2021
Réalisé par: Craig Gillespie
Avec: Emma Stone, Emma Thompson, Joel Fry
Film vu par nos propres moyens
Dans son incessante entreprise de recyclage des gloires du passé, Disney a fait de la transposition en prises de vues réelles des dessins animés de notre enfance un fond de commerce. Si les productions Marvel Studio établissent des records de spectateurs, les remises au goût du jour des anciens succès assurent également un socle financier solide. Une pratique bien souvent détestable: s’appuyant sur le moins d’élans créatifs possibles, le géant du divertissement se contente bien souvent de ressortir ses anciens scripts avec une certaine fainéantise. Cruella, de Craig Gillespie, a au moins pour lui le bon goût de s’écarter de cette règle mortifère pour proposer une histoire différente, qui nous plonge aux origines de cette antagoniste iconique des 101 dalmatiens. Il faut dire que le jeu de l’adaptation avec des acteurs de chair et de sang, cette licence l’avait déjà tenté avec Glen Close, pour un succès relatif. Reconnaissons donc à Cruella une certaine originalité, mais malheureusement, l’intention et le budget ne suffisent pas à produire de grands films, le talent est aussi requis.
Dans cette nouvelle déclinaison, celle qui deviendra la terrible traqueuse de dalmatiens s’affiche d’abord dans sa plus tendre enfance: après un accident tragique où Estella, puisque c’est le nom de baptême de la future Cruella, voit sa mère mise à mort par une despotique créatrice de mode surnommée La Baronne (Emma Thompson), cette orpheline prend la fuite vers Londres où elle vit de petits larcins en compagnie de ses amis Jasper et Horace (Joel Fry et Paul Walter Hauser). Des années plus tard, ses rêves de devenir elle aussi confectionneuse de vêtements de luxe prennent le pas sur le quotidien précaire d’Estella (désormais sous les traits d’Emma Stone), devenue adulte. Son périple croise toutefois à nouveau le chemin de La Baronne et les souhaits de vengeance de l’héroïne du film la font progressivement basculer dans la rage, l’invitant à épouser le nom et la personnalité néfaste de Cruella. Pour assouvir sa rétribution, Estella se rapproche d’abord professionnellement de sa rivale, avant de laisser son alter-égo s’affirmer pour détruire la réputation de La Baronne dans des shows de haute couture endiablés, avec pour but secret de lui dérober son précieux collier.
Personnages connus
L’ambition d’offrir à Cruella des origines à son comportement patibulaire connu de tous se fait donc louable, et trouve une certaine résonance dans le cœur des grands enfants. Craig Gillespie commet toutefois l’imper inexcusable de rater la personnification de son protagoniste qui apparaît hautement versatile. Le jeu autour de sa double personnalité ne prend pas: le traumatisme qui devrait l’expliquer semble toujours trop lointain dans la mise en images pour qu’on en saisisse la douleur sans un effort de compréhension qui devrait émaner de la pellicule. Plus ambiguë encore est la première moitié du film, au cours de laquelle Estella se conforme servilement aux quatre volontés de La Baronne, avant qu’un rebond grotesque du scénario ne fasse basculer le film. À plus forte raison, cette portion du récit fait bien pâle figure en comparaison de l’excentricité plus charmeuse des saillies de Cruella. Trop tard toutefois, la mise en place est ratée.
Ce qui s’applique à Estella se vérifie encore plus vivement chez les personnages secondaires, affreusement caricaturaux. Jasper et Horace se laissent marcher sur les pieds ouvertement, d’autres protagonistes se greffent à la quête de Cruella sans aucune raison apparente, tandis que La Baronne rappelle les plus tristes heures du Diable s’habillent en Prada, influence assez marquée du film. Sur l’autel de la digestion facile, Craig Gillespie pense pouvoir s’affranchir de toute sophistication scénaristique, ne sachant jamais réellement quel point de vue épouser: impossible d’éprouver de l’empathie pour des intervenants esquissés comme guignolesques, tout aussi inimaginable de s’attacher à Cruella et à sa folie mégalomane. Les rares scènes d’émotions apparaissent incongrues tant l’oeuvre s’évertue à se cantonner la plupart du temps au divertissement relativement idiot.
Cible manquée
En découle un problème de cible évident: en cherchant à plaire à petits et grands, Cruella ne séduit personne. Si l’humour se fait lourdingue, c’est davantage la segmentation entre ces deux publics qui interpelle: ici une scène pour ceux qui ont grandi, là une séquence pour les plus jeunes, mais jamais de moment qui marie les deux de façon équilibrée. On nage en plein long métrage tout aussi schizophrène que son héroïne. On est loin de la maestria d’un film Pixar qui sait faire vibrer notre âme. Cruella est désincarnée, insipide, sans cesse dans le mauvais ton.
Pourtant certaines idées se prêtaient à une interprétation plus fine: lorsqu’Estella confectionne une robe, faite de larves d’insectes qui éclosent au moment du gala de La Baronne, on comprend que le personnage a terminé sa mue et est devenue maléfique. Une idée balayée à vitesse grand V par Craig Gillespie qui évacue cette scène sans la comprendre pour retourner se réfugier dans des clins d’œil sans aucune subtilité aux dessins animés. Cruella ne confine pas au fan service, il l’embrasse goulument dans une avalanche de bave nostalgique poisseuse. L’idiotie n’est jamais loin dans un film qui sous-estime l’intelligence du spectateur.
De beaux atours
Dans le chaos inhérent à Cruella, une élément sauve le bateau du naufrage: sa direction artistique. Le long métrage pourrait bien figurer aux Oscars dans cette catégorie, et il le mérite honnêtement. Aussi amer soit-on à la fin de la séance, le jeu de costumes excentriques et de décors dynamités fonctionne parfaitement et donne au moins une identité au film. Le style sans le fond ne saurait nous contenter, mais une certaine jubilation émane des démonstrations tapageuses de Cruella, toutes plus disjonctées les unes que les autres. Craig Gillespie semble même un temps vouloir s’appuyer dessus pour dénoncer un univers où le show médiatique l’emporte sur la qualité des propositions artistiques, mais démissionne vite de cette responsabilité. Contentons nous donc de voir Emma Stone s’afficher dans une esthétique pop, sur une musique judicieusement choisie.
Un nouveau souci annihile malheureusement cette incursion de bon goût: le montage proposé par Cruella, ainsi que sa photo, ne rendent jamais honneur à ses éléments graphiques. Dans la première moitié du film, une logique de fuite en avant effrénée empêche Craig Gillespie de poser son regard, transformant son œuvre en morceau de cinéma hystérique et désagréable dans l’émotion pure. Un rythme complètement cassé dans la seconde portion, où le cinéaste semble cette fois désintéressé par les choix de cadres, s’appuyant perpétuellement sur la plastique d’Emma Stone plutôt que de filmer le centre d’intérêt des séquences. En ne trouvant pas le juste équilibre, le réalisateur affiche un manque de talent criant qui achève de faire de Cruella un moment irritant et oubliable.
Cruella est distribué par Disney.
Même lorsque Disney s’écarte de sa logique mercantile machinale, le manque d’ambition nivèle par le bas leurs productions en prises de vues réelles autour de personnages issus de leurs dessins animés.
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