Run

2020

Réalisé par: Aneesh Chaganty

Avec: Sarah Paulson, Kiera Allen, Pat Healy

Certaines figures emblématiques semblent indissociables d’un genre cinématographique particulier. Des véritables tronches du 7ème art qui ont marqué leur domaine invariablement. On a tous en tête les héros musclés des films d’action des années 90 par exemple, et on se remémore facilement Sylvester Stallone ou Bruce Willis dans leurs rôles cultes. La même théorie se vérifie dans le cinéma d’horreur qui vampirise certaines carrières pour se les approprier. Nombre de cinéastes et d’acteurs sont restés cantonnés à l’épouvante, parfois avec un succès retentissant, et on serait prêt à faire de Sarah Paulson un exemple parfait de notre thèse. Si on ne saurait résumer sa filmographie à cette simple niche, on est bien obligé de constater qu’en quelques interprétations, et notamment à la télévision dans “American Horror Story”, la comédienne s’épanouit dans ce style si particulier. En voyant débarquer “Run” auquel son nom est associé, le sentiment est double: d’un côté une certaine complicité, de l’autre des attentes élevées qui vont s’avérer dures à combler.

Dans ce thriller d’épouvante, Sarah Paulson interprète une mère de famille célibataire dévouée à l’éducation à domicile de sa fille en situation de handicap sévère (Kiera Allen). Les deux femmes vivent recluses dans la campagne américaine et lorsque l’adolescente va entrevoir son avenir à la fac, loin de son logis, elle va se rendre compte que sa génitrice va tout faire pour la garder près d’elle, allant jusqu’à mettre en péril sa santé et sa liberté.

Comme souvent en termes de cinéma d’horreur, c’est sur la notion de rythme qu’on va s’attarder en premier. Le tempo est toujours un élément essentiel pour marquer le spectateur au plus profond de son être et on apprécie ici les efforts du réalisateur Aneesh Chaganti dans le domaine. Son film se fait suffisamment haletant pour ne pas perdre le public sur le coup, et même si l’après-séance fait naître des interrogations, on est pris dans la tourmente le temps du long métrage grâce à un montage sec et une durée restreinte.

« Effectivement, un peu envahissant comme amour. »

C’est surtout le choix de délaisser la course habituelle aux jump scare idiots qui a su nous parler. Aneesh Chaganti amène son lot de rebondissements mais sa proposition filmique semble davantage s’appuyer sur une montée en régime progressive, une escalade de tension qui tend vers un climax à bout de nerfs. On est ici face à un jeu du chat et de la souris délicieusement pervers entre cette mère possessive et cette adolescente entravée, une horreur de situation plus que de surprise.

Dommage de voir “Run” se réfugier par moment dans une grammaire de torture un peu trop prononcée et pas forcément pertinente. Le handicap de la jeune fille semblait déjà une façon intéressante de faire peser un fardeau sur une protagoniste principale sans qu’on ressente le besoin de voir des élans légèrement gore comblés. Aneesh Chaganti perd parfois confiance en lui et oublie ce qui fait la force de sa pellicule.

Hésitations aussi dans la direction d’acteurs parfois grossière que nous propose le jeune cinéaste. Difficile de pardonner ces instants où Sarah Paulson bascule dans l’exagération totale de son personnage pour mieux nous vendre sa psyché. Avec une telle muse, spécialiste de la discipline, on pouvait attendre mieux de “Run”, une subtilité maintenue pour alimenter le doute autour du mystère du film plutôt qu’une avalanche de cris et de pleurs.

Pris dans le mouvement du film à suspense, on ne se rend pas non plus forcément compte immédiatement du côté dirigiste de l’œuvre. C’est après l’avoir légèrement digéré qu’on comprend que chaque préparation scénaristique du film est trop calculée pour paraître naturelle. Des fusils de Tchekhov un peu pathétiques qui font de “Run” un long métrage qui n’a presque aucun intérêt à être revu.

Pourtant, il y avait de quoi construire un second niveau de lecture intéressant autour du dilemme de l’enfant malade et de la dépendance. Bien sûr, on attendait pas de grands bouleversements sociologiques du film mais régulièrement, le cinéma d’horreur sait souligner les travers de notre société. “Run” n’ignore pas cette relation un peu malsaine, mais il la caresse trop passivement pour en faire une force, se contentant d’être un simple récit d’émancipation, presque un “coming-of-age” déguisé. Plus largement, le problème du handicap et son impact sur la vie personnelle fonctionne en tant qu’entrave physique de l’héroïne mais beaucoup moins lorsqu’il s’agit de développer du fond.

Run” aurait pu interpeller mais semble rater une occasion de trouver de l’originalité dans un genre qui ne sera pas marqué par cette proposition mineure.

Nicolas Marquis

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