L’école au bout du monde
L'école au bout du monde affiche

(ལུང་ནག་ན)

2021

Réalisé par: Pawo Choyning Dorji

Avec: Sherab Dorji, Ugyen Norbu Lhendup, Keldon Lhamo Gurung

Film vu par nos propres moyens

Par delà les montagnes de l’Asie, non loin de l’Inde et de la Chine, le Bhoutan offre ses terres sauvages aux esprits aventureux. De ses vertes vallées à ses cimes enneigées, le pays prend des airs de paradis sur Terre, de jardin d’Eden encore presque vierge. Un cadre si idyllique que la joie de ses habitants est devenue légendaire, invitant le gouvernement à parler de Bonheur Intérieur Brut plutôt que de PIB. Une réputation qu’il convient toutefois de nuancer: le Bhoutan n’est pas exempt de tout problème. Marginalisation de certaines minorités, chômage important chez les plus jeunes, soucis liés à la consommation excessive d’alcool, tout n’est pas parfait sous ces latitudes enchanteresses. 

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C’est pourtant bel et bien la beauté brute de ces paysages enchanteurs qui constitue le ressenti initial de L’école du bout du monde, le film qui représentera le Bhoutan aux prochains Oscars. Les thématiques de société profondes sont présentes, mais implicites dans cet hymne à la nature et aux choses simples de la vie. Un sentiment qui accompagne le héros de l’œuvre, Ugyen Dorji (Sherab Dorji), un tout jeune instituteur profondément citadin, muté contre son gré à Lunana, un village perdu au cœur des montagnes. Son école est même ouvertement décrite comme “l’établissement le plus reculé au monde” et c’est après plusieurs jours de marche qu’il parvient à son but. Installé dans une bâtisse de misère, Ugyen est d’abord réticent à l’idée de rester sur place. Pour éduquer une poignée d’enfants,  il finit progressivement par adopter son nouveau mode de vie et à s’attacher aux habitants.

Le bonheur simple

L’école du bout du monde prône un retour vers la nature presque permanent, une reconnexion avec la terre nourricière que le cinéaste Pawo Choyning Dorji embrasse pleinement. Fier de son pays et de la majestée de ses décors, idéalement mis en valeur par une photo somptueuse, il fait de nous des citoyens du monde pendant presque deux heures, passeport cinématographique sous forme de ticket en main. Il insuffle une envie de renouer avec les bienfaits végétaux, comme lors de la scène des moissons; minéraux, à travers une séquence où Ugyen Dorji pose une pierre sur un monticule en signe de recueillement; mais avant tout animal. Le yak est au centre du long métrage, il pourvoit au bonheur du village par son lait, sa fourrure, et même sa bouse qui sert au chauffage. Ce n’est certainement pas un hasard si Pawo Choyning Dorji le place au cœur de la salle de classe lorsque son héros finit par se fondre dans le village.

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C’est de là que découle le deuxième axe principal de lecture du film: l’ambition de retrouver la sagesse des anciens, de ceux qui ont vécu une vie remplie et qui sont aptes à prodiguer la bonne parole. Leur respect, intensément marqué en permanence, leurs confère l’intelligence de l’âge, tandis que Ugyen Dorji ne possède en fait que celle des livres. Le protagoniste principal se croit armé pour la vie en montagne, avec ses bottes luxueuses, mais presque immédiatement, le cinéaste le confronte à sa bêtise lorsqu’elles prennent l’eau. Une réplique d’un villageois résonne dès lors fort, sur plus d’un niveau: “Chaussé ainsi, je ne saurais surement pas marcher”. De la même manière, le personnage central du film évoque le réchauffement climatique (en anglais), son vis à vis est lui dans un constat plus concret: il s’interroge sur la survie du tigre des neiges si la pellicule blanche des sommets montagneux disparaît. Ugyen Dorji doit tout réapprendre. Un processus narratif qui permet de convoquer le public occidental dans la réflexion: l’addiction du héros aux écrans fait écho à la nôtre. La privation d’électricité le plonge dans le désespoir initialement, avant qu’il n’ouvre enfin les yeux sur la vie foisonnante qui l’entoure. Lorsque le courant revient, il ne s’en soucie absolument plus.  

Transmission

Mais Ugyen Dorji a bel et bien une double casquette: si il est l’élève à un certain degré, il reste l’enseignant des enfants du village. Toute une théorisation sur les voies de transmission du savoir s’opère également à cette échelle. Les problèmes de chômage liés aux jeunes sur-diplômés sont évoqués rapidement, trop sans doute, en début de film, alors que cet héros taciturne fait tout pour éviter sa nouvelle affectation. Il n’en reste pas moins dévoué une fois sur place: en proie au doute, sans aucun conteste, mais néanmoins soucieux de faire de son mieux, de donner de sa personne. Il bricole, avec l’aide des villageois, un tableau de fortune, fait usage de toutes les débrouillardises pour prodiguer une éducation en adéquation à ce mode de vie différent. Il “touche le futur” pour citer le film.

Aussi déconnecté des grandes villes soient les élèves, leur statut questionne le rapport au monde qui est le leur. Pour prendre un exemple concret, ils maîtrisent tous des notions d’anglais, même au fond de leur campagne, mais ignorent totalement ce qu’est une voiture: aucune route ne traverse le village. L’école du bout du monde caresse une thématique intéressante: un enseignement uniforme, commun à tous malgré les différences, comme l’exige le gouvernement du Bhoutan, est il pertinent ? Le long métrage prend le parti de dire ouvertement non, même si la volonté d’éduquer toute la population est saluable.

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L’autre force de L’école du bout du monde se ressent aussi dans l’ambition de Pawo Choyning Dorji de ne pas forcer le sentimental, alors que le scénario aurait pu s’y prêter. Une romance semble naissante, mais son accomplissement serait trop simple, manquerait de sincérité. Un autre personnage semble, lui, porter le poids d’un alcoolisme clairement énoncé, et à l’identique, le cinéaste se contente de poser subtilement les éléments (faisant échos aux maux de son pays), sans accentuer outre mesure. La justesse de L’école du bout du monde est davantage dans le non-dit: les moments qui unissent l’instituteur et ses élèves lorsque celui-ci arrache le papier qui recouvre ses fenêtres pour leurs offrir de quoi écrire, ou bien une fin qui appuie le lien profond qui le rattache désormais à ses racines retrouvées.

L’école du bout du monde est distribué par ARP Selection.

Si on peut regretter certains élans timides, L’école du bout du monde compense ses défauts par une sincérité touchante qui met en lumière un pays méconnu et ses traditions.

Nicolas Marquis

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