Le Fier Rebelle
Le fier rebelle affiche

(The Proud Rebel)

1958

Réalisé par: Michael Curtiz

Avec: Alan Ladd, Olivia de Havilland, David Ladd

Film vu par nos propres moyens

Au crépuscule de leurs carrières, deux artistes de renom se rencontrent. Lorsque le tournage du Fier Rebelle débute, le cinéaste Michael Curtiz et le comédien Alan Ladd ne le savent pas encore, mais il ne leur reste qu’une poignée d’années à vivre. Si le réalisateur continue d’enchainer les longs métrages marquants, ses plus grandes heures de gloire semblent pourtant lointaines. Les aventures de Robin des Bois et bien sûr Casablanca sont déjà des échos du passé, dans un Hollywood qui vit à vive allure. Pour Alan Ladd, la déchéance est plus cruelle, et le spectre de ses addictions pèse sur sa fin de vie tragique. De prime abord réticent à l’idée de collaborer avec Michael Curtiz, dont il connaît la réputation d’homme exigeant, l’acteur star des années 1940 ne résiste pourtant pas à l’idée de s’offrir un retour sur le devant de la scène, surtout lorsqu’il se voit accompagné au casting de la divine Olivia de Havilland, mais également de son propre fils, David Ladd, pour la seconde fois au cinéma. Le Fier Rebelle n’a donc rien d’un simple Western, il est un rendez-vous marquant entre des noms prestigieux, investis dans leur travail.

Pour guider la troupe, le film s’appuie sur la nouvelle d’un spécialiste du genre: James Edward Grant. Crédité dans des chefs-d’œuvre du même style cinématographique, tel Alamo, Hondo, l’homme du désert ou encore Les Comancheros, l’auteur offre cette fois un cadre légèrement différent au Fier Rebelle, qu’il teinte de romance et de mélodrame davantage que d’action. Au sortir de la Guerre de Sécession, dans un village du nord des États-Unis du nom d’Aberdeen, l’arrivée de John (Alan Ladd), un ancien soldat sudiste, sème le trouble dans la population. Accompagné de son enfant muet, David (David Ladd), et de son chien, le père de famille veuf se retrouve confronté malgré lui à de riches exploitants fermiers des environs, les Burleigh, qui le prennent à parti physiquement. Condamné pour coups et blessures, John n’a pas les moyens de payer son amende, mais une âme secourable s’offre à lui: Linett (Olivia de Havilland) lui propose de s’acquitter de son dû à sa place, à la condition qu’il l’aide au travaux de sa ferme. Sur place, le travail ne manque pas, et la rencontre entre John, un homme fier et de principes, et Linett, solitaire et téméraire, pourrait tourner à l’histoire d’amour si deux problèmes inévitables ne perturbaient pas leur bonheur. D’une part, le père de famille souhaite faire opérer son fils afin qu’il retrouve la parole, et pour cela, il doit se rendre dans le Montana. D’autre part, les Burleigh convoitent les terres de Linett et sont prêts à toutes les extrémités pour les obtenir.

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Le Fier Rebelle se place donc à un moment bien particulier de l’Histoire américaine, alors que la guerre civile à pris fin et que le peuple tente de s’unir autour de nouveaux idéaux. Pourtant, dans les faits, les USA sont encore extrêmement morcelés, et la fracture entre Nord et Sud est toujours très vive, ce que le film met un point d’honneur à démontrer. Bien que l’on comprenne rapidement que John n’a pas participé aux combats par conviction, et que son absence lui a coûté cher, la défiance envers ce personnage est exprimée de façon très claire. La sangle de son cheval ou ses bottes, typique des soldats sudistes, sont exposés comme les stigmates d’un paria. Plus criant encore, le surnom de « Reb »’, constamment martelé, ne qualifie pas le caractère aventureux de John mais est un sobriquet presque injurieux utilisé pour désigner les anciens confédérés. On renie l’identité du héros, et par là même son passif traumatisant qui l’a conduit vers des conflits qu’il ne souhaitait pas.

Le film tente d’apporter une réponse à la reconstruction problématique de l’époque, de montrer une voie vers laquelle la nation peut se diriger. La romance entre John et Linett en est le témoin. D’abord tous deux très taiseux, c’est à force de se côtoyer qu’ils apprennent à s’apprécier. Pour accentuer cette fusion émotionnelle, Le Fier Rebelle utilise le travail de la ferme comme une métaphore filée du pays, tout au long de l’œuvre. Initialement presque en ruine, comme les USA après la guerre, c’est à la sueur du front des deux protagonistes qu’elle se reconstruit. Tous deux tendent vers cet idéal commun, celui qu’on peut bâtir ensemble. Linett l’énonce même ouvertement au moment de désigner la grange de ses terres: “Mon frère et moi n’avons jamais pris le temps de la rénover”. Avec l’aide de John elle y parvient enfin. L’Amérique doit repartir de zéro, mais la bonne volonté est récompensée, le futur et la paix possible.

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Le socle familial apparaît également comme essentiel selon la logique du long métrage. Le Fier Rebelle  balaye toutefois les préjugés et fait fi des mariages de convenances. Là encore, Michael Curtiz prône un retour aux valeurs fondamentales, mais place le sentiment amoureux au centre de son équation affective. John ne cherche pas d’épouse et s’épanouit dans un rôle de père modèle. Linett apparaît elle aussi à contre-courant de l’époque, en quête de l’amour véritable plutôt que du confort financier. Leur union est rendue possible par la connivence sincère de deux esprits libres, dont la trajectoire se croisent. Si le rôle de David est capital à cette rencontre, et forme la base de toutes les considérations du couple, les sentiments l’emportent pourtant toujours sur la facilité. C’est le bien être de l’enfant qui compte le plus dans Le Fier Rebelle et qui est le moteur de tous les rebondissements.

Le bonheur n’est pourtant jamais acquis dans le long métrage, il est même perpétuellement remis en cause par un tyrannie incarnée à travers les Burleigh, qui convoite la terre de Linett. À l’évidence, l’incendie de la grange si symbolique, dont ils sont les instigateurs, met à mal l’avenir de John et de sa nouvelle compagne, et impose ces véritables antagonistes en garants de la destruction. Le Fier Rebelle ne s’arrête pourtant pas là, et se pose en critique d’une sur expansion, voire d’une surexploitation, d’ogres économiques qui perturbent le quotidien des gens les plus humbles. Le cheptel de moutons des Burleigh est sans cesse désordonné, débarque dans Aberdeen ou sur la ferme de Linett dans un chaos total que le réalisateur filme comme des scènes d’apocalypse. Rien ne saurait entraver la course effrénée de ces tyrans, si ce n’est la volonté inflexible de John. Le héros vertueux s’affirme, mais on devine dans le même temps que pour le commun des mortels, céder est la solution la plus simple.

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À plus fortes raisons, et même si John s’y refuse un temps, l’oppression par l’argent est vive dans Le Fier Rebelle. Tout se monnaye dans le film, des soins à apporter à David jusqu’à la vie de son chien. Aussi valeureux soit le héros, il est esclave de cet état de faits, voire obligé de pactiser à contre cœur pour arriver à des fins pourtant légitimes. Michael Curtiz bascule dans une logique de dénonciation assez vive, qui fait écho aux démons de la société de son temps, et même à la nôtre. Le travail et la vertu ne suffisent pas, le sacrifice, et même le martyr, sont inévitables. Le cinéaste pose d’ailleurs cette problématique d’entrée, à travers le personnage le plus attachant pour le spectateur: le jeune garçon muet. Le procédé peut sembler simple, mais sa guérison est sujette à cette mainmise du dollars, et le public est immédiatement pris de compassion. Le fier rebelle, c’est aussi celui qui ne plie pas devant ce carcans économique.

Michael Curtiz n’a pourtant rien de défaitiste, et propose deux figures essentielles à son récit, pour lesquelles il fait preuve de respect et de bienveillance. Le docteur tout d’abord, apparaît désolé du sort de John et David, au point de leur offrir de l’argent. La médecine, qu’on imagine pourtant archaïque au temps du Far West, est ici une source de réconfort, au chevet du patient. Dans le même ordre d’idée, le juge qui condamne pourtant John fait figure de père compatissant. Si dans la salle du tribunal, il doit se montrer droit et inflexible, garant de la loi, son attitude change du tout au tout une fois dans son bureau où il reçoit Linett. L’homme froid devient humain, voire chaleureux, et se désole du sort de son condamné. Le Fier Rebelle a foi en ces deux piliers de l’Amérique.

Le Fier Rebelle est plus qu’un simple Western, il est un film de société qui dénonce autant qu’il tente de trouver des réponses. Derrière la froideur de son héros se cache des sentiments enfouis, que le film met à jour au fil des minutes.


Le Fier Rebelle n’est disponible qu’en import.

Nicolas Marquis

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