Top Gun
Top Gun Affiche

1986

Réalisé par: Tony Scott

Avec: Tom Cruise, Kelly McGillis, Val Kilmer

Film vu par nos propres moyens

Le succès est parfois inattendu, et au moment de sa sortie, peu de choses destinaient Top Gun à son glorieux parcours. Si aujourd’hui son statut de film culte est difficilement contestable, avec pour dernière preuve en date le plébiscite public de sa suite sortie cette année, le film n’a assurément pas construit sa réputation à l’ombre de grands noms du cinéma. Loin d’être la confirmation de talents solidement ancrés à Hollywood, le long métrage apparaît même comme un œuvre fondatrice pour la carrière de nombreuses personnalités du cinéma. L’année du tournage de Top Gun, l’insaisissable Tom Cruise n’est pas un inconnu, mais il est très loin d’être l’icône, certes très contestée et à juste titre, qu’il est aujourd’hui. Seul le succès de Risky Business fait de lui un acteur légèrement en vogue, une bien maigre ligne dans sa filmographie. L’année précédant Top Gun, il essuie même un large échec commercial avec Legend de Ridley Scott. C’est pourtant ce flop qui scelle son destin: devant la vague de refus des comédiens envisagés pour collaborer à la fresque aéronautique, refroidis par le message pro-militariste de l’oeuvre qu’il convient de dénoncer ardemment, Ridley propose le jeune acteur à son frère Tony Scott, réalisateur du film. La connivence entre l’acteur et le cinéaste est telle que pour la première fois, Tom Cruise collabore étroitement à l’écriture du script d’un film. Choisir Tony Scott à la mise en scène semble par ailleurs aussi osé: le cinéaste n’a alors à son actif qu’un seul long métrage, Les Prédateurs. Il ne doit en vérité cette opportunité de s’immiscer dans le monde du film à grand spectacle qu’à la réalisation d’un spot publicitaire pour une automobile, élaborer quelques années auparavant. Top Gun propulsera sa carrière, et fera de lui un des maîtres du cinéma de divertissement de son ère. Toutefois, aussi peu connus soient les participants au film, le projet se bâtit sur une promesse: celle d’une aventure débridée, qui repousse toutes les limites. Au final, Top Gun marque durablement son époque, se targuant même d’être le plus gros succès de l’année 1986.

D’adrénaline, de frissons, et de haute voltige, Top Gun n’en manque pas. Son intrigue prend place dans l’école de Top Gun, centre de formation de l’élite des pilotes d’avions de chasse américains. L’intrépide Maverick (Tom Cruise) rejoint les bancs de l’académie avec le but assumé d’en être le meilleur élève. Sur place, la rivalité règne: si sa complicité avec son copilote Goose (Anthony Edwards) est fusionnelle, faisant d’eux des frères d’arme, la défiance avec le prodige Iceman (Val Kilmer) pousse le héros à prendre toujours plus de risque lors des entraînements. Mais Top Gun n’est pas qu’un lieu de tension, et au-delà des valeurs militaires exacerbées omniprésentes, Maverick y trouve aussi l’amour, en la personne de Charlie (Kelly McGillis), une instructrice issue du domaine civil.

Top Gun illu 1

L’ambition première de Top Gun est claire: au travers de ses vrilles et ses plans aériens saisissants encore aujourd’hui, la restitution du quotidien de pilote de chasse, et le flirt permanent avec le danger, sont au centre du récit. De toute évidence, les séquences en haute altitude, filmées admirablement grâce au concours de l’armée, représentent l’acmé d’un long métrage qui reste un pur divertissement, à n’en point douter. Les protagonistes du film sont tous de véritables trompe-la-mort, et l’insouciance laisse rapidement place au spectre de la faucheuse. Dans un premier temps, les aviateurs n’ont que peu conscience de manipuler des engins de destruction. Bien que les exercices réguliers n’utilisent évidemment pas de véritables munitions, une ombre funeste plane sur l’ensemble du long métrage, la moindre hésitation d’un pilote peut se payer cher. Le tournage est d’ailleurs endeuillé par le décès d’un pilote, victime du crash de son appareil. Malgré lui, Top Gun interroge aussi sur l’esprit de compétition propre aux élèves de l’académie. En tissant un esprit de compétition entre eux, une course à la première place, le système militaire les pousse au risque. Ce que le film retranscrit dans les airs, il le restitue aussi sur terre, malicieusement, en affublant Maverick d’une Kawasaki Ninja 900, la moto la plus rapide du monde à l’époque, qu’il conduit à haute vitesse et sans casque. Tom Cruise incarne le parfait chien fou, affublé d’un lourd passé qui le pousse à dépasser les limites du possible. Alors qu’il ne devait pas intégrer Top Gun, il est prêt à toutes les extrémités pour prouver sa valeur.

Si la course aux points qui anime les pilotes interroge le public sur le fonctionnement de l’armée, il convient cependant de prendre du recul sur l’œuvre proposée et sur les bases de sa conception. Top Gun est un film construit en étroite collaboration avec les forces armées américaines, qui exercent un droit de regard strict sur son scénario, voyant dans l’essai artistique une opportunité de faire leur promotion. En échange de l’utilisation des avions de chasse, et de certains pilotes, le film se doit d’enjoliver une réalité bien plus sordide que ce que le spectateur constate à l’écran. Pour plus d’un observateur, Top Gun est même un film de propagande, et les recruteurs de l’armée ne s’y trompent pas: en faisant le pied de grue à la sortie de cinéma pour enrôler de nouvelles recrues, l’U.S. Navy bat cette année tous ses records. Le fantasme étalé sur la pellicule possède un aspect dangereusement subjugateur pour le spectateur influençable, et Tony Scott se rend coupable d’une forme d’idéalisation problématique. Au-delà des artifices kitsch qui prêtent aujourd’hui à sourire, bande son en tête, la fraternité exacerbée, les scènes de liesse entre soldats, et les visuels sur de magnifiques soleils couchants participent à un élan patriotique irresponsable. 

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L’amitié durable et la bromance exagérée entre Maverick et Goose fait figure de socle narratif, de véritable cœur du récit. Pour beaucoup, Top Gun comporte même un sous-texte homoérotique, et il est vrai que certaines séquences interrogent. Les scènes de douche, alors que les corps sont dénudés, sont toujours l’occasion de confidences intimes, et l’iconique passage où les pilotes s’affrontent au beach-volley, torse nu, faisant saillir leurs muscles sous les hourras de leurs homologues semble étrange. Toutefois, se contenter de ce niveau de lecture serait réducteur. Tony Scott tisse en vérité un niveau de complicité entre pilotes qui transcende toute forme de rapport humain. La collusion de leur corps n’est jamais que le prolongement d’une parenté philosophique propre à leur métier. Si Maverick et Goose émulent parfois le fonctionnement d’un couple, c’est parce qu’il partage une chose unique, inaccessible au commun des mortels: eux seuls connaissent le vertige de la haute altitude à vitesse supersonique, et leur métier les force à mettre leurs vies sous la protection de leurs camarades.

Se réfugier uniquement dans la relation qui unit Maverick et Goose demanderait toutefois d’occulter un pan entier de Top Gun, central lui aussi, l’histoire d’amour entre le personnage campé par Tom Cruise et Charlie. L’interprétation poussée se prête par ailleurs à la réflexion autour de cette idylle. Dès les premier jets du scénario, la volonté affirmée est de faire de ce personnage féminin une décisionnaire extérieure à l’armée, issue de la vie civile. Le rôle joué par Kelly McGillis s’inspire par ailleurs d’une véritable femme, Christine Fox, à la situation similaire professionnellement. En faisant des civils l’objet de convoitise, Top Gun tisse un lien entre la population et l’armée. Les militaires sont séduits par le peuple, souhaitent le protéger, tandis que les civils sont dans une admiration constante pour l’armée. À mesure que le film avance, Kelly McGillis est par ailleurs de plus en plus vêtue d’habits qui évoquent les uniformes militaires, comme si les deux camps se rejoignaient progressivement. L’exécution est parfois grossière, et les scènes d’amour un peu vieilli, mais l’idée est là.

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Si l’essentiel de l’épopée se vit dans l’instant présent, Top Gun pose aussi un regard amer sur le passé et le futur. Car à l’évidence, comme une promesse implicite, les pilotes de l’académie devront un jour conduire leurs appareils vers des zones de guerre, au péril de leur vie. L’avenir apparaît fragile, presque une notion illusoire dont les aviateurs n’ont que vaguement conscience: commencer à y penser, c’est effectuer un premier pas en dehors de l’appareil. Devant un futur qui se dérobe à eux, certains regardent en arrière, et le spectre d’un père mort au combat plane sur la destinée de Maverick. Devant l’effroyable secret défense qui lui interdit de connaître les circonstances de ce décès, le héros est écartelé par le destin, entre un passé dont il ignore tout, et un lendemain qui finit par le terroriser.

Top Gun accuse un peu le poids de ses années, et son discours parfois proche de la propagande douce invite au questionnement moral. L’œuvre n’est pourtant pas creuse, même si elle reste assez anecdotique.

Top Gun est disponible en Blu-ray chez Paramount, dans une édition comprenant:

  • L’héritage de Top Gun, a tes six heures – trente ans de top
  • Commentaire du producteur Jerry Bruckheimer, du réalisateur Tony Scott, du coscénariste Jack Epps Jr., et des experts de la marine

Nicolas Marquis

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