1980
Réalisé par: Sidney Lumet
Avec: Ali MacGraw, Alan King, Peter Weller
Film vu par nos propres moyens
Après les années 70 riches en succès, une nouvelle page se tourne pour Sidney Lumet à l’orée des 80’s. Toutefois, le maître à beau avoir rythmé de chefs-d’œuvre la décennie précédente, il n’en sort pas moins d’un échec cuisant: The Wiz, le pathétique Musical estampillé Motown. À peine deux ans après cette désillusion, le cinéaste boulimique de travail se tourne vers un genre qu’il n’avait jusqu’alors jamais exploré: la comédie romantique, avec Just Tell Me What You Want. Si l’accueil de ce nouveau long métrage sera frileux et ne fera pas date, au point d’être aujourd’hui presque totalement oublié, il marque néanmoins une rencontre fondamentale pour Sidney Lumet. Il collabore pour la première fois avec le scénariste Jay Presson Allen qui lui offrira par la suite quelques-uns des plus beaux morceaux de sa filmographie: Le Prince de New York, Piège mortel et Le Verdict. Mais les grands duos connaissent parfois des débuts bien modestes.
Dans les hautes sphères de New York, Max Herschel (Alan King) règne sans partage sur un empire industriel agglomérant tout type d’activité. Fortement mégalomane et toujours prompt à faire étalage de son pouvoir, ce personnage tyrannique est aussi un homme à femme notoire. Parmi toutes celles qui partagent ses aventures extraconjugales, Bones Burton (Ali MacGraw), productrice pour l’une des chaînes de télévision du magnat, reste sa grande favorite, au point qu’il la couvre de cadeaux pour obtenir ses faveurs. Ce statu quo est bouleversé le jour où Bones fait la rencontre de Steven (Peter Weller), un dramaturge modeste qui séduit la belle.
Pour la première fois de sa carrière, Sidney Lumet tente une percée dans le monde de l’humour. Si on peut, à la rigueur, considérer que Network lorgnait par moment vers ce domaine, son esprit de satire sociale l’emportait sur les gags. C’est ici tout l’opposé: Just Tell Me What You Want inverse le mélange, et bien qu’ancré dans l’univers des puissants de ce monde, l’esprit grandguignolesque domine le message social. Un choix affirmé de Sidney Lumet qui l’exprime dans sa mise en scène, faisant de Alan King le pitre en chef, lui demandant notamment beaucoup de gesticulations et d’expressions corporelles. Le dosage apparaît pourtant mauvais et le ton affiché par le film condamne les thématiques de société à un niveau terriblement léger. Le réalisateur ne maîtrise pas cette nouvelle grammaire filmique et se noie.
Pourtant, Sidney Lumet impose bien sa marque sur cette nouvelle œuvre, et la flamme de la révolte face aux ogres capitalistes brûle belle et bien. Sa caricature, puisque Max en est clairement une, est mal exécutée mais ne manque pas de fond. Le tyran domine sans partage son univers, au point d’apposer son logo, qu’il a lui-même dessiné, sur toutes les firmes dont il a le contrôle, comme un cowboy marquerait du bétail. Sa façon de dicter ses ordres à ses employés pour lesquels il n’a aucune considération humaine abonde dans ce sens. Il en découle pourtant l’un des plus gros problèmes du film: Sidney Lumet traite son sujet avec désinvolture, ou même désintérêt, pour rester dans le giron de l’humour relativement sommaire, et annihile toute vraie interprétation poussée dans du charabia économique. On est extrêmement loin de l’acidité si juste et de l’accessibilité de Network.
Sa vraie fronde se mène dans un domaine qu’il connaît bien mieux, celui du 7ème art. Au moment où Max rachète un studio de cinéma, qu’il ambitionne de raser pour le transformer en salle de spectacle, beaucoup plus rentable, Sidney Lumet tente de nous dire que l’environnement dans lequel il évolue lui-même appartient davantage aux financiers qu’aux amoureux de culture. Bones semble avoir une vraie vision artistique, on lui dénie tout pouvoir. Steven incarne lui le créateur, il est manipulé et corrompu par un système qui finit par le broyer. Le cirque médiatique n’apparaît pas plus reluisant. Dans Just Tell Me What You Want, la caméra et son pouvoir appartiennent presque exclusivement aux maîtres du dollar.
Pour autant, ce nouveau film de Sidney Lumet à pour vocation première de s’affirmer comme un conte de fée moderne, selon l’image employée par Bones en début de long métrage. Max est le vilain roi, le personnage incarné par la somptueuse Ali MacGraw la princesse, Steven le prince charmant. L’introduction de ce dernier est d’ailleurs en totale opposition visuelle avec celle de Max. Le grand patron est d’abord montré dans la chambre de Bones avant d’en descendre, Steven fait exactement l’inverse. Max est entouré par le luxe, son adversaire sentimental vit lui connecté avec la nature, dans une maison rudimentaire et sans aucun confort. Mais sa trajectoire sera salie par les événements: comme toujours chez Sidney Lumet, la moralité est floue, les hommes corruptibles, et Steven ne fait pas exception. Le réalisateur nous le montre par le costume notamment. Initialement vêtu comme un quidam, le dramaturge prend progressivement l’apparence d’un businessman, semblable à Max. Son union avec Bones est progressivement condamnée.
Ce qui pose un autre problème de fond, au moment de tirer les enseignements du film et de sa morale finale, hautement maladroite. Par l’incapacité de Bones a trouver une résolution aux affres de son cœur, le film s’engouffre dans une brèche franchement douteuse, qu’on ne révélera pas mais qui interroge sur la démonstration de Sidney Lumet. Pendant toute l’oeuvre, on y voit des femmes opprimées, que ce soit l’épouse de Max au bord du suicide, où les conquêtes qu’il accumulent et dont il commande l’avenir. Dès lors, Just Tell Me What You Want apparait comme un long métrage louablement féministe… Avant de faire une marche arrière absolument incompréhensible dans ses 5 dernières minutes. De quoi soupirer un énorme coup: tout ça pour ça !
Mais le réalisateur en a-t-il réellement quelque chose à faire ? Rien n’est moins sûr tant l’absence de force d’évocation visuelle est flagrante. Sidney Lumet a toujours été discret, sa mise en scène confine souvent à l’invisible. Ici elle n’existe tout simplement pas. On retiendra à peine son envie de faire de son histoire une sorte de cercle (vicieux) dans la forme et dans le fond. En proposant un jeu temporel en début de film, on imagine qu’il sera malicieux, alors qu’il n’est finalement que lourdaud. À travers la trajectoire de ses personnages, et le retour au postulat de base, Sidney Lumet imagine être pertinent et cynique, mais il ne finit que par être maladroit.
Sidney Lumet met un pied dans le monde de la comédie romantique mais trébuche par un manque assez visible d’intérêt. Il n’a jamais cité explicitement de films, mais a toujours admis avoir accepté certains projets par pur besoin de travailler: Just Tell Me What You Want semble être l’un d’eux.