Pieces of a Woman

2021

réalisé par: Kornél Mundriczó

avec: Vanessa KirbyShia LaBeoufEllen Burstyn

Comme un relent de 2020 en ce début de nouvelle année: alors que les portes de nos cinémas restent désespérément closes, crise sanitaire oblige, Netflix continue d’occuper l’espace laissé vide et de s’ériger en pourvoyeur de notre dose obligatoire de 7ème art. Pour autant, la plateforme de SVOD ne joue pas toujours la carte de la facilité et alterne assez efficacement longs-métrages pop-corn et œuvres plus intimistes. C’est donc sur un véritable film d’auteur qu’on s’attarde aujourd’hui, issu de la collaboration entre Kornél Mundruczó à la réalisation et Kata Wéber à l’écriture d’un scénario pour lequel elle s’est inspirée de sa propre expérience. “Pieces of a Woman » est l’histoire tragique et bouleversante d’un couple, et plus particulièrement de Martha (Vanessa Kirby), qui tente de se reconstruire après un accouchement à domicile qui vire au drame pour le nouveau-né. L’œuvre entend réfléchir autour de cette notion de deuil impossible qui détruit tout sur son passage.

Le récit va être donc très centré sur cette mère en perdition, incapable de digérer la mort innattendue de son enfant. Un focus sur ce personnage peut-être un peu trop important: “Pieces of a Woman” a divisé vos Réfracteurs. Si certains ont réussi à se satisfaire de cette proposition, d’autres (et notamment la partie féminine de vos serviteurs) ont souffert du manque de contrepoids dans le récit. La plupart des personnages secondaires du long-métrage sont apparus un peu trop effacés, voire presque toujours néfastes pour Martha que Mundruczó et Wéber enferment dans une spirale solitaire.

Mais soit, admettons, et tentons de voir au-delà de ce parti pris un brin dérangeant car “Pieces of a Woman” ne manque pas d’intelligence, notamment dans sa mise en images. Passé le plan séquence de l’accouchement qui nous propulse brillamment dans l’intimité la plus stricte de ce couple et dont la plupart des médias font écho comme l’une des très belles séquences cinématographiques récentes, le film n’oublie pas d’appuyer ce sentiment de “témoin privilégié” pendant ses 2h de temps. On suit Vanessa Kirby en travelling, sa démarche déterminée mais fragile, seule face à l’adversité dans ses errances à travers une ville qui l’oppresse.

Un sentiment exacerbé par le travail de couleur proposé par Mundruczó. Visuellement, le long-métrage apparaît gris, terne, moribond, puis d’un coup une fulgurance de couleur, souvent le rouge, vient griffer notre rétine pour y laisser une trace durable. Là encore, on appuie sur la solitude de Vanessa Kirby dans une performance d’actrice totale qui porte le film sans non plus l’écraser.

« Rase toi! »

La morbide soustraction imposée par “Pieces of a Woman”, ce décès prématuré, sert d’élément déclencheur à une cascade de répercussions toujours plus importantes. Le film fait chuter le premier domino dans sa phase d’installation puis étale la tragique suite des événements. Toutes les émotions semblent ainsi dissonantes: la naissance devient la mort, le centre de la joie celui de la peine, ce qui était censé fédérer le couple le divise invariablement.

Pieces of a Woman” réussit le tour de force de définir le sentiment maternel justement par son absence d’enfant. C’est en reliant tous les coups d’éclats dramatiques du script qu’apparaît une femme brisée, qui était prête à devenir mère et qui ne sait plus quoi faire de cet état d’esprit. Un sentiment démultiplié par la relation qu’entretient Martha avec sa mère, personnage peut-être encore un peu too much mais qui sert la mission première du film.

Se distingue également au fil du scénario une société étouffante qui inflige une double peine à notre héroïne. Le monde environnant semble refuser le deuil à Vanessa Kirby comme si elle n’avait pas su accomplir sa mission de femme. On avance le rôle des personnages féminins comme celui de simples génitrices avec une facilité qui fait vaciller nos propres convictions. Dans l’espèce de chasse au coupable qui suit l’accouchement, on voit là aussi le spectre d’un climat social qui a besoin de coupable pour expliquer le plus malheureux des hasards, sans vraiment considérer les aspirations de Martha.

Pour dérouler toutes ces idées, “Pieces of a Woman” va alterner le bon et le moins bon assez visiblement. Certaines symboliques, comme une graine qui germe enfin ou l’avancée de la construction d’un pont, apparaissent parfois un brin faciles, convenues. On a davantage goûté le côté très brut du film: on a ici un long-métrage rugueux qui malmène son spectateur. Une histoire remplie de chair et de confrontation entre des êtres à la dérive, prisonniers de circonstances tragiques.

Pieces of a Woman” n’est peut-être pas tout à fait la claque annoncée mais il reste un film très solide qui élève le débat qu’il porte et parsemé de quelques fulgurances visuelles séduisantes.

Nicolas Marquis

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