Attica
Attica affiche

2021

Réalisé par: Stanley Nelson, Traci A. Curry

Avec: Clarence Jones, John Johnson, Herman Schwartz

Film vu par nos propres moyens

Quel infame instinct pousse les hommes à asseoir leur domination sur leurs semblables ? Qu’est ce qui motive les êtres humains à faire des autres des citoyens de second rang, se retranchant derrière des privilèges abjects ? Dans l’Amérique des années 70, la ségrégation règne encore: après la décennie précédente, marquée par les assassinats en série des leaders de la lutte pour l’égalité, la population noire vit encore de plein fouet l’outrance d’un système conçu pour les opprimer. Parmi eux, les détenus sont encore plus muselés que ceux qui vivent dans une liberté déjà précaire. Personne ne veut entendre la voix des prisonniers, tout le monde détourne le regard devant le quotidien horrible qu’ils subissent.

Le 9 septembre 1971, la prison d’Attica, dans l’État de New York, se rebelle: face aux conditions de vie extrêmes, et au racisme endémique qui habite de nombreux gardes, les détenus, majoritairement à la peau noire, prennent de force le pénitencier. Durant 4 jours, ils occupent les lieux, reléguant les geôliers à l’extérieur du bâtiment. À l’intérieur, la lutte s’organise et des négociations avec les décisionnaires s’instaurent, jusqu’au jour funeste du 12 septembre, où la garde nationale décide de rétablir le pouvoir par la force, massacrant les prisonniers. C’est sur ces tristes événements que reviennent Stanley Nelson et Traci A. Curry dans leur documentaire Attica.

Un triste état des lieux

Pour parfaitement nous faire saisir les racines de la lutte qui s’est cristallisée à Attica,le duo de documentalistes en charge du film fait le choix de nous plonger dans le cœur des inégalités qui frappent les USA, dans la partie initiale de l’œuvre. Si c’est bel et bien autour de la prison que s’articule le film, Stanley Nelson et Traci A. Curry n’hésitent pas à s’en écarter un bref instant pour opposer deux populations vivant dans un contraste effroyable: d’un côté, les blancs, dans une certaine opulence. La ville d’Attica en elle-même y est montrée comme un village joyeux, où le rêve américain s’épanouit. De l’autre, les minorités, où la pauvreté est synonyme de souffrance intense et où la ségrégation est palpable. C’est d’ailleurs la mort de George Jackson, figure emblématique des Black Panthers qui met le feu aux poudres dans les cellules d’Attica.

Attica illu 1

Toutefois, le point de vue adopté par le long métrage se centre rapidement sur les détenus. Attica se transforme en chronique d’un fait historique que trop de gens ignorent, en témoignage d’heures funestes pour les USA. Au cœur du film s’articule la lutte légitime d’hommes opprimés, prêts à tout pour ne plus vivre comme du bétail, mais à l’inverse recouvrer un semblant de dignité. Au diable les violences morales, comme l’obligation de manger du porc pour les prisonniers musulmans, les brimades physiques, lorsque des matons sont autorisés à pénétrer en pleine nuit dans la cellule de leur choix pour molester un détenu. Ces être humains veulent le respect, par tous les moyens (“By any means necessary” disait Malcolm X, cité dans le documentaire). Si la rébellion et la prise d’otage est leur seul levier, alors ils l’emploient sans hésiter.

Deux camps qui s’opposent

Si on aurait pu croire, et c’est indéniablement l’image que se fait une partie de la population américaine à l’époque, que l’anarchie règne dans les murs d’Attica au moment de la rébellion, la réalité est tout autre. Derrière les hauts remparts de la prison, les détenus s’organisent habilement, dressent des tentes, élisent des porte-paroles, prennent un soin relatif de leurs otages. Le documentaire nous permet même par instant d’être inviter à la table des négociations pour constater que les prisonniers sont loin d’être dupes: certes, certaines de leurs revendications apparaissent farfelues, mais un certain esprit critique les habitent. À plus forte raison, ils réussissent ce que l’Amérique ne parvient pas à faire: unir toutes les couleurs de peau autour d’une cause commune.

Attica illu 2

Dès lors, l’intervention armée qui met fin au 4 jours de rébellion résonne comme un traumatisme effroyable. Les événements d’Attica se finissent dans un bain de sang total, dans un massacre organisé par les pouvoirs politiques, acculés. Dans une galerie d’images au bord du soutenable, Attica expose la violence en réponse au cri d’alarme d’hommes sous pression. Des flots rouges coulent dans la cour, les détonations des armes à feu traumatisent jusqu’aux journalistes présents sur place. La réponse tourne à l’affront historique: la laisse est lâchée pour des hommes rongés par le racisme (“White Power” hurle la garde nationale). Comme un témoignage de ce triste résultat, la mort des otages, non pas des mains des détenus mais bien de celle des forces de l’ordre, apparaît effroyable. La vexation perdurent au-delà de l’intervention: rangés en file indienne, complètement nus, les survivants d’Attica nous renvoient l’image de l’esclavagisme.

Regrets sur la forme

Pour étayer leur film, Stanley Nelson et Traci A. Curry utilisent les leviers connus du documentaire. Leur principale arme reste le montage, alternant image d’archives, et témoignages de personnes ayant vécus les événements d’Attica au plus proche. Une forme un peu ronflante et convenue, mais qui permet d’atteindre une certaine sincérité. Soulignons au moins la volonté de faire intervenir des personnes qui ne sont pas de hauts décisionnaires, mais bel et bien des personnes témoins de la tragédie, sous toutes ses formes. Essentiellement, ce sont des anciens prisonniers qui livrent leur parole, mais le micro capte aussi les dires de journalistes, de familles d’otages, et de participants aux négociations.

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C’est sans doute d’ailleurs dans ces instants que Attica se fait le plus saisissant. Il paraît incroyable que les images des négociations aient pu être captées, et leur restitution propulse dans un voyage temporel, au plus proche du drame. Il en émane un sentiment étrange, celui que tout ceux assis à la table des échanges ne sont pas dupes: rien ne se résoudra, on repousse simplement la funeste échéance. Plus traumatisant encore apparaissent les visuels du massacre. Comment et pourquoi des soldats ont-ils décidé de les filmer, on ne le saura jamais, mais une chose est sûre: s’y confronter est un devoir de mémoire indispensable auquel Attica ne se soustrait pas une seule seconde.

Rien de nouveau dans la forme, mais de la pertinence dans le fond. Attica est un documentaire indispensable pour entretenir le souvenir de ceux qui sont morts pour l’égalité, ceux qui ont décidé de dire “Non !”.

Nicolas Marquis

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