Freaks Out
Freaks Out affiche

2021

Réalisé par: Gabriele Mainetti

Avec: Aurora Giovinazzo, Claudio Santamaria, Pietro Castellitto

Film vu par nos propres moyens

Quelques propositions auront suffit à propulser le réalisateur Gabriele Mainetti au premier plan. En véritable enfant terrible du cinéma bis italien, le metteur en scène séduit la critique et le public, suscitant l’attente à chacun de ses projets. Dès 2012, son court métrage Tiger Boy attire les regards attentifs, se frayant un chemin jusqu’à une nomination inespérée aux Oscars. Toutefois, c’est en 2016 que le cinéaste transforme l’essai: pour son premier long métrage, On l’appelle Jeeg Robot, Gabriele Mainetti dynamite la grammaire habituelle des films de super-héros pour offrir une histoire sombre, dans les bas fonds transalpins, et connaît un vrai succès d’estime qui lui offre une place de choix sur la scène internationale. De retour en 2021 avec Freaks Out, le réalisateur doit assumer son nouveau statut. Toujours ancré dans un monde fantastique, peuplé d’êtres aux étranges pouvoirs et proche de l’univers des Comics grand public, ce nouvel essai est un véritable investissement pour ses financeurs qui octroie à Gabriele Mainetti un budget dix fois supérieur à celui de On l’appelle Jeeg Robot. Freaks Out ne peut plus jouer la carte de la surprise, il est un véritable rendez-vous, un spectacle “à mi-chemin entre Dupontel et Del Toro”, comme le promet son affiche, et une rupture avec la logique mercantile de Marvel Studio, selon les déclarations faites durant la promotion. Pour tenter de tutoyer cet idéal, Gabriele Mainetti collabore à nouveau avec le scénariste Nicola Guaglianone pour élaborer un script ambitieux, mais malheureusement friable.

Durant la Seconde Guerre mondiale, en Italie, la population civile vit sous le joug de l’envahisseur nazi. Dans un cirque de monstres, Israel (Giorgio Tirabassi) met en scène Cencio (Pietro Castellitto) et sa faculté à controler les insectes, l’homme magnétique Mario (Giancarlo Martini), l’humanoide poilu et surpuissant Fulvio (Claudio Santamaria), ainsi que l’étrange femme électrique Matilde (Aurora Giovinazzo). Lorsque Israel est capturé par les barbares, en vue d’être déporté, la bande se dissout, ignorant tout du destin tragique qui attend leur meneur. Alors que Matilde souhaite retrouver cette figure paternelle, ses trois autres camarades se dirigent vers le cirque allemand, pour y trouver une place. Sur place les attend le terrible Franz (Franz Rogowski), le maître du monde du spectacle local, pourvu de 6 doigts à chaque main, et ayant le pouvoir singulier d’entrapercevoir des bribes du futur. Pour tenter d’empêcher la chute du régime nazi, le tyran mène des expériences affreuses sur ces hommes aux dons fantastiques, dans l’optique de créer une armée à la force inégalée.

Freaks Out illu 1

Au cœur de Freaks Out se niche un message universel profondément positif, invitant le spectateur à s’accepter avec ses différences et à vivre pleinement sa vie, sans se soucier du regard de l’autre. Avec une candeur régulièrement irritante, Gabriele Mainetti se fait compatissant envers ses personnages. Si leurs pouvoirs sont parfois vus comme une malédiction, notamment à l’image de Matilde dont la faculté lui interdit tout contact humain, tout comme Malicia des X-Men, la clé de la résolution de l’intrigue se trouve dans l’affirmation de soi. Les quatres amis ne sont jamais aussi heureux que sur la scène du cirque d’Israel, dans l’entame du film, alors qu’ils exhibent leurs pouvoirs. La séquence finale du film y répond, dans l’avalanche d’action promise dès le début mais qui ne survient qu’après plus de deux longues heures. Chaque petit défaut humain finit par trouver son sens, une fois passé les dilemmes moraux. À l’inverse, Franz renie ses dons, et coupe ses sixièmes doigts dans une explosion de rage. Croyant tutoyer une poésie dans le monstrueux, Gabriele Mainetti s’enferme en vérité dans une accumulation de facilités et une thématique traitée avec une naïveté déconcertante.

Une couche supplémentaire de Freaks Out vient alimenter un peu plus le triste constat que le cinéaste ne parvient jamais réellement à être subtil, mais préfère adopter des schémas narratifs éculés pour tisser une longue proposition aux messages sans originalité. Perpétuellement, le réalisateur semble vouloir insuffler un esprit de famille vacillant entre ces monstres. À l’identique de ce que Doom Patrol propose dans le monde du Comics, l’union entre les personnages est précaire et fragile. Malheureusement, plutôt que de se poser en témoin de ces errances et difficultés, Freaks Out préfère jalonner le récit d’indice qui ne laisse place à aucune surprise quant à l’issue du film. Lorsqu’au moment de la séparation, Censio offre à Matilde un bocal de lucioles pour qu’elle “retrouve son chemin”, le long métrage annonce clairement la direction dans laquelle il ira. Dès lors, l’impression d’un film hautement balisé, empreint d’une forme de surlignage constant du moindre dilemme, agace au plus haut point.

Freaks Out illu 2

En dehors de l’avalanche de bons sentiments que nous inflige Gabriele Mainetti surnage toutefois l’imagerie de la guerre qu’il nous propose. Plutôt que de se complaire dans l’effroi absolu que suscite invariablement le conflit, le cinéaste préfère communiquer avec son public par des gestes de réalisation tranchés, plus originaux que l’étalage de simples visuels terrifiants. Ainsi, la première représentation idyllique des quatres comparses du film est interrompue de façon abrupte par un bombardement. Alors que le metteur en scène nous proposait la magie du spectacle dans un long plan séquence, les obus viennent stopper la beauté et la magie de leurs détonations assourdissantes. Cette séquence d’introduction apparaît même comme le manifeste de la logique du film. Freaks Out est globalement très fluide, peu coupé, et son concepteur s’épanouit en laissant traîner sa caméra, jusqu’à la scène finale. Dans ces ultimes minutes, le montage se fait particulièrement haché, alors que les combats font rage. Si l’œuvre avait jusqu’ici proposé une grammaire filmique envolée, le long métrage se transforme en boucherie qui tranche totalement pour inviter le spectateur à l’horreur, à travers cette rupture formelle.

Toutefois, aussi intéressante soit cette volonté, sa restitution souffre d’un écueil majeur constant dans Freaks Out: sa direction artistique ratée. Le rendu graphique que nous propose Gabriele Mainetti est effroyablement lisse. Le film étale la trajectoire de monstres, se targuant d’une approche proche de celle de Guillermo Del Toro, mais le manque total d’aspérité dans l’image donne l’impression d’un long métrage plastique, propre sur lui d’un bout à l’autre. Certes, la magie et l’onirisme de certaines scènes séduisent, mais le contraste voulu avec les séquences les plus tragiques ne s’opère pas tant décors, costumes et accessoires apparaissent factice. Alors que Freaks Out est vendu comme une rupture avec les canons du genre super-héroïque, il en adopte une des principales faiblesses, sans s’en rendre compte.

Freaks Out illu 3

La comparaison avec les productions Marvel, DC, et consort, ne s’arrête malheureusement pas là, puisque Freaks Out décide également de s’aventurer sur le terrain de l’humour, avec une lourdeur pachydermique. Non seulement le long métrage ne réussit pas à susciter le moindre sourire, mais il devient même parfois franchement graveleux et de mauvais goût. Ici une blague sur l’appendice génital d’un personnage, là une vision du futur de Franz qui montre un simple hand spinner… Rien ne fonctionne, Gabriele Mainetti n’est tout simplement pas drôle. Pire, ces élans faussement caustiques viennent annihiler des axes de réflexion entiers de la pellicule. En voulant affubler une bande de résistants de saillie verbales acides, le film les noie dans une grammaire qui les ridiculise. L’ambition de les dépeindre comme des estropiés, à l’image d’une Italie qui survit tant bien que mal, était prometteuse, mais Freaks Out condamne ce niveau de lecture sous ses gags potaches. On reproche souvent le ton rigolard des œuvres du MCU, et alors qu’il se vante d’être une alternative, le film fait la même erreur.

Freaks Out n’a rien de révolutionnaire. En vérité, il est même dans la droite lignée de ce que propose le genre super-héroïque à l’heure actuelle. Gabriele Mainetti ne réussit pas son pari, et son univers ne prend pas.

Freaks Out est disponible en Blu-ray chez Metropolitan Filmexport, avec en bonus:

  • Making of
  • Scènes coupées
  • La musique
  • Les effets spéciaux
  • Storyboards
  • Galerie vidéo
  • Scènes ratées

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire