Antigone

2020

réalisé par: Sophie Deraspe

avec: Nahéma RicciRawad El-ZeinAntoine DesRochers

Les grandes histoires ne meurent jamais, elles se transforment. Cette maxime simple, on a eu de cesse de la répéter sur notre site au fil de nos écrits tant elle nous paraît véridique. Lorsqu’on fouille l’âme humaine pour théoriser son fonctionnement, on constate avec un certain pessimisme que ce qui valait à l’Antiquité existe encore aujourd’hui. C’est la misère de l’humanité, répéter sans cesse les mêmes erreurs. Une solution existe pourtant: s’appuyer sur les grandes œuvres pour mettre en évidence ces turpitudes et à ce jeu, il est de nombreux créateurs qui n’hésitent pas à transposer à notre époque des textes très anciens. C’est dans cette démarche louable que va s’inscrire “Antigone” de Sophie Deraspe.

Une relecture du mythe d’Antigone donc (interprétée ici par Nahéma Ricci): alors que sa famille a fui la Kabylie pour se réfugier au Canada, laissant derrière elle le cadavre des deux parents, Antigone, ses deux frères, sa soeur et sa grand-mère vivent une existence plutôt heureuse. Tout va malheureusement basculer lorsque le frère aîné est abattu froidement par la police tandis que l’autre est emprisonné avec une possible extradition à la clé. Antigone va échafauder un plan pour prendre la place en prison de Polynice, lui permettant de prendre la fuite, et se confronter à la froideur du système judiciaire absent de tout sentiment.

Cette remise au goût du jour d’un récit de la Grèce antique trouve admirablement sa place dans notre société moderne. Les Réfracteurs ne sont pas des spécialistes de la tragédie grecque, mais après avoir épluché un peu ce mythe, la proposition de Sophie Deraspe nous est apparue d’une pertinence absolue. En présentant une classe sociale opprimée, celle des immigrés qu’on ostracise souvent, la cinéaste réussit à trouver un rebond magnifique et faire d’“Antigone” une oeuvre chargée émotionnellement, qui va venir puiser son inspiration dans des notions aussi variées que l’amour fraternel ou le racisme. Des luttes incroyablement modernes pour un film canadien, alors que le continent Nord-Américain s’embrase devant des cas de bavures policières répétées.

C’est en conséquence avec une force incommensurable qu’”Antigone” va se faire poignant. Le long-métrage est un uppercut droit dans l’estomac qui cloue sur place les plus gaillards d’entre nous. Pourtant, l’oeuvre n’est jamais forcée, elle se déroule avec un certain naturel, sans obliger la larme passé sa mise en place. C’est la force des bons films: ne pas imposer, simplement proposer et laisser le chemin logique se faire chez chacun d’entre nous, sans grand effet de manche. Pas de concession, pas de temps mort, mais pas de message froidement martelé non plus.

« Ça fait un peu Playmobil la coupe quand même »

C’est d’autant plus agréable que Sophie Deraspe trouve à l’écran une science des couleurs enchanteresse. Il y a le rouge qui symbolise Antigone et qui revient régulièrement devant nos yeux, mais c’est une palette générale très variée que propose la réalisatrice pour donner plus de facilité à sa narration. “Antigone” chatouille l’âme et les yeux avec une force bien répartie.

Moins heureux sont les passages où la cinéaste tente de restituer le fil des réseaux sociaux qui s’enflamment pour Antigone. Assemblage épileptique d’images très clichées et de morceaux de conversation pas vraiment plus originaux, ces séquences sont complètement dispensables et cassent un peu le rythme du film. On a par ailleurs eu assez de mal, malgré notre affection pour la balle orange, à saisir le rapport entre “Antigone” et le basket. Un détail.

C’est sûrement car ils puisent leur inspiration dans des personnages datant des premiers temps du théâtre que certains protagonistes nous sont également apparus fortement manichéens. Les adultes principalement ont malheureusement tendance à être très tranchés, sans vraiment de demi-mesure. C’est probablement ce que le film réussit le moins et c’est assez pénalisant pour l’histoire.

Heureusement, Nahéma Ricci nous propose elle une prestation de haut vol. Si jeune et si puissante, elle donne vie à Antigone, s’affranchissant de tout aspect trop écrit des dialogues pour leur donner une touche naturelle et très personnelle. Elle semble tout simplement avoir été faite pour ce personnage qu’elle délivre avec une puissance incroyable.

Pari réussi pour “Antigone”, qui malgré quelques errances dans la réalisation réussit à nous offrir une relecture pertinente et très actuelle d’une des plus vieilles histoires du monde.

Nicolas Marquis

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