Les misérables

2019

de: Ladj Ly

avec: Damien BonnardAlexis ManentiDjebril Zonga

Autorisez-nous une digression en guise d’introduction, le sujet nous tient trop à coeur. Le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, au terme d’une course poursuite avec la police pour des raisons encore obscures aujourd’hui, Zyed Benna (17 ans) et Bouna Traoré (15 ans) trouvaient la mort alors qu’ils tentaient de se cacher dans un poste électrique. La suite, nous nous en rappelons tous: des nuits d’émeutes, de dégradations de matériel public, et des voitures incendiées. Si nous nous permettons cet aparté, c’est avant tout car Yamaneko, et moi-même Spike, avons grandi en région parisienne. Durant les émeutes, nous étions tous deux de jeunes adultes, et bien que nous n’y ayons pas participé, cette défiance envers les forces de l’ordre, nous l’avons tous les deux éprouvée. Les contrôles d’identité agressifs, parce que notre allure n’était pas la bonne, parfois devant notre famille, nous les avons vécus. Lorsque les cités se sont embrasées, sans pour autant cautionner la violence, nous avons partagé ce sentiment de révolte devant non seulement l’attitude de la police, mais également face à l’abandon de l’État de cette portion de la population dont nous faisions partie. Seule réponse des institutions de l’époque: une volonté de durcir le climat en évoquant un déploiement de l’armée dans les quartiers populaires. Comme si derrière chaque voiture brûlée, on préférait museler les cris de rage des frères et les pleurs des mères. Si nous nous sommes permis ce témoignage de deux “jeunes de banlieues”, c’est parce que le film qui nous intéresse aujourd’hui, “Les misérables”, dresse un état des lieux actuel de ces quartiers, qui rappelle tristement cette cassure entre population et forces de l’ordre.

Faisons ensemble le choix de ne rien dévoiler de l’intrigue du film, pour deux raisons. La première est par respect pour l’oeuvre: une bonne partie de son déroulé repose sur des rebondissements que nous serions coupable de trahir. La seconde tient davantage à la forme du film. Il est une immersion totale dans l’univers des banlieues, mais également une mosaïque des personnes qui les composent: habitants, jeunes et anciens, mais également policiers, cette fameuse BAC en particulier qui arpente les cités délabrées.

L’un des paris du film, c’est d’opposer population et police, mais sans complaisance, ni pour un camp, ni pour l’autre. Là où souvent uniquement les forces de l’ordre sont critiquées, ici Ladj Ly, le réalisateur du film, n’oublie pas de reprocher certaines attitudes aux habitants de ces quartiers. Il restitue pendant tout le long-métrage un status quo précaire, en équilibre au-dessus du vide, et dont les plus jeunes paieront la chute. Pari réussi: nous qui croyions avoir fait le tour de la question, le cinéaste nous interpelle à nouveau avec pertinence et intelligence. Il nous force à revoir nos concepts les plus solidement ancrés dans notre conscience.

« Bonjour, contrôle des attestations de déplacement, s’il vous plait. »

Son portrait des banlieues est exhaustif, il affirme une volonté d’être le plus complet possible dans ses réflexions. Ainsi, le film s’ouvre sur les célébrations suivant la victoire de l’équipe de France de football lors de la Coupe du monde 2018. Cette fameuse union “black blanc beur”, mais aussi ce mélange social dans les grandes avenues, où les plus défavorisés partagent une joie commune avec les classes supérieures. Une façon de réunir pour mieux mettre en avant les divisions qui suivront.

L’envie du cinéaste d’être le plus complet possible, on la retrouve aussi dans le trio de policiers que l’on va suivre pendant toute l’oeuvre. Ils forment un éventail, où l’on trouve à une extrémité un personnage de flic foncièrement bon et bienveillant, et à l’autre un tyran miniature, qui jouit de sa petite autorité. Au milieu, un troisième personnage qui oscille entre les deux. 

Même constat pour les habitants des quartiers populaires. Ladj Ly ne va pas être complaisant: la morale des “grands frères”, il la représente sous une forme d’échec. On pense tout particulièrement au personnage du maire de Montfermeil, là où se déroule l’action. Un homme issu de cette banlieue, qui aimerait être vu comme un modèle, mais qui lui aussi ne fait que savourer l’emprise qu’il a sur la ville. Pire, il alimente les tensions entre police et jeunes. On vous l’a dit, le cinéaste ne choisit pas de camp, il se contente de démontrer et c’est suffisant.

Au milieu de cette guerre de pouvoir, une jeunesse prise en otage, aux rêves simples, comme celui de s’envoler de cette cité à l’instar de cet enfant qui pilote son drone entre les tours en ruine. Une métaphore affirmée, qui trouve aussi écho lorsque qu’un groupe de jeunes utilise comme luges des couvercles de poubelles. Toute cette génération, Ladj Ly en fait un symbole. Des graines semées, mais condamnées à dépérir si rien n’est fait urgemment.

Pour appuyer son propos, le cinéaste s’appuie sur un talent de réalisation incroyable. Restent en tête pendant de longs instants suivants le film, ces plans aériens qui donnent à Montfermeil des allures de dédale dans lequel la population s’est perdue, ou encore ces scènes de poursuites que Ladj Ly éclabousse de tout son sens de la photographie. Mais c’est surtout la composition de son scénario qui nous a ébahie. Un crescendo de violence, mais qui à chaque nouvelle escalade tonne tel un coup de tonnerre, ou encore sa façon d’affirmer la corruption dans les deux camps. Loin d’être putassier, il réussit à démontrer sans utiliser d’artifices faciles. Il peut enfin s’appuyer sur d’excellents dialogues dont nous ne résistons pas à l’envie de vous retranscrire un exemple, lorsque le maire s’entretient avec son bras droit, et que celui-ci lui répond à propos de la BAC: “Ils ont besoin de nous, mais nous n’avons pas besoin d’eux”. C’est toute la cassure sociale qui se trouve résumé en une phrase.

Misérables mais pas misérabiliste, le film reconstitue avec une intelligence folle toute cette guerre larvée qu’une majorité de la population choisit d’ignorer. Une collection de scènes chocs et de symboliques puissantes. En un mot: authentique!

Nicolas Marquis

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