Cut Throat City

2020

réalisé par: RZA

avec: Shameik MooreT.I., Eiza Gonzalez

Comme il est toujours douloureux de voir nos idoles se fourvoyer. Inconditionnels du Wu-Tang, les Réfracteurs ont une tendresse toute particulière pour l’un des fondateurs du groupe de rap de New-York, RZA. Un musicien de génie mais également un touche-à-tout pluridisciplinaire qui gravite depuis quelques années autour du monde du cinéma, notamment grâce à quelques collaborations avec Quentin Tarantino pour les OST de ses films. Mais RZA s’essaye également à l’écriture et à la réalisation, et on attendait donc un peu son dernier film “Cut Throat City”. Inutile de faire durer le suspens, le talent musical ne s’est pas transposé à la mise en scène.

On va quand même vous planter le décor: à la Nouvelle-Orléans, juste après le passage de l’ouragan Katrina, la vie est effroyablement difficile dans les quartiers modestes réduits à néant par la catastrophe. 4 amis vont décider de sortir de la galère par le plus mauvais moyen possible: en braquant un casino. Poursuivis par la police mais surtout par les gangsters locaux, ils vont fuir pour tenter de survivre.

Avec un tel pitch, on aurait pu penser que “Cut Throat City” amorçait un message politique intéressant, mais non. Enfin pas tout à fait, soyons honnêtes, RZA essaye de faire passer une réflexion plus profonde dans son film mais d’une manière forcée, qui manque de naturel. Sa direction d’acteurs et sa mise en scène sont très approximatives et c’est un écueil qui va condamner le long-métrage très rapidement.

A l’échelle de la rue, dans le périple des 4 compères, on accumule toute une série de clichés complètement naïfs et surfaits. C’est particulièrement étonnant car malgré le succès, RZA n’a jamais semblé être déconnecté des milieux les plus pauvres. On aurait tendance à penser qu’il a essayé de condenser dans ces 4 protagonistes une espèce de florilège des courants de pensée des jeunes défavorisés, mais il en ressort une impression de caricature désagréable.

« Moi et mon crew »

Au niveau supérieur, lorsque RZA étale pouvoirs politiques et police, on ne voit pas beaucoup plus de pertinence. Son maillage ne fonctionne pas, malgré toutes ses bonnes intentions, et on a même l’impression que certains de ses propos relèvent davantage du fantasme que de la chronique vraisemblable. On a même le droit à certaines théories proche du complotisme car franchement mal amenées. RZA veut trop en dire et oublie la cohérence de son récit.

Le réalisateur n’est pas aidé par un montage franchement lamentable. Les scènes s’assemblent mal, l’enchaînement des plans semble parfois dissonant et toute notion de rythme scénaristique est annihilée par cet amateurisme. C’est étonnant de le dire pour un musicien qu’on adore, mais son sens du tempo (au moins en matière de cinéma) est calamiteux, plus proche d’un téléfilm de bas étages que du 7ème art.

Difficile de faire mieux ceci dit avec un fil scénaristique aussi mal tissé. Chaque scène qui apporte un brin de tension est contrariée par des dizaines de séquences plates qui lui succèdent. Jamais le film ne nous prend à la gorge, comme un bon thriller. Non, ici on se perd en explications inutiles et bien trop explicites.

C’est franchement dommage car en plus de son message qui aurait pu intriguer, RZA propose tout de même à quelques instants (certes rares) des plans qui intriguent. La saturation d’une couleur pour restituer une nuit presque électrique ou les scènes de braquage qui rappellent l’époque du western: le cinéaste n’est pas foncièrement mauvais, il est juste inexpérimenté.

Mais ce qui nous a le plus étonné et déçu, c’est la timidité musicale de RZA. Par endroit, quelques virgules de rap ponctuent le récit, mais globalement, la musique du film est discrète, voire absente. Pourquoi diable ne pas avoir utilisé son génie pour insuffler quelques mélodies marquantes? Peut-être l’envie de montrer autre chose lui a fait oublier sa force principale.

Cut Throat City” est un mauvais film. Malgré l’amour qu’on a pour RZA, on ne peut le dire autrement. Un acte manqué qui n’entache pas notre affection mais qui montre que la route est encore longue pour que le musicien devienne cinéaste.

Nicolas Marquis

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