. L’un des plus vibrants exemples de ces dogmes s’exprime à travers la sphère sonore, particulièrement soignée et composante primordiale du long métrage. Black Christmas rend iconique chaque bruitage, que ce soit bien sur le bruit des différentes armes servant aux meurtres, ou plus originalement, les sonneries de téléphone tout aussi terrifiantes, annonciatrices d’échanges vocaux profondément abominables. Si dans le film, ces coups de fils sont attribués à une seule personne, vociférant à l’extrême, ils sont en réalité le fruit du travail de plusieurs acteurs, savamment mixés, pour une fois de plus brouiller l’identification du tueur.

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L’atmosphère est oppressante, mais Black Christmas propose par moment d’étranges incursions d’humour, bien loin d’apporter du réconfort. À travers une blague grivoise envers un policier benêt, ou en se gaussant de l’alcoolisme exacerbé d’une protagoniste, le long métrage crée des respirations tout à fait artificielles, qui ne contrebalancent pas réellement l’angoisse. Le long métrage évolue en fait entre deux extrêmes d’un éventail, l’un grotesque, l’autre horrifique, sans jamais chercher à trouver une zone d’équilibre. L’ambition profonde du film reste perpétuellement de briser le cocon du spectateur, de le priver de tout repère pour bousculer ses convictions. Entrer dans Black Christmas, c’est accepter d’être mis mal à l’aise et reconnaître l’utilité d’être malmené.

C’est d’ailleurs en poursuivant cette même idée que Bob Clark ôte au public tout endroit synonyme de sécurité. Les quelques scènes à l’extérieur de la maison d’étudiantes sont toujours ponctuées par une forme d’insécurité, que ce soit à travers l’incompétence notoire de la police ou à la vue d’explosion de rage de certains personnages. Pourtant c’est bien au cœur du logis que se niche le danger. Alors que les premières secondes dépeignent un habitat où règne une ambiance bon enfant, tout le reste de l’œuvre contaminera ce cocon, comme un virus. Le tueur investit d’abord le grenier, avant de descendre progressivement les étages, jusqu’à la cave, telle une maladie qui se répand au fil de l’intrigue. Le choix du décor, fruit de longues recherches, accentue l’étouffement du spectateur, alors que la maison propose des lignes légèrement gothiques, comme une sinistre cathédrale.

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Comme souvent lorsqu’il est question de films d’horreur, la personnalité des victimes est révélatrice de la moralité que souhaitent insuffler les cinéastes à leurs longs métrages. Une tendance se dégage généralement du genre, une proportion marquée à punir les mentalités volages. Des œuvres comme Vendredi 13, Halloween ou Freddy n’hésitent ainsi pas, par la suite, à mettre à mort leurs personnages à la philosophie de vie la plus dissolue, tout en faisant de leur héros des modèles de vertus. Black Christmas, bien qu’étant une sorte de père spirituel pour ces autres propositions, apparait lui extrêmement plus nuancé: sa première victime est une jeune femme profondément pieuse, alors que la dernière est une alcoolique et fêtarde avérée. Il semblerait que Bob Clark offre une résolution plus contrastée, et propose la clé de la survie dans un entre-deux philosophique, entre droiture et liberté. Olivia Hussey, qui incarne ce qu’on peut le plus rapprocher d’un personnage principal dans un film pourtant chorale, est ainsi montrée comme relativement sage, mais le dilemme profond qui l’habite est associé à un futur avortement pour lequel l’héroïne est déterminée.

De cette performance collective émerge d’ailleurs quelques têtes connues, débutantes à l’époque. Il convient d’ailleurs de reconnaître que si on fait exception de John Saxon, tout à fait convainquant dans son rôle d’enquêteur, le reste du casting essuie un peu les plâtres et se révèle parfois hors de ton. Pas de quoi perturber le plaisir de visionnage, et assurément un défaut pardonnable à des comédiens aussi jeunes, mais tout de même un léger impair. Olivia Hussey a bien connu quelques succès, mais Mort sur le Nil est encore loin. Margot Kidder sort tout juste de Soeur de sang et s’apprête à devenir l’éternelle Loïs Lane mais son jeu est encore un peu hésitant. Bob Clark n’est peut être pas le meilleur directeur d’acteur, mais fort heureusement, le reste de sa mise en scène est suffisamment brillante.

Black Christmas est un trésor pour quiconque s’intéresse au cinéma d’horreur. Une œuvre fondatrice, inventive, et souvent séduisante dans le bal macabre qu’elle propose.

Black Christmas est édité chez The Ecstasy of Films dans un splendide coffret en édition limité, assorti de plusieurs bonus en plus d’une superbe restauration du film:
– Les 12 jours de Black Christmas
– Black Christmas revisité
– Interviews de Olivia Hussey et Art Hindle
-Scènes supplémentaires 
-Bandes-annonces et Spots TV 
– Questions & Réponses avec Bob Clark, John Saxon et Carl Zittrer
– Interview avec Margot Kidder

Nicolas Marquis

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