Le septième juré

1962

de: Georges Lautner

avec: Bernard BlierDanièle DelormeJacques Riberolles

Lors d’une promenade au bord d’un lac, le très respecté pharmacien Grégoire Duval (Bernard Blier) aperçoit une jeune femme, connue pour ses moeurs légères par tout le village, bronzant seins nus. Dans un accès de folie, l’homme tente d’abord de la violer, avant de l’étrangler devant sa résistance. Le lendemain, un autre suspect est arrêté, et accusé à tort du crime. Grégoire Duval va être désigné juré au procès, et va devoir tenter de disculper le jeune homme, tout en essayant de ne pas s’incriminer.

En rôle principal Bernard Blier donc, et derrière la caméra Georges Lautner, le tandem qui allait officer un an plus tard sur “Les tontons flingueurs”. Mais aucune comparaison possible, “Le septième juré » est un récit noir et cynique, bien loin de la rigolade.

Dans la forme, le film pourrait presque être apparenté à un quasi-monologue si l’enquête en elle-même ne rythmait pas un peu les péripéties. Mais ces apartés sont plus que pertinents: si la voix off est parfois une béquille pour réalisateurs qui n’arrivent pas à construire un récit pour délimiter leurs personnages, ici, elle a une vraie mission, celle de définir les raisonnements et la psyché même de Duval, à l’instar d’un Stanley Kubrick ou d’un Martin Scorsese.

Des monologues qui révèlent un personnage froid et cynique, dégoûté de tout et de tous, enfermé dans une routine qu’il déteste. Son crime ne lui laisse quasiment aucun remord jusqu’au procès. Et ce côté du film fonctionne très bien. Bernard Blier est fantastique dans ce personnage d’assassin mais aussi d’homme ordinaire, et ses tirades sont souvent glaçantes.

Toutefois, le scénario revêt un caractère rocambolesque un peu trop soutenu, dans son concept même. Un assassin qui se retrouve juré du procès de l’homme accusé à tort… Il faut l’accepter, mais ce premier niveau de lecture n’est pas le point fort du film.

« Tu me fends le coeur! »

Il faut aller chercher plus loin pour trouver le sens de l’oeuvre, élargir son angle de vision, et aller chercher des réponses plus profondes. “Le septième juré” c’est déjà une caricature très mordante des “gens bien”. Lors de scènes où se réunit toute la petite bourgeoisie du village pour disputer quelques parties de cartes au bistro local, Georges Lautner va attaquer de plein fouet les figures patriarcales de la cité. Notre pharmacien certes, mais aussi le procureur, l’enquêteur, le tenancier… Tout le monde est mis à mal, et comme le dit le film lui-même: tout le monde est coupable. On regrette peut-être là aussi une mise en place un peu simpliste, mais ce second niveau de lecture est diablement efficace.

Puis vient enfin un ultime degré de compréhension, celui où les thèmes les plus profonds s’épanouissent. La peine de mort, la présomption d’innocence, et l’opportunisme. Sylvain Sautral (Jacques Riberolles), l’accusé porte évidemment les thématiques judiciaires en grande partie sur ses épaules mais pour le reste, c’est la bourgade typique française de l’époque qui telle un seul et même personnage est critiquée avec une justesse remarquable.

Des thématiques qui n’ont pas tellement vieillies: si la peine de mort a été depuis abolie, il n’en reste pas moins que notre société, dans les faits, considère généralement les prévenus comme coupables jusqu’à preuve du contraire. Si la présomption d’innocence est un principe fondateur d’une société organisée, Georges Lautner démonte ce mythe pour renvoyer chacun vers sa propre critique personnelle.

7000

Si on réussit à faire fit de certaines mises en scène un peu simplistes, “Le septième juré” est une œuvre aboutie, qui atteint son but ultime: exposer et démontrer la cruauté des “gens respectables”.

Nicolas Marquis

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