Le Prince de New York
Le Prince de New York affiche

(Prince of the City)

1981

Réalisé par: Sidney Lumet

Avec: Treat Williams, Jerry Orbach, Richard Foronjy

Film vu par nos propres moyens

En 1971, Danny Ciello travaille dans la célèbre S.I.U., brigade anti-stupéfiant de New York. Avec ses partenaires, ils sont les rois de la ville à la fois respectés par les criminels, les junkies qui leur servent d’indicateurs contre quelques doses, mais aussi leurs collègues puisqu’ils sont l’élite de la police et bien sûr les juges. La vie est douce pour Danny jusqu’à ce que les autorités fédérales viennent le trouver. Ceux-ci cherchent des informations sur de la corruption dans le service. Danny refuse dans un premier temps de balancer, mais, un soir, épris de colère après avoir dû gérer son junkie d’indic, il se confie à cet enquêteur des affaires internes. Il ignore alors qu’il vient de mettre le doigt dans un engrenage prêt à le broyer en entier.

Huit ans après Serpico, Sidney Lumet revient sur la corruption dans la police, cette fois-ci avec plus de nuance. En effet, avec le recul, Sidney Lumet pense avoir eu un regard trop dur. S’appuyant sur une histoire aussi incroyable que vraie, Sidney Lumet va s’atteler à l’adaptation du roman de Robert Daley portant le même nom que le film Prince of the City avec l’aide du policier ayant inspiré le roman. Robert Leuci est un personnage haut en couleur qui va immédiatement fasciner Lumet. Son histoire, de plus, offre à Lumet toute la densité pour donner ce point de vue plus nuancé sur la corruption gangrenant la ville de New York. Il faut dire que pour les besoins du film, lui et ses acteurs principaux se sont rendus dans les commissariats et ont discuté avec les policiers afin de s’immerger dans leur vie, mais surtout, ils ont pu bénéficier des conseils de Leuci avide de s’épancher, portant encore en lui la rancœur contre ce système.

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Un système que le film de Lumet va mettre à mal. Le film débute en montrant un Danny sûr de lui, surnommé le Prince de la ville, à qui tout réussit. Une belle maison, des amis, une montre plaquée or, une voiture par membre de la famille, les mafieux comme les juges lui parlant avec respect, tout semble trop beau pour être vrai. Pourtant, quand son frère l’accuse de corruption, quand son junkie d’indic sous l’effet du manque l’incite à attaquer un autre junkie, Danny craque et laisse apercevoir toute sa fragilité. Car le policier est le reflet de New York dans les années 70, une cité pleine de misère et de tensions sociales, gangrénée par la violence et la criminalité où la police est corrompue et les politiciens véreux. Danny confronté chaque jour à la misère et à la violence cherche une échappatoire et croit la trouver dans les affaires internes, pensant pouvoir balancer quelques gros bonnets et se tirer ensuite…

Évidemment, c’est le récit d’une tragédie. En acceptant d’enquêter pour les affaires internes, Danny se retrouve dans la position délicate d’un infiltré excepté qu’il s’agit de sa vie et de son univers qu’il va torpiller de l’intérieur. Peu aidé par les affaires internes qui ne voient en lui qu’un pion, Danny se retrouve isolé, traqué, et finira par tout leur céder, à bout de force, il balancera même ses partenaires qui étaient à ses yeux sa famille et ses plus proches amis. Le tout sous les yeux froids et inhumains de bureaucrates censés défendre la justice qui placent la loi au-dessus des humains pour qui pourtant elles sont faites à la base. Le spectateur, dès lors, comprend que Danny n’est qu’un pion, que la corruption dont il a fait preuve n’est pas pire que l’inhumanité des procureurs, juges et sénateurs qui broient des hommes comme lui pour bâtir leur carrière politique. C’est tout le système qui est jugé comme vicié de l’intérieur.

Afin de mettre en image ces grandes thématiques, Sidney Lumet se repose sur une mise en scène qui joue avec tous les ressorts du langage cinématographique. De la composition de ses cadres trop surchargés pour que l’on comprenne ce qu’il se passe réellement. Le spectateur se retrouve ainsi comme Danny, pensant avoir une vision globale, mais n’étant pas capable d’en saisir le sens réel. Au fur et à mesure, les décors se dépouillent et deviennent immenses, dans certains plans les bâtiments judiciaires et politiques écrasent le personnage qui finit par être isolé dans de grands décors vides. Cette impression est renforcée par l’utilisation des focales. Les longues focales isolent le personnage tandis que les courtes vont l’écraser dans un décor où les lignes de fuites sont déformées. À cela s’ajoute également la lumière. Les plans sont lumineux au début, comme en réponse au sourire rayonnant du héros, et puis, au fur et à mesure, les arrière-plans deviennent de plus en plus sombres pour qu’à la fin, seulement les visages soient éclairés, particulièrement celui d’un Danny isolé et au bout du rouleau.

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En outre de la photo, il est important de se pencher sur le placement des comédiens vis à vis de la caméra. Danny est souvent filmé de dos, parfois son visage est caché par la personne en face de lui ou par ses mains. Au début, ce procédé est utilisé pour dévoiler au fur et à mesure le personnage, laissant le doute au spectateur sur les motivations de ce dernier. L’on ne sait s’il est fou, un héros ou simplement drogué à l’adrénaline se cherchant de nouveaux défis, jusqu’à ce que la caméra pivote et le place face caméra, cette fois-ci ce sont les autres qui sont dos à la caméra, si bien qu’à mesure où Danny se dévoile dans toute sa fragilité, sa nervosité, ses fêlures, le spectateur se trouve captivé et ne sait plus comment les autres réagissent face à lui. Cela place le spectateur comme Danny dans une position instable. La caméra viendra parfois se planter très proche de lui, en face caméra, d’autres fois viendra le capturer en contre-plongée pour souligner son audace tenant presque de la démence, mais à d’autres moments, la caméra en plongée vient renforcer le sentiment d’écrasement par le système que Danny pensait pouvoir utiliser.

Au final, Sidney Lumet nous conte un drame presque shakespearien. Notre héros est un Macbeth, rongé par la folie, qui s’est cru un instant doté d’un destin hors du commun et qui va être brisé par sa propre ambition et sa démesure. Ce qui est d’autant plus étonnant c’est que pour autant, cette tragédie est filmée de manière réaliste avec cette mise en scène presque « invisible » qui laisse de la place à son acteur principal. Celui-ci évolue parfois comme sur une scène de théâtre, la caméra tournant tout le long d’un plan séquence n’ayant rien de spectaculaire si ce n’est de laisser éclater toute la rage du personnage principal. Les quelques scènes de craquage du héros ou d’épreuves de force qu’il va vivre sont renforcées par le fait que Sidney Lumet n’a pas coupé le plan.

Treat Williams offre une prestation géniale qui donne à Le Prince de New York l’intensité dramatique de Les Affranchis et d’Il était une fois en Amérique. C’est bien sûr dû au fait que Sidney Lumet permet à son comédien de s’immerger dans le milieu policier, mais également les répétitions avec les autres comédiens dans un théâtre avant de tourner les séquences qui, du fait des exigences techniques, allaient forcément être réalisées dans le désordre. Treat Williams pouvait se reposer sur Leuci qui était présent pour offrir ses conseils et son histoire, mais aussi sur le reste du casting composé à moitié d’acteurs débutants et pour l’autre moitié de grands acteurs. Sidney Lumet pensait ainsi avoir une énergie différente sur le tournage. Il a également permis à ses comédiens de choisir le rôle qu’ils voulaient, cherchant ainsi à avoir une approche différente.

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Le résultat est assez éblouissant. Le film est si marquant que sur le moment, il vaudra à la production les foudres de la justice New-Yorkaise appréciant peu d’être ainsi dépréciée, mais également une réaction surprenante du public dans les salles à l’époque : un applaudissement massif du héros au moment de la scène finale du film. Et pour cause, celle-ci laisse le spectateur seul face au regard du héros, lui-même perdu, ne sachant plus ce qu’il doit penser ou faire, complètement dépossédé de sa vie et de son histoire. C’est l’un de ces grands films de « gangsters » car au final, il s’avère au fur et à mesure du film qu’il est finalement impossible de faire la distinction entre policiers et mafieux.


Le héros lui-même a un cousin mafieux et l’on comprend bien que chez ces fils d’immigrés italiens, le choix est limité. Soit l’on devient prêtre, soit l’on devient mafieux soit l’on devient policier. Pour autant, la nuance entre criminel et policier devient de plus en plus fine au fur et à mesure du film. Tous possèdent un code d’honneur et tous voient les actions de Danny comme la trahison de ce code. Ne pas balancer est sans doute la règle que tous respectent et qui au fond, les dévore. Si l’on ne parle pas de ce qui va pas, cela vous ronge de l’intérieur, vous hante, et vous fait rester éveillé la nuit. Car si Danny finit sans nul doute brisé, à la fin du film, il peut enfin dormir. C’est toute cette ambivalence que vient souligner ce regard final du héros, pas tout à fait dans l’objectif, mais pas loin.

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