The Replacement
The Replacement affiche

(El sustituto)

2021

Réalisé par: Óscar Aibar

Avec: Ricardo Gómez, Vicky Luengo, Pere Ponce

Film fourni par Wild Side

Une plaie non soignée est vouée à s’infecter et ce qui s’affirme en biologie trouve écho dans l’Histoire. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, alors que plusieurs anciens tortionaires du régime nazi sont arretés, un nombre incalculable d’entre eux trouve refuge dans d’autres pays, en se cachant parfois à peine de leur ancienne appartenance. Véritable tâche dans la reconstruction collective de la deuxième partie du 20ème siècle, ces exils confinant parfois à la retraite dorée mortifère n’ont eu de cesse de susciter les polémiques lorsqu’ils furent exposés, enfin, au grand jour. C’est de l’une de ces célèbres affaires, belle et bien réelle, que s’inspire le film espagnol The Replacement, pour se faire le témoin de ce mal, sous le maquillage du polar.

Alors que la Coupe du monde de football 1982 fait vibrer l’Espagne au rythme du ballon rond, l’inspecteur de police Andrès (Ricardo Gómez) quitte le tumulte de Madrid pour occuper une nouveau poste plus tanquille dans un petit village cotier, accompagné de sa femme et de sa fille. Il découvre toutefois rapidement que celui qu’il à la charge de remplacer à trouver la mort dans des conditions bien mystérieuses. Au fil de son enquête, alors que le reste du commissariat se désintéresse étrangement de cette affaire, Andrès se rend compte que son nouveau lieu de résidence baigne dans la corruption et offre refuge à des dizaines d’anciens hauts dignitaires nazis, vivant dans un luxe tapageur.

Guerre inachevée

The Replacement fait donc naître un dégoût viscéral à mesure que la conspiration se dévoile, lié au sentiment d’injustice vif pour les victimes de l’holocaust. Le cinéaste Óscar Aibar accomplit intelligemment son devoir de mémoire, bien qu’il nous fasse épouser le point de vue intime d’Andrès. S’il ne devait subsister qu’une émotion au sortir du long métrage, ce serait la douleur: celle éprouvée face à un monde qui n’a que peu évolué, à des êtres humains corruptibles dès lors qu’on en appel à leur propres profits, et à des monstres dans l’ombre. L’opulence dans laquelle vivent les anciens nazis, toujours liés à leur rhétorique nauséabonde, écoeure au plus haut point et même si le film souligne fortement leur immondice, le geste semble cohérent et nécessaire.

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Pour autant, Óscar Aibar ne fait pas d’eux les seuls antagonistes: pour que le mal prolifère, l’inaction des gens normaux est nécessaire. Pire, il semble que ce village espagnol soit uni dans la volonté de taire le secret qui les enrichit. Il suffit de bien peu, le simple pouvoir de l’argent, pour qu’un terreau fertile à la barbarie qui a entaché le 20ème siècle naisse à nouveau, et ce alors que la guerre est encore vive dans les mémoires des anciens, seulement 40 ans après son terme. Peut-être The Replacement rend certains de ces nouveaux “collaborateurs” un brin trop patibulaires et tranchés, mais l’idée que le silence tue les plus faibles résonne efficacement. L’Espagne est mise elle aussi en accusation.

Les nouveaux résistants

Face au péril, c’est donc la figure viril d’Andrès qui s’éleve, alors même que l’oeuvre prend le parti d’en faire un personnage noir et torturé. Il n’est pas un super-héros lisse, mais un homme en proie à ses propres démons, au premier rang desquels ses méthodes musclées et expéditives. C’est en épousant sa propre descente aux enfers, son monde d’illusions qui vole en éclats que The Replacement gagne en épaisseur. L’axe narratif autour de sa famille laisse ceci dit un peu dubitatif: outre le fait qu’Andrès délaisse bien vite sa famille, une scène bien particulière semble ne pas rendre grâce à l’intelligence de son épouse. Entourée de ces fameux anciens nazis, en uniformes d’époque, cette femme un peu trop effacée ne voit pas le mal en face de ses yeux. Un léger tâtonnement.

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Il faut en fait trouver la consistance dans les autres relations que l’inspecteur noue avec son entourage: l’amour naissant avec une doctoresse locale, qui l’épaule dans ses recherches et qui est sa seule rambarde avec la réalité, alors que la machination s’étale, mais surtout la dynamique avec Columbo, unique policier du village soucieux des dérives fascistes de sa bourgade. Un véritable rapport père-fils touchant se noue et cette couche du scénario apporte une idée nouvelle: celle que le combat n’est pas immédiat, qu’Andrès, n’est que le dernier maillon d’une chaîne de gens qui se refuse à l’horreur, le point final d’une lutte indispensable.

Affaire de style

Pour convoquer la mémoire, Óscar Aibar s’appuie sur la grammaire usuelle du polar, invitant dans son œuvre quelques codes bien connus du genre. Ainsi, on recouvre un mur de photographies et d’articles de presse, dans la plus pure tradition visuelle du genre. Un processus déjà vu mais toujours efficace. On confronte aussi Andrès à une bureaucratie opaque et fermée qui ne lui apporte aucun soutient, posant The Replacement en véritable film noir. Peut-être la séquence d’action finale obligatoire semble-t-elle un peu incongrue. Sans jouir d’une mise en scène brillante, elle apparaît un peu trop grandiloquente, un brin anachronique dans le reste du déroulé. Même en imaginant qu’elle fait écho aux faits historiques, elle nous fait quitter l’espace particulier qu’avait créé le film pour répondre à une logique de divertissement.

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Un peu dommage, tant le style immersif poussé par le film jusqu’alors fonctionnait bel et bien suffisamment. Lorsqu’Óscar Aibar joue la retenue visuelle, il ne manque pas d’idées subtiles mais propices à nous communiquer une identification forte à Andrès. Le choix des cadrages par exemple, laissant souvent entrevoir l’épaule du personnage principale lorsqu’on se centre pourtant sur un autre protagoniste, nous permet de ne faire qu’un avec l’inspecteur, comme si nous étions presque en vue subjective, mais avec juste ce qu’il faut de corps pour ne pas subir la froideur d’un plan trop aseptisé.


The Replacement est disponible chez Wild Side.

Entre polar et chronique historique capitale, The Replacement ne révolutionne pas le genre mais offre une vision tout à fait prenante des heures sombres de l’Histoire, celles où les hommes ont commencé à laisser faire à nouveau par appât du gain personnel.

Nicolas Marquis

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