Sans un bruit

(A Quiet Place)

2018

Réalisé par: John Krasinski

Avec: John Krasinski, Emily Blunt, Millicent Simmonds

Les années 2010 resteront un cru relativement savoureux pour les films d’horreur. Inventivité, originalité et impact marquent une nouvelle génération de cinéastes désireux de dépoussiérer le genre. Dans le sillage de “Get Out”, “The Witch” ou “Grave” chez nous, s’engouffrent une ribambelle de films allant de l’anecdotique au chef d’œuvre. Parmi eux se trouve “Sans un bruit” de John Krasinski: si le long métrage n’est pas la tête de gondole de ce nouveau courant, il serait bien idiot de ne lui porter aucune considération tant la proposition de l’ancien acteur de “The Office”, ici metteur en scène, scénariste et l’un des protagonistes principaux, regorge de petites idées qui fonctionnent à merveille. À quelques jours de la sortie du deuxième volet déjà auréolé de succès outre-Atlantique, Les Réfracteurs reviennent sur “Sans un bruit”.

Cette pastille horrifique c’est presque un concept avant d’être une histoire, un univers post-apocalyptique régi par une règle simple: ne faites aucun bruit. Le moindre son attire invariablement des créatures hideuses (d’origine inconnue et franchement on s’en fiche un peu) qui viennent vous déchiqueter sans ménagement. Grâce à cette variation scénaristique très simple, “Sans un bruit” va constamment être porté par son esprit ludique et délicieusement sadique. Il existe dans le long métrage un plaisir presque enfantin à voir ce jeu de cours de récré prendre ici des allures d’épouvante.

Mais malgré cette âme à la fois vicieuse et rieuse, le film de John Krasinski ne tombe jamais dans la facilité. On est ici en présence d’une pellicule qui choisit de délivrer son angoisse à travers son ambiance et sa montée en pression progressive plutôt qu’à travers des jump scares putassiers. Le long métrage réserve son lot de sursaut mais on le regrette presque, comme si le réalisateur faisait des concessions au grand public alors que le spleen et le stress permanent remplissaient déjà admirablement le contrat. “Sans un bruit” est conscient de son message et a une idée très précise de comment il souhaite le délivrer malgré tout.

« On a dit chut, bordel! »

Le fond du film n’évolue pas uniquement dans un domaine propre au divertissement: en nous proposant de suivre une famille endeuillée par la perte de l’un de leurs trois enfants, John Krasinski transforme le silence imposé par son scénario en véritable métaphore d’une mort impossible à surmonter. C’est parfois presque comme si nos héros n’avaient rien à se dire et ce malgré les monstres qui rodent. “Sans un bruit” offre une photographie de ces familles morcelées avec tact. Il n’est pas ici uniquement question de survie mais bien de reconstruction, à l’image de la grossesse de la mère de famille (Emily Blunt), signe d’un futur précaire mais possible.

La force de cet axe scénaristique est décuplé par un casting franchement convaincant. Si l’implication de John Krasinski semblait acquise, le choix d’Emily Blunt, sa compagne en dehors des écrans également, semble permettre à “Sans un bruit” de caresser une certaine authenticité primordiale à l’acceptation de l’œuvre. Même les enfants, un point sur lequel Les Réfracteurs sont d’ordinaire très froids, semblent faire le travail convenablement, privilégiant l’unité globale à l’individualité.

Intéressant également de constater qu’une fois de plus dans un film d’horreur, les erreurs éliminatoires sont d’origine bien souvent plus émotive que purement matérielle. Ce sont nos sentiments qui nous poussent à la faute, ce qui fait de nous des humains. Un certain fatalisme plane sur le long métrage malgré l’espoir perpétuellement entretenu: et si la destruction était notre avenir quoi que nous fassions? “Sans un bruit” à le bon goût de rester à l’échelle intime et de ne pas s’aventurer dans des sphères plus hautes pour trouver un échappatoire inutile à ce monde en décrépitude.

Toutes ces thèses que porte “Sans un bruit” vont trouver écho dans une réalisation plutôt inspirée de la part de John Krasinski, toujours prêt à trouver du rebond pour maintenir la tension. En quelques plans astucieux et à travers un travail de lumière intéressant, l’ancien acteur de comédie montre qu’il possède un certain savoir-faire en termes de mise en scène. “Sans un bruit” apparait propre, léché, sans errance visuelle majeure. On notera également le bon travail autour du son: le film réussit à proposer des nuances de silence différentes, parfois naturelles, électriques ou totales. Une prouesse et une idée savoureuse, à l’image de l’œuvre.

Sans un bruit” est un de ces fiers représentants de la nouvelle école de l’horreur. Prenant et intelligent dans sa construction, John Krasinski passe admirablement derrière la caméra.

Nicolas Marquis

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