Les confins du monde

(2018)

Réalisé par: Guillaume Nicloux

Avec: Gaspard UllielGuillaume GouixLang Khê Tran

En France, il n’est jamais facile d’évoquer l’Histoire récente lorsqu’elle se prête à polémique. Il suffit d’observer avec quelle frilosité notre pays amorce son auto-critique sur l’occupation allemande ou sur la guerre d’Algérie pour constater qu’il règne une forme de tabou sur les moments sombres du 20ème siècle. La campagne militaire d’Indochine qui conduira à la décolonisation d’un territoire après des mois de lutte sanglante pour son indépendance ne fait pas exception. Il existe toujours une omerta sur la déroute de notre armée d’une part, mais aussi sur les violences venues des deux côtés et dont ont été victimes les civils. Pour comprendre l’inimaginable, l’art est un outil de choix et le cinéma ne déroge pas à la règle pourvu que l’angle d’attaque soit pertinent. En se plaçant quelques années avant la guerre d’Indochine, au sortir de celle de 39-45, “Les confins du monde” tente de capturer les origines du mal et l’âme d’un territoire meurtri et qui n’en est qu’au début de son calvaire interminable.

C’est en restant à une échelle très humaine que le cinéaste Guillaume Nicloux tente ce pari en nous exposant le destin de Robert Tassen (Gaspard Ulliel), un soldat rescapé miraculeusement d’un massacre au cours duquel son frère perd la vie dans des conditions atroces. Une soif de vengeance incontrôlable envahit le héros, lancé dans une guérilla personnelle qui le détruit progressivement. Pourtant, Robert va nouer une relation ambigüe avec une prostituée, symbole de la population locale qui souffre elle aussi des combats incessants.

Les confins du monde”, c’est avant tout une véritable dureté visuelle dans les plans que propose Guillaume Nicloux. Que ce soit les images insoutenables des charniers et des tortures ou les ébats entre notre soldat et celle sur qui il jette son dévolu, le réalisateur français impose des instantanés remplis de corps maltraités. On saigne, on transpire, on souffre dans le long métrage, en même temps que les protagonistes, et ce sont presque les cinq sens qui sont convoqués dans ces élans de chair humaine crus et secs.

Une peinture horrifique qui se peint sur la toile d’un pays tout aussi blessé. Certes, à certains moments, on est frappé par la beauté naturelle de l’Asie de l’est, mais on est vite chassé de ce jardin d’Eden. La jungle est luxuriante mais regorge d’arbres morts, de feuilles grêlées par les affrontements et d’habitations de fortune en ruines. La décrépitude morale de Robert Tassen s’exprime aussi dans cet environnement gangrené par la guerre. Le vert terne des végétaux semble d’ailleurs raccord avec les uniformes délavés des soldats livrés à eux-mêmes dans cet enfer poisseux. Le pays se meurt et le cadrage de Guillaume Nicloux y fait parfaitement écho.

« Pause syndicale »

Dans ce décor va se livrer un drame terriblement humain au déroulé pourtant presque contre-nature. C’est plutôt subtil, mais si on prête attention à la narration du cinéaste, on constate qu’il semble vouloir avancer à reculons. Le film s’ouvre sur un Gaspard Ulliel qui s’extirpe des cadavres, comme un mort qui revient à la vie, sa romance avec la prostitué Maï commence par le sexe avant de s’ouvrir aux sentiments, sa camaraderie avec les autres bidasses semble de plus en plus enfantine. Au lieu d’évaluer Robert Tassen pour ce qu’il est, on est obligé de le considérer pour ce qu’il devient au fil du film et c’est là une idée plutôt originale qui renforce le sentiment d’immersion.

Même si on humanise ce personnage principal au cours du long métrage, la notion de traumatisme est très forte dans “Les confins du monde”. Guillaume Nicloux nous refuse le massacre initial, préférant entamer son récit juste après, mais il en fait ainsi un événement exceptionnel dont l’empreinte est omniprésente. Invisible aussi est l’antagoniste du film contre lequel Robert se lance: parfois raté de peu, parfois annoncé mort à tort, ce tyran apparaît lui aussi comme métaphorique, le symbole du deuil impossible pour le soldat.

La dureté de fond s’affiche à l’écran: le montage du film se fait sec, abrupt, parfois inattendu. Plusieurs ellipses bien choisies viennent ponctuer une œuvre qui fait le choix pertinent d’aller droit au but comme pour faire écho à des existences pouvant se finir à tout instant. Pour autant, on a senti quelques difficultés lorsque le cinéaste doit unir les scènes se déroulant dans le cadre militaire et la partie civile de son œuvre. “Les confins du monde” est un peu trop rugueux et manque de liant dans son déroulé. On imagine que c’est dans les scènes réunissant Gaspard Ulliel et Gérard Depardieu que devrait s’opérer l’alchimie, mais le cocktail ne prend pas. Il y a déjà les dialogues de ces séquences qui semblent trop sophistiqués mis en parallèle du reste, puis il y a aussi l’impression que Gérard Depardieu, pourtant très impliqué, fait un peu anachronique dans le paysage. Sa bonhomie naturelle correspond mal au contexte et on lui préférera un Gaspard Ulliel habité par son rôle.

Les confins du monde” ne révolutionne pas le film de guerre mais pour une fois que la France regarde son Histoire en face, avec quelques idées de mise en scène séduisantes, on a peu de raison de se plaindre.

Nicolas Marquis

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