Euphoria

2017

réalisé par: Lisa Langseth

avec: Alicia VikanderEva GreenCharles Dance

C’est sans doute car la fin de vie catalyse des émotions intenses et douloureuses que le cinéma y revient régulièrement. Le 7ème art permet de prendre du recul, de poser des images sur l’indescriptible et devient un outil de compréhension. De cette façon, on avait par exemple évoqué l’imparfait mais important “Blackbird” sur le site, un film qui nous avait interpellé pour son plaidoyer sur le droit à la dignité dans la mort malgré sa démonstration bancale. Aujourd’hui, on va à nouveau réfléchir à cette thématique parfois encore tabou avec “Euphoria”, un film de Lisa Langseth.

L’histoire de deux sœurs, Ines (Alicia Vikander) et Emilie (Eva Green), très différentes dans leurs caractères mais unies par un lien familial complexe. Alors qu’un cancer généralisé frappe Emilie, elle va demander à Ines de l’accompagner dans un centre médical paradisiaque où les mourants peuvent vivre leur derniers instants dans la plénitude, exauçant tous leurs souhaits, avant de mettre un terme à leur existence.

C’est avec une grande douceur que Lisa Langseth va manier sa caméra dans “Euphoria”. Tout en fluidité, même dans les moments émotionnellement chargés, la cinéaste fait preuve de sobriété et de retenue pour laisser son histoire s’exprimer pleinement. Une réalisation semblable à une caresse malgré l’importance du message. La contrepartie de ce processus, c’est le côté lancinant et parfois un peu larmoyant que va prendre le long-métrage mais globalement c’est avec justesse qu’on traverse ces destins brisés.

L’intelligence de Lisa Langseth réside sûrement dans son assemblage de scènes qui semblent suivre un fil plus émotionnel que chronologique. À travers les souhaits et la douleur des pensionnaires de l’établissement, la réalisatrice permet au spectateur de vivre le drame avec plénitude, jouant sur une ambiance presque planante. “Euphoria” fabrique son identité à partir de ces petits bouts de vie des personnages annexes alors que la mort exacerbe les sentiments.

La cinéaste montre aussi quelques notions intéressantes autour de son approche du champ sonore. Chaque silence est calculé dans son œuvre et donne de l’ampleur aux scènes choisies. Le reste du temps, c’est à travers une musique volontairement simple et discrète que le film nous fait voyager dans cette espèce de purgatoire improbable. Puis régulièrement vient retentir comme un couperet le bruit de cloche annonçant le décès d’un des résidents, l’heure tant redoutée: une belle intelligence auditive.

« Drole de dames. »

Dans cette mise en scène originale, c’est un duo aussi fusionnel que différent que nous propose Lisa Langseth. Ces deux sœurs à la dérive sont à la fois unies par leur histoire commune et terriblement opposées dans leurs caractères. C’est bien sûr Emilie qui va être la plus chargée émotionnellement, certaine de sa volonté et en même temps fragile dans ses sentiments. Eva Green réussit à apporter une certaine retenue malgré un scénario qui joue par moment la carte de la tristesse avec trop de lourdeur.

Alicia Vikander apparaît comme une échelle de mesure de la détresse et des regrets des malades alors qu’elle est presque le seul personnage en bonne santé. C’est a elle que le spectateur s’identifie le plus facilement et on se met aisément à la place de cette femme démunie face au choix de sa soeur. Une position intéressante pour le public qui expérimente la fin de vie à travers le point de vue d’un protagoniste détaché des événements. C’est presque dommage que Lisa Langseth ne se tienne pas à ce postulat pendant tout le film et finisse par affubler Ines de tiraillements personnels, même si on l’admet facilement.

La très bonne idée de la réalisatrice et scénariste réside dans cette façon de disséquer le deuil dans ce qu’il a de plus pur. En offrant un cadre idyllique à ses personnages, Lisa Langseth évacue presque toutes les problématiques médicales pour garder une approche profonde de la mort. “Euphoria” n’est pas réellement là pour prendre position sur l’euthanasie mais plutôt pour réflechir la fin de vie, ce moment où le terme est proche et où on pose un regard en arrière sur notre existence.

La cinéaste va tout de même faire passer le spectateur par tout le panel d’émotions propres à la perte prochaine d’un proche: le refus, le déni, la détresse et finalement l’acceptation. Autant de notions évoquées avec la volonté d’en capter l’essence profonde pour les remettre en perspective. “Euphoria” est un film qui peut aider à trouver la paix dans le deuil.

Pour autant, Lisa Langseth va être tout en retenue quant au choix des mourants. Leur quête de sens dans leurs derniers moments est traitée avec empathie, tact et compréhension. Il y a quelque chose d’indescriptible et de joliment profond dans le film alors que ces personnages s’offrent un dernier tour de piste parfois exubérant. On s’attache aux protagonistes et on souffre profondément quand le scénario nous les enlève.

Cette idée du temps qui finit par manquer est aussi centrale dans “Euphoria”. La nostalgie frappe Inès, la perspective de voir sa sœur bientôt rendre les armes la bouleverse. On dissèque les rapports humains les plus profonds à mesure que le film avance. On comprend que l’un des moteurs du film n’est pas dans notre rapport à la mort mais plutôt dans les émotions qui nous tiraillent lorsque vient la fin pour ceux qu’on aime.

Euphoria” est un film planant et grave à la fois. Une errance autour d’un thème important qui réussit par instants à capter toute la profondeur de son sujet.

Nicolas Marquis

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