Si loin de l’enfer

2022

réalisé par: Maxime Simone

avec: Crystèle Renaudin, Pierre Zani

Avant-propos: la version de Si loin de l’enfer que nous avons eu la grande chance de découvrir est une copie de travail. Le film a connu de nombreuses évolutions depuis, et nous restons en contact avec Maxime Simone pour suivre l’avancement du projet. Comptez sur nous pour vous tenir informés lorsque le projet approchera de sa distribution.

Alors qu’Oracle et moi pénétrons dans la salle, on jette un bref coup d’oeil au public présent: le festival “Vision d’Histoire” bat son plein et quelques curieux sont venus découvrir “Si loin de l’enfer”, le documentaire de Maxime Simone. Une certaine mixité se dégage de cette foule disparate: tous les âges semblent présents, des plus anciens aux jeunes adultes. Un symbole intéressant pour un film qui entend tisser un pont entre passé et présent. Humble et un peu réservé, le cinéaste nous présente brièvement son oeuvre, puis la lumière s’éteint. À cet instant bien précis, à cette seconde, nous sommes encore tous innocents: on ne sait pas encore la claque émotionnelle qu’on va prendre.

Si loin de l’enfer”, c’est le portrait de deux personnes, Crystèle Renaudin et Pierre Zani, tous les deux descendants de femmes déportées pendant les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, Germaine Renaudin et Madeleine Zani. Maxime Simone va, en même temps qu’il décrit la vie de ces deux personnages si attachants, se lancer sur les traces de leurs aïeux, accompagné de Crystèle, des villages de l’est de la France jusqu’aux vestiges sinistres du camp Auschwitz.

D’emblée, le caractère de Crystèle Renaudin nous séduit. On a face a nous une femme un peu désinvolte, qui porte en elle une forme de douleur cachée qui nous a ému. Pour peu, on aimerait être ami avec elle, discuter, apprendre de ses expériences. Chaque virgule de son quotidien qui ponctue le film affirme à chaque fois un peu plus une personnalité soucieuse du monde qui l’entoure.

Pour Pierre Zani, l’émotion est plus immédiate. Dispersé au fil du long-métrage, cet homme plus âgé a eu besoin de livrer son témoignage, sa douleur, en un seul entretien. C’est d’entrée que les peines de cet homme qui a perdu sa mère très tôt nous frappent. Il ne dissimule pas ses larmes mais nous les communique inlassablement. Nul doute que ce film est pour lui une catharsis indispensable, une épreuve utile.

Ce contraste entre leurs deux témoignages, l’un dans l’instantané, l’autre plus diffu, prend aux tripes, nous force avec beaucoup de sincérité à nous émouvoir pour ces deux protagonistes. Jamais “Si loin de l’enfer” ne va tomber dans des larmes fabriquées, bien au contraire: le film se contente d’exposer et c’est suffisant. C’est grâce à cette démarche d’authenticité qu’il nous touche en plein coeur.

L’une des idées intéressantes du documentaire est probablement cette volonté de mettre en lumière non pas deux destins qui se sont croisés, mais plutôt deux trajectoires qui auraient pu se côtoyer. En ne cherchant pas à totalement rapprocher les deux femmes martyres, Maxime Simone affirme une idée pertinente: alors que l’identité est réduite par les barbares à un simple matricule, les gestes de soutien on pu venir de n’importe qui. Peut-être les deux ancêtres ont eu un mot, un geste de réconfort. En laissant planer ce doute, le réalisateur trouve une belle mécanique.

« Au bout du voyage »

C’est ce naturel jamais forcé qui va également mettre en avant une vérité frappante: Crystèle Renaudin et Pierre Zani ont le combat dans le sang. Bien sûr, jamais on n’ose comparer leur indignation face à l’actualité avec les horreurs de la guerre, mais le documentaire porte malgré lui cette idée qu’il existe une proportion à la révolte presque gravé dans l’ADN. C’est particulièrement marquant lorsque Crystèle se confie: on aperçoit dans ses propres luttes la mémoire de sa grand-mère.

Dans la forme, Maxime Simone commet quelques minuscules erreurs: quelques longueurs microscopiques notamment, mais en même temps qu’on écrit ces lignes, on se dit qu’on pinaille, qu’on cherche ce qui ne pourrait pas aller dans son film alors que l’important n’est pas là. Le cinéaste se réserve d’ailleurs de son propre aveu le droit d’effectuer quelques retouches avant la finalisation de son projet.

Et pourtant, malgré les hésitations de Maxime Simone quand à son propre film, il réussit déjà à lui donner une identité propre. On sent là le travail d’un passionné de cinéma qui réussit à donner un rythme et un montage dynamique dans cette histoire poignante. Le réalisateur offre beaucoup de liant dans son film et nous immerge magnifiquement dans son récit.

L’aspect road-movie de son oeuvre fonctionne parfaitement bien aussi. On est dans les bagages de Crystèle Renaudin, en immersion dans sa quête de vérité. Avec en fil rouge la Shoah, mise en parallèle avec l’existence actuelle des deux intervenants principaux, le film trouve un juste équilibre pour délivrer son message indispensable de mémoire, cette volonté de ne jamais oublier.

Régulièrement, des passages lus tirés des écrits de Charlotte Delbo viennent nous gifler avec une force incroyable. Ces virgules n’ont rien de respirations, bien au contraire, elles maintiennent une pression constante et leur contenu nous mortifie, nous marque à jamais.

Maxime Simone ne s’en contente pas et va dans sa démonstration imposer quelques éclairs de génies foudroyants, notamment grâce à son travail autour du son. Parfois, le cinéaste s’arrête et sa voix-off apostrophe directement Crystèle, invitant à l’intimité, ou bien d’autres fois sur les rythmes de batterie de l’héroïne passionnée de musique viennent se superposer le bruit des bottes qui martèlent le pavé. Des séquences éclatantes de brio.

Puis il y a la qualité des interventions de Crystèle qui nous forcent à nous remettre en question. On voudrait nous interdire des parallèles entre l’actualité et les pires heures du siècle passé alors que le comparatif doit être utile. On a tous une responsabilité par rapport à nos ancêtres: celle de tirer la sonnette d’alarme tant qu’il est encore temps. Lorsque cette femme si facile à aimer évoque les malheurs des migrants, on comprend immédiatement quelque chose d’indispensable: on a la liberté de nos opinions mais l’interdiction d’en avoir rien à foutre. C’est un devoir.

Mais il y a aussi l’espoir. “Si loin de l’enfer” n’est pas que triste, il est aussi plein d’optimisme. Il nous invite directement à vivre, à “trouver quelque chose qui nous justifie” comme l’énonce clairement le film. Face à l’adversité de nos quotidiens, en mémoire de nos ancêtres, il faut qu’on se transcende nous aussi, qu’on ne courbe pas l’échine, qu’on existe tout simplement.

Vous aurez peut-être du mal à voir “Si loin de l’enfer” dans l’immédiat, mais on vous en conjure: scrutez la programmation des festivals près de chez vous, débusquez les informations sur la diffusion de l’œuvre. On a là un film indispensable et incroyablement sincère qu’il faut absolument découvrir pour en comprendre la portée.

Nicolas Marquis

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