La 317ème section
La 317ème section affiche

1965

Réalisé par: Pierre Schoendoerffer

Avec: Jacques Perrin, Bruno Cremer, Pierre Fabre

Film vu par nos propres moyens

En 83 ans d’existence, la vie du cinéaste Pierre Schoendoerffer n’a cessé d’être marquée par la guerre, jusqu’à en faire une des obsessions de l’artiste. Avant même sa naissance en 1928, de bien étranges augures tracent déjà son destin, alors que son père et sa mère se rencontrent en 1919, au cours de la cérémonie de restitution de l’Alsace à la France. Cet ascendant masculin, Pierre Schoendoerffer ne le connaîtra que très peu: alors qu’il n’a pas encore 20 ans, la Seconde Guerre mondiale lui arrache ce modèle, faisant de lui un pupille de la Nation. Mais davantage qu’à travers cet historique familial complexe, marqué par les horreurs de la première moitié du XXème siècle, c’est à travers le conflit indochinois que se cimente la vision du réalisateur. Après une brève carrière de marin, Pierre Schoendoerffer s’engage dans l’armée, au sein du Service cinématographique, filme le quotidien des combattants français sur ce front asiatique, et est même fait prisonnier, jusqu’en 1954. De retour au pays, le garçon est devenu homme, et est habité d’une envie vive d’exposer ses démons sur grand écran, à travers une carrière de cinéaste qui reviendra sans cesse sur la guerre d’Indochine. Dans ce corpus de longs métrages unis par ce thème commun, et dans lequel figureront par la suite des œuvres comme Le Crabe-Tambour en 1977 ou Diên Biên Phu en 1992, La 317ème section fait office de socle fondateur, en 1965. Un film loin de passer inaperçu aux yeux du monde du 7ème art, puisqu’il glane le prix du scénario à Cannes, la même année.

C’est dans le quotidien âpre de soldats français, membres d’une armée en pleine déroute, que Pierre Schoendoerffer inscrit son regard, pour une proposition dont il signe le scénario et la réalisation. Alors que la guerre d’Indochine touche douloureusement à sa fin, et que Diên Biên Phu est sur le point de tomber, une section de combattants reçoit l’ordre de quitter leur camp de base pour gagner la ville sous contrôle français la plus proche. Mené par l’adjudant Willsdorf (Bruno Cremer) et le sous-lieutenant Torrens (Jacques Perrin), ce bataillon, composé aussi bien d’autochtones que de militaires venus de l’hexagone, arpente les collines de l’Indochine, talonné par les soldats Viêt-Cong, et faisant face à des conditions de vie inhumaines. Le voyage devient rapidement un périple aux confins de la résilience humaine.

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La 317ème section prend donc l’allure d’une transhumance constante au milieu d’une jungle hautement hostile, un road movie en dehors de tout sentier battu. Si quelques échauffourées parsèment le film, elles semblent toujours surgir comme un coup de poignard, une morne ponctuation qui met un point à la lente agonie des hommes en errance. Les cadres qu’offrent Pierre Schoendoerffer communiquent le sentiment étrange que les soldats ne sont rien face à une végétation prête à les avaler sans n’en laisser aucune trace. La maladie ou encore les insectes sont tout aussi néfastes que les armes, comme si la terre que parcouraient les combattants ne voulait plus de leur présence. À une période clé du conflit, où l’armée française s’embourbe dans le conflit, l’exemple qu’offre le cinéaste fait écho à cet état de fait: ils ne sont plus chez eux, si toutefois ils n’y ont jamais été, et le sol les rejette. Les quelques incursions dans des villages de pauvres paysans ne font finalement que rehausser ce constat, alors que l’accueil y est toujours complexe.

Pour créer un décalage encore plus vif, La 317ème section utilise quelques artifices du monde occidental, de manière presque anachronique. Alors qu’elle quitte son camp de base, la section tient à emporter avec elle un frigo. Dans quel but ? Aucun. Tout simplement pour ne pas le laisser derrière eux, et sans autre motivation. L’utilisation de la radio, pour communiquer avec l’état major, est quant à elle sans cesse perturbée par des émissions étrangères: une représentation radiophonique en anglais de Macbeth, où encore des bulletins d’information. Le monde qui dirige cette colonie de fourmis apparaît lointain, inatteignable, et alors que les hommes ne sont plus bienvenus en Indochine, leur patrie est inaccessible. Le réconfort ne se trouve que dans l’illusoire bonheur d’un paquet de cigarettes ou dans une bouteille d’alcool, par ailleurs régulièrement contrarié par les rebondissements du récit.

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Pierre Schoendoerffer se pose en réalité en témoin d’une longue décrépitude vers la mort, qui semble être une métaphore sinistre de l’état de l’armée française à cet instant du conflit. Plus les minutes s’égrènent, plus l’ombre funeste plane sur la section, comme une faucheuse qui ne sévirait pas d’un coup vif, mais plutôt d’une contamination progressive. La lente agonie de plusieurs protagonistes crée une forme d’effroi que le déroulé de La 317ème section accentue sans cesse. Un sentiment d’autant plus austère que l’issu des estropiés ne fait aucun doute, dès les premières minutes. Seule compte une forme de course déraisonnée à la survie la plus longue, sans autre but que de repousser une fatalité que chacun connaît. L’armée est malade, rongée par un cancer qui la terrasse petit à petit, condamnée à court terme.

Une forme d’idéal militaire dérisoire alimente le long métrage, et s’incarne à travers le personnage de Torrens principalement. Ce jeune gradé fraîchement débarqué est complètement hors de son champ de compétence, et n’entend pourtant pas raison. Son amour de l’uniforme et son absence totale d’esprit critique en font un soldat de pacotille, loin des enjeux humains. Gargarisé par des affrontements qui ne changeront rien au cours du conflit, et qui ne font qu’au mieux mettre ses hommes en danger, il catalyse tout ce qui à conduit l’armée à sa déconfiture. Dans un même élan, La 317ème section créer un rapport conflictuel entre lui et les natifs de l’Indochine. Envers ses hommes, il apparaît désintéressé, ne connaissant souvent pas leur nom, ou rechignant à leur administrer de la morphine. À la rencontre des civils, il reste froid, autoritaire, colonisateur et incompréhensif. Sans jamais devenir manichéen, le film expose son incompétence avec subtilité.

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Face à lui, Willsdorf est le sage de toutes les guerres. Fin stratège, il est un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, qu’il a vécu dans l’armée allemande, contre son gré. Cet aspect de son passé explique en partie son regard beaucoup plus nuancé sur les évènements, et sa perception accrue qu’il n’y a pas de bon et de mauvais camps dans ces affrontements. Il est juste là pour survivre, pour exister, mais avec une conscience du collectif. Si Torrens est la réalité froide de l’armée, Willsdorf en est un idéal, et le protagoniste ne souhaite d’ailleurs absolument jamais se défaire de son uniforme, même face à la chaleur. Pourtant, il n’est pas paternaliste envers son supérieur, simplement résigné sur l’issue du conflit, et plus à l’écoute du peuple indochinois.

La 317ème section souligne en vérité l’absence presque totale d’idéologie qui habite ses personnages français. Uniquement là pour répondre aux ordres d’une hiérarchie toujours invisible, ils ne savent ni comment, ni pourquoi continuer de se battre. La guerre est perdue, mais la doctrine militaire continue de régner dans une absurdité totale. Le pouvoir des idées, Pierre Schoendoerffer le place explicitement dans les mains des autochtones, à travers une scène criante de vérité. Lors de la manipulation d’un œuf, un agent politique Viêt-Cong fait la démonstration de la séparation du blanc occidental et du jaune asiatique. Le long métrage reconnaît la facilité d’une telle mise en scène, mais confie dans le même temps  une vérité plus grande: “Ils ont besoin de symboles, de légendes”. L’armée française n’en a plus aucune, et le réalisateur est désabusé autant qu’il est réaliste.

Probablement l’exemple le plus vibrant de l’idée commune à la filmographie de Pierre Schoendoerffer, La 317ème section est une réussite esthétique, mais surtout idéologique. L’ancien combattant offre un regard sans concession sur une déroute totale de l’armée française, en replaçant l’humain au centre de l’équation.


La 317ème section est disponible en Blu-ray chez Studio Canal.

Nicolas Marquis

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