Le Crabe-Tambour

1977

de: Pierre Schoendoerffer

avec: Jean RochefortClaude RichJacques Perrin

La mer est calme, le matin brumeux. Au loin résonne le bruit d’une corne de brume qui annonce la venue d’un bateau. Puis, sortant du brouillard se dessine un bâtiment militaire qui brise les vagues de tout son poids. À son bord deux acteurs mythiques, Claude Rich et Jean Rochefort. L’un est médecin de bord, l’autre capitaine. Derrière eux toute la cohorte de matelots qui s’affairent  à accomplir leurs besognes, tels des automates. Embarquons ensemble et faisons fi du mal de mer pour réfracter “Le Crabe-Tambour”.

De prime abord, on se remémore tous ces films qui mettent en scène la marine pour restituer la solitude et l’isolement des marins. La voix-off qui nous immerge dans les pensées de Claude Rich renforce ce sentiment. Pourtant, on va comprendre rapidement que “Le Crabe-Tambour” est bien plus que cela, et que le dépaysement sera au rendez-vous. “Crabe-Tambour” c’est d’ailleurs le surnom d’un homme, joué par Jacques Perrin, absent du navire mais omniprésent dans le film. Un héros de la mer pourrait on dire, un ancien soldat qu’ont côtoyé à différent moment de sa vie nos deux protagonistes. Narrativement, la structure est familière: c’est à travers des flashbacks, souvenirs racontés par ceux qui l’ont connu que va se dessiner la trajectoire de “Crabe-Tambour”. Un procédé qui aurait rapidement pu montrer ses limites si Pierre Schoendoerffer, le réalisateur, ni avait pas mêlé à la fois des enjeux propres aux personnages de Jean Rochefort et Claude Rich, mais aussi des évocations des légendes maritimes.

Rapidement, le récit va introduire Jacques Perrin durant la guerre d’indépendance indochinoise qui c’est déroulée durant les années 40 et 50. Claude Rich l’a côtoyé au début des troubles militaires, et nous expose un “Crabe-Tambour” propre sur lui, tatillon quand à la tenue de ses soldats et à l’apparence de ses navires. Mais aussi un militaire colonialiste, plus inquiet des airs de trompette et du gout du pastis que de la condition des autochtones. Des relents d’impérialisme à la française en somme. Immédiatement, on oppose les souvenirs de Jean Rochefort, qui lui a connu le héros qui a donné son nom au film à la fin du conflit, alors que Jacques Perrin erre sur une pagode en mer de chine, fumant de l’opium dans son embarcation de fortune, aux airs de vaisseau fantôme. Que c’est il passé entre temps pour que ce soldat convaincu renonce ainsi à son devoir? Même si le film va rapidement lever le voile sur ce mystère, nous vous laissons le soin de le découvrir par vous mêmes.

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Mais l’Indochine n’est pas le seul conflit que “Crabe-Tambour” a connu. Allemagne durant la seconde guerre mondiale, simplement évoquée, et guerre d’indépendance algérienne, plus étalée visuellement: le parcours de Jacques Perrin est celle de l’armée française. Il fût de toutes les guerres, avec à chaque fois son lot de désillusions. C’est tout ce destin qui est au coeur du film, délimitant un personnage qui de laquai de l’idéologie militaire proche du lavage de cerveau finit par ne plus être que capitaine de chalutier. Un homme qui dépossédé par la réalité de tout ce qu’on lui a fait croire, ne peut plus que s’accrocher à la seule chose qui lui reste: l’amour de la mer. Il est comme un radeau en pleine tempête: brisé de partout, il flotte inlassablement. Un marin qui a abandonné l’armée autant qu’elle l’a délaissé.

Tout ce casting d’acteurs cultes semblent au diapason pour nous livrer un film intelligent et réfléchi sur la condition de soldat. Si Claude Rich apporte une touche d’esprit critique, et fait avancer l’enquête sur le destin de Jacques Perrin d’anecdote en anecdote, Jean Rochefort, lui, incarne tout ce que l’armée a de plus détestable. Un homme jusqu’au-boutiste, qui ne questionne pas les ordres et qui se conforme aux exigences de ces supérieurs, malgré les convictions que l’on devine par légères touches. Un véritable “Chien de Pavlov” comme le dit le film, conditionné par ses supérieurs, qui au crépuscule de sa vie tente un dernier voyage, une ultime mission.

Dans sa mise en scène Pierre Schoendoerffer sait faire preuve de maîtrise. Sa chronologie éclatée est suffisamment claire pour tisser un fil scénaristique, et chaques critiques qui apparaissent dans les flashbacks trouvent écho dans le présent. Son contraste entre les couleurs ternes du navire de Jean Rochefort, et les panoramas dépaysants des souvenirs tranche efficacement. Dans la symbolique aussi, même si elle est un peu facile: “Crabe-Tambour” est perpétuellement accompagné d’un chat noir, annonciateur de son destin semé d’embûches. Mais surtout, Pierre Schoendoerffer réussi à travers un seul personnage à restituer toute la désillusion des soldats français du 20ème siècle: des hommes qui se sont battus malgré des idéaux souvent contraires aux ordres qu’ils recevaient, de défaites en défaites. Sa critique, il réussit le tour de force de l’amener sans débauche de violence ou d’explosion, simplement à travers des mots, des visages, des attitudes. Il sème par endroit des scènes coup de poing uniquement grâce à leurs métaphores, comme cet homme qui accoudé à un bar, brise des verres de whisky au sol, égrenant un par un le nom de bateaux coulés en mer par l’ennemi.

Dans ce portrait par procuration de l’armée française, Pierre Schoendoerffer réussit une réflexion pertinente sur la condition de soldat, et tout le dilemme de ses hommes dont l’esprit de justice c’est opposé tant de fois au funeste sens du devoir dicté par des supérieurs absents.

Nicolas Marquis

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