Un cri dans la nuit
Un cri dans la nuit affiche

(Evil Angels)

1988

Réalisé par: Fred Schepisi

Avec: Meryl Streep, Sam Neill, Bruce Myles

Film fourni par L’Atelier D’Images

Le 17 août 1980, alors que sa famille est en vacances dans la nature sauvage du nord de l’Australie, la jeune Azaria Chamberlain disparaît. Âgé de seulement trois mois, le nourrisson est saisi par un dingo, alors qu’il dort sous une tente. Les traces de sang et les vêtements retrouvés sur place ne laissent que peu de place au doute qui entoure le drame. Néanmoins, seule sa mère Lindy a aperçu le canidé, et dans une hystérie collective totale, sa parole est remise en cause par une grande partie du pays. L’affaire Chamberlain devient alors le procès le plus suivi qu’ait connu l’Australie, tandis que la population est profondément divisée autour des circonstances de la mort du bébé. Si certains croient la mère éplorée, de nombreux observateurs l’accusent ouvertement de meurtre. Manipulation de preuves et cirque médiatique exacerbé plongent les australiens dans une frénésie entourant le tragique accident, et dans chaque foyer le débat fait rage. Jetés en pâture face à une opinion publique sans demi-mesure, les époux Chamberlain sont victimes des plus sordides insubordinations, et contraints de se présenter sur le banc des accusés. Six ans de bataille judiciaire pour la vérité s’engagent, et il faudra même attendre 2012 pour que Lindy soit complètement innocentée.

Dans les années 1980, le cinéaste Fred Schepisi est déjà une sommité en Australie. Son aura ne dépasse que peu les frontières, mais lui permet d’obtenir toutefois la confiance d’acteurs émérites, pour lesquels le réalisateur a la plus grande estime. Porte-drapeau du 7ème art australien, le metteur en scène se fraye même une place jusque dans les plus grands festivals du monde. Alors que l’affaire Chamberlain n’a pas encore connu son dénouement et que le combat continue de faire rage dans les tribunaux, il est approché pour en transcrire le déroulé sur grand écran. Fred Schepisi est initialement frileux: se pencher sur un procès en cours est source d’inquiétude pour lui, et la nécessité de faire preuve de la plus grande précaution pour s’en tenir aux faits, contrairement à de nombreux Australiens, est au cœur de ses inquiétudes. Cependant, la folie qui s’empare des ses concitoyens fascine Fred Schepisi, et en 1988, alors que la vérité est enfin établie, il accepte de mettre sur pied ce qui deviendra Un cri dans la nuit. La présence au casting de Meryl Streep et Sam Neill pour jouer les époux Chamberlain est également une assurance pour le cinéaste. Après avoir travaillé en compagnie des deux comédiens sur Plenty, en 1985, il sait que leur professionnalisme à toute épreuve apportera la justesse nécessaire à sa chronique judiciaire.

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Un cri dans la nuit fait de Lindy Chamberlain la clé de voûte du récit, davantage que son époux Michael, plus en retrait. Le long métrage la propulse en martyre de l’opinion publique, et le spectateur éprouve le poids des outrages qu’elle subit au plus prêt de son visage. Le deuil nécessaire lié à la perte d’un enfant lui est totalement renié, la forçant à se réfugier derrière une carapace d’apparences qui ne se fissure qu’à de très rares occasions. Ainsi, le sourire de façade de Lindy semble parfois de mauvais goût, et les éclats de rire à des instants tragiques ont de quoi glacer, mais face à l’ignominie d’une population aveuglée par la haine, les émotions de la protagoniste sont contrariées, chamboulées, mélangées, jusqu’à en devenir incohérentes. Rien ne prépare l’héroïne au morcellement profond de sa cellule familiale, tout comme rien ne la préparait à la perte de son bébé, mais pourtant, elle doit continuer de vivre avec bravoure face à l’épreuve de tribunaux. Sa volonté de faire un nouvel enfant accentue cette idée: une existence doit reprendre malgré les épreuves. Même si Fred Schepisi choisit de s’en tenir aux faits, il assimile pourtant le point de vue du spectateur à celui de Lindy en début de film: le public aperçoit lui aussi le dingo, créant ainsi un lien étroit avec la protagoniste, les unissant par une vérité que eux seuls partagent.

Face aux Chamberlain, Un cri dans la nuit montre un pays qui se déchire. L’Australie toute entière à une opinion sur l’affaire: à la terrasse des cafés, devant les échoppes, ou dans les soirées entre amis, le drame est le centre de toutes les conversations. Pour restituer cet emballement collectif, Fred Schepisi n’hésite pas à ponctuer son œuvre de véritables bagarres opposant les partisans des Chamberlain et leurs très nombreux détracteurs. À travers une succession d’instantanés sur des anonymes qui expriment leur parti-pris, Un cri dans la nuit replonge le spectateur dans l’hystérie de l’époque. Par ailleurs, le réalisateur joue sur le rythme de son montage pour décrire une courbe de progression frénétique: son long métrage épouse un tempo de plus en plus soutenu, jusqu’à balloter violemment le public de scènes en scènes. Une forte dénonciation accompagne la démarche d’Un cri dans la nuit, qui renvoie le spectateur face à ses propres convictions: alors que les éléments que l’on perçoit sont tous biaisés et dans l’absence de preuves tangibles, qui sommes-nous pour ériger notre opinion en vérité ?

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L’emballement médiatique est lui aussi lourdement mis en accusation, et parfois imposé comme le premier pourvoyeur de désinformation. Le moindre élément nouveau apporté à l’affaire devient une preuve à charge contre les Chamberlain, dans un travestissement total de la réalité. Un cri dans la nuit se fait même cynique au moment de représenter les journalistes, régulièrement hilares devant la retransmission télévisée du procès. Aucune notion de responsabilité ne les habite, et Fred Schepisi n’offre aucune nuance à sa vision désabusée des reporters. Ce qui était un fait divers tragique devient un déballage absolu de l’intimité d’une famille endeuillée, dans une quête de sensationnalisme débridée. Le long métrage montre un escamotage permanent de la réalité, notamment lorsqu’un journalisme capte d’abord les dires des Chamberlain, avant d’enregistrer ensuite ses questions et réactions. L’intimité n’existe plus, jusque dans les moments les plus triviaux et anodins. Sans cesse le film entoure les époux d’appareils photos, de caméras, et d’une foule déchaînée vociférant les questions les plus détestables.

La justice n’appartient ni au peuple, ni aux médias, mais les tribunaux eux-mêmes en sont dépourvus durant la quasi-totalité du film. Un cri dans la nuit en offre une représentation profondément défaitiste, loin de tout idéalisme factice. Non seulement les dires des témoins sont transformés par l’odieux procureur qui met en accusation Lindy, mais les experts scientifiques se rendent coupables d’une manipulation des preuves pour servir leurs convictions davantage que la vérité. Le long métrage interroge également sur une justice rendue par les civils: alors que l’affaire Chamberlain défraie la chronique, et malgré les suppliques du juge, comment un jury populaire pourrait se montrer impartial, tandis qu’autour de lui tous semblent voués à salir l’image des Chamberlain ? L’homme est par nature influençable et sujet aux émotions, ce que Fred Schepisi montre lorsqu’il propose des plans sur certains membres du jury en pleurs. Pourtant dévoués à la défense des Chamberlain, leurs avocats sont conscients de cette réalité, et bien que Michael ne partage que sa vérité à la barre, son attitude physique lui est reprochée.

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Pour ce personnage, pasteur de métier, les tragiques événements confinent à l’épreuve de foi. Durant les premières minutes du film, sa dévotion inébranlable est longuement établie par Fred Schepisi, qui en fait le socle de sa construction. Par la suite, son attachement à la religion servira d’éléments spéculatifs à charge contre lui. En trouvant une forme de paix avec Dieu, Michael apparaît froid devant l’opinion publique. Parce qu’il a réussi une impossible assimilation de l’injustice profonde de la vie, sa détermination devient un nouvel argument pour ses détracteurs, qui apparentent son détachement à un aveu de culpabilité. Si la religion catholique est explicitement montrée dans ses rites et dans son étude, Un cri dans la nuit convoque également l’image de croyances plus ancestrales, de façon plus implicite. Près du lieu du drame, une montagne sacrée australienne jette son ombre opaque sur la famille Chamberlain. Les divinités ont détourné leur regard, et ont laissé le pire prendre place.

Un cri dans la nuit dénonce les dérives de son temps et l’emballement médiatique en faisant preuve de la justesse nécessaire à la mise en image d’une histoire vraie.

Un cri dans la nuit est disponible en Blu-ray et DVD chez L’Atelier D’Images, dans une édition comprenant:

  • Entretien exclusif avec le réalisateur FRED SCHEPISI réalisé pour cette édition 
  • Bande-annonce originale

Nicolas Marquis

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