La plateforme

(El hoyo)

2019

de: Galder Gaztelu-Urrutia

avec: Ivan MassaguéZorion EguileorAntonia San Juan

C’est toute l’ironie d’une situation que personne ne pouvait prévoir: cible des quolibets des canaux de distributions classiques depuis des mois, Netflix se trouve être l’un des derniers vecteurs de cinéma, alors que les salles sont contraintes à la fermeture. On en aura soupé de ces débats sans fond, aux arguments consternants du genre “Netflix c’est pas du cinéma” et autres “3 heures c’est trop long”, pour au final en arriver là. Alors que les studios traditionnels sont encore en train d’adapter leur réponse à la crise actuelle, et que les chaînes de télévision sont trop occupées à se faire la guerre entre elles, chaque film qui apparaît sur Netflix est accueilli bave aux lèvres par toute la famille des cinéphiles en manque de leur dose habituelle, et dont Les Réfracteurs font évidemment partie. Dans ce contexte, “La plateforme” bénéficie d’une exposition presque inespérée, d’autant plus que ce huis-clos pourrait presque rappeler aux plus tordus le confinement obligatoire actuel. Mais l’ironie ne suffit pas toujours pour être pertinent.

Cette petite production espagnole est à mi-chemin entre Thriller, science-fiction, et fable sociale: pour comprendre son message, il suffit presque de savoir interpréter le concept de son résumé. Enfermés dans des prisons souterraines aux profondeurs abyssales, condamnés mais aussi citoyens en quête de facilités sociales dans la société extérieure sont rassemblés, deux par niveau, avec pour seul bagage un seul et unique objet de leur choix. Au centre de leur cellule, une ouverture rectangulaire, par laquelle ils entrevoient les détenus des niveaux supérieurs et inférieurs. Une fois par jour, un plateau rempli de plats et de boissons finement disposés descend ce puit sans fond, restant quelques minutes à libre disposition des prisonniers de chaque niveau. Ceux-ci peuvent se goinfrer à loisir, à la seule condition de ne rien conserver, avant que les victuailles continuent leur descente aux étages inférieurs. Avec un peu de jugeote, vous comprendrez que si ceux du deuxième étage savoure un délicieux repas, ceux du 143ème n’ont plus que les restes dégoûtants de tous ceux qui ont goûté avant eux le funeste repas, quand restes il y a.

Un pitch qui va forcément rappeler énormément « Cube« , d’autant plus que “La plateforme” lui emprunte une partie de son message social mais surtout une espèce d’architecture qui accentue le côté paranormal de l’expérience. Les deux films sont davantage des fables que des oeuvres pragmatiques: des contes moraux presque. À ce détail près que « Cube » restituait bien plus efficacement l’injustice, en ne cherchant pas à donner trop de repères à son spectateur, en le laissant admettre une part de mystère. Le film qui nous intéresse aujourd’hui s’encombre de flashbacks pour donner un contexte politique à l’histoire: inutile, un peu lourd, et ce n’est que la partie visible de l’iceberg.

« Ce livre ne manque pas de tranchant chérie! Haha! »

Si on prend un peu de recul, c’est toute cette structure verticale pour symboliser une société où favorisés vivent en haut, et les plus miséreux en bas, qui apparaît redondante. On en aura vu de ces films qui utilisent la hauteur comme métaphore de la distance sociale, et “La plateforme” accumule tous les poncifs du genre: ceux d’en bas qui veulent se rebeller par tous les moyens, ceux du haut qui cherchent à se protéger avec la même hargne… C’est du vu et revu. Le film va bien essayer de rebattre les cartes régulièrement, avec beaucoup de cruauté, en réattribuant totalement aléatoirement chaque prisonnier à de nouveaux étages, et donc une nouvelle place dans cette macabre chaîne alimentaire, mais c’est trop peu pour donner du souffle au long-métrage. Surtout quand celui-ci s’alourdit de gimmicks inutiles.

On pense ainsi à cette espèce de sentiment perpétuel que pour imposer un argument le film se réfugie dans le gore. C’est comme un point d’exclamation régulier: pour faire digérer la philo de comptoir, il faut la ponctuer d’une gerbe de sang dispensable. De la même manière, les fils rouges que va semer “La plateforme” ne s’imbriquent que très mal dans la logique de son univers. L’exemple le plus rapidement confronté, c’est ce personnage de femme asiatique qui descend régulièrement les étages en même temps que le plateau, à la recherche de son enfant. Un sentimentalisme facile, qui n’est là que pour prémacher un message, et qui témoigne d’un autre défaut du long-métrage: ses personnages et les rapports qu’ils entretiennent.

Il y a d’abord le héros du film, un homme qui paraît être la seule personne vaguement intelligente de la prison. Indice pour les moins perspicaces: il a emporté un livre avec lui, et c’est “Don Quichotte”. On vous avait prévenu, on enfonce les portes du cliché avec “La Plateforme”. Cette espèce de place de l’érudit qu’occupe le protagoniste principal va être un vrai problème au moment de tirer les conclusions morales du film.

Essentiellement parce qu’à côté de lui, tous les personnages secondaires ont l’air d’une stupidité abyssale. Les camarades de chambre qui se succèdent autour de lui ont des motivations totalement dérisoires. Pire, le film les caractérise d’une façon tellement grotesque qu’on y verrait presque une forme de mépris. Ainsi le premier codétenu est un analphabète légèrement idiot, obsédé par la faim, et qui se laisse dicter sa conduite par son estomac. On pense aussi à cette femme qui après des années à avoir enrôlé des gens dans ces prisons inhumaines, se dit un jour: “Tiens, je vais aller voir à l’intérieur comment c’est pour leur dire d’être gentils!”. On grossit le trait, bien sûr, mais presque à peine: “La plateforme” ne prend pas le temps de rendre ses personnages intelligents, et les restitue en conséquence de manière absurde.

Mais il existe quelque chose de beaucoup plus insidieux dans ce film, quelque chose de probablement non-voulu mais que cette paresse d’écriture fait ressurgir: en érigeant le héros en intellectuel, et en dépeignant tous les autres comme de fieffés idiots, “La plateforme” oppose érudits et gens du peuple, éducation et pauvreté. Comme si l’intelligence de la rue n’existait pas, comme si d’ailleurs, les classes populaires étaient forcément sous-éduquées. À partir de ce constat, c’est toute la réflexion morale du long-métrage qui tombe à l’eau, et avec elle tout l’intérêt du film.

La plateforme” ne contentera personne à essayer de faire plaisir à tout le monde. Ceux qui voulait un simple divertissement s’ennuieront devant des avalanches de dialogues, tandis que les autres, justement prêts à accueillir ce message de justice sociale de manière très verbale, seront atterrés par le peu de pertinence proposée. Reste le vague ludisme d’un concept un peu essoré.

Nicolas Marquis

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