Le port de l’angoisse

(To Have and Have Not)

1944

réalisé par: Howard Hawks

avec: Humphrey BogartLauren BacallWalter Brennan

Lorsqu’on passe en revue les grandes figures du septième art, impossible d’oublier Humphrey Bogart. Clope au bec, la répartie cinglante et le charme envoûtant: l’acteur s’est bâti une image autour de laquelle des dizaines de film se sont construits. C’est le cas du “Port de l’angoisse” sur lequel on s’arrête aujourd’hui et qui offre une partition sur-mesure au comédien. Une histoire relativement proche de “Casablanca” dans laquelle l’acteur peut étaler son talent indéniable. Durant la seconde guerre mondiale, le capitaine Morgan (Humphrey Bogart donc) vit humblement à Fort-de-France où il met son bateau à disposition des touristes. Mais le gouvernement de Vichy sévit en Martinique et le paisible marin va se retrouver empêtré dans la guerre larvée qui oppose militaires et réseaux secrets en acceptant de transporter un résistant. Luttant pour sa propre survie et pour préserver ce secret, notre héros va s’éprendre de “Slim” (Lauren Bacall), une américaine en perdition vivant elle aussi sur cette île.

Plutôt malin pour le cinéaste Howard Hawks d’utiliser ce cadre géographique à ce moment de l’Histoire pour trouver une dose de suspense supplémentaire. Fort-de-France est le carrefour de dizaines de courants politiques différents, allant des américains oisifs aux militaires sans compassion. L’île française lui permet d’étaler son histoire simplement et de la confronter aux tourments de l’Histoire avec un naturel qui emporte le spectateur.

Impressionnante est la science de contraste du réalisateur: dans les éclairages mais également dans les costumes et les décors, Howard Hawks va jouer sur la saturation de noir ou de blanc pour teinter chaque scène d’une émotion differente, plus ou moins positive ou négative. Un processus qui peut passer inaperçu mais qui devient impossible à ignorer une fois constaté: accord parfait entre le fond et la forme.

Ses répliques vont se faire également particulièrement tranchées. Les réparties fusent dans “Le port de l’angoisse”, on se confronte verbalement avec une forme de poésie dans l’écriture: rien d’étonnant pour un film tiré d’une nouvelle d’Ernest Hemingway. Au milieu de toutes ces tirades, Humphrey Bogart s’épanouit pleinement: l’acteur est totalement dans son registre, sans prise de risque véritable mais brillant tout de même. Son personnage a toutes les caractéristiques du héros parfait, sauf la volonté de peser sur l’Histoire de son époque.

« Aucun respect pour les zones « non-fumeurs ». »

Lauren Bacall apparaît comme son symétrique féminin: son personnage est une femme forte et assumée, loin de la faible jeune femme en quête d’un preux chevalier dont nous affuble souvent Hollywood. Ses répliques sont tout aussi piquantes que celles d’Humphrey Bogart et la trajectoire de ces deux êtres solitaires se croise avec naturel pour former un couple marquant.

Là où le bât blesse, c’est sans doute dans la collection de protagonistes annexes bien plus caricaturaux qu’offre “Le port de l’angoisse”. Braves résistants et cruels policiers sont imposés sans nuances, bien trop marqués dans leurs extrêmes. Le film va même aller jusqu’à proposer l’éternel marin ivrogne, acolyte d’Humphrey Bogart, certes amusant comme en attestent les sourires du capitaine Morgan, mais tout de même un peu exagéré et grossier dans sa mise en place.

Il résulte malheureusement de ce patchwork un film relativement dirigiste et balisé qui ne surprendra personne. L’histoire du “Port de l’angoisse” est téléphonée, sans surprise, se payant même le luxe de rater dans sa mise en scène quelques instants dramatiques intéressants. On aurait voulu voir le long-métrage aller plus loin, quitte à s’affranchir des codes établis de l’époque, pour gagner en profondeur comme le fait “Casablanca”.

Reste une réflexion intéressante et toujours d’actualité sur ce qui fait un héros. Un simple assortiment de capacités? Le film semble balayer cette idée dans sa première moitié en imposant le capitaine Morgan comme un homme fort mais qui s’intéresse peu au sort des autres. C’est davantage un concours de circonstances et d’opportunités qui font la gloire du personnage. Le long-métrage théorise brillamment ce moment où l’être humain décide que la limite du supportable a été franchie et où il se résout à agir. Un message courageux pour un film tourné pendant la Seconde Guerre mondiale.

Howard Hawks offre avec “Le port de l’angoisse” un film relativement convenu mais qui cache un message de fond plutôt intriguant. Une œuvre imparfaite mais sensée, et surtout un incontournable pour les fans d’Humphrey Bogart.

Nicolas Marquis

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