UFO Sweden
UFO Sweden affiche

2022

Réalisé par : Victor Danell

Avec : Inez Dahl Torhaug, Jesper Barkselius, Oscar Töringe

Film fourni par Dark Star Presse pour Wild Side

Depuis une poignée d’années, le collectif Crazy Pictures souffle un vent de fraîcheur désinvolte dans le monde du cinéma fantastique européen. Pour la plupart trentenaires, tous suédois et bercés par les films grand public de leur enfance, les membres du mouvement tentent de se réapproprier les codes des blockbusters de leur jeunesse, de les digérer, et d’en offrir une vision neuve et renouvelée. Avec abnégation, ils se créent leur propre chance en 2018, avec The Unthinkable, premier long métrage après une succession de courts diffusés sur internet et qui ont attisé la curiosité du public. La majorité des réalisateurs, techniciens et scénaristes de Crazy Pictures n’ont pas de formation universitaire, leur école du septième art, ce sont “les bonus de leur DVD et les tutoriels disponibles sur Youtube”, comme le confiait le producteur Olle Tholen dans un entretien accordé à Kombini en 2019. Leur pulsion est le fruit d’un élan collectif, et si dans les génériques de fin de leurs films, chaque nom est associé à un poste précis, le mélange sur le plateau est total, à tel point que les membres de Crazy Pictures refusent de confier qui tient réellement la caméra dans chaque scène. Cohésion et soif de liberté les animent et si l’industrie du cinéma rechigne initialement à leur accorder des financements, alors ils sont bien décidés à forcer les portes des salles obscures. L’élaboration de The Unthinkable est ainsi rendue possible grâce à une cagnotte participative et le résultat dépasse largement les attentes de ces passionnés devenus artistes. Plébiscitée par le public suédois et auréolée de deux prix au Festival du film fantastique de Gérardmer, leur œuvre signe l’émergence d’un regard nouveau sur le cinéma populaire. Désormais attendu, Crazy Pictures revient sur le devant de la scène cette année, avec UFO Sweden, mélange attachant d’humour, d’aventure, d’émotion et de science-fiction, désormais disponible en VOD chez Wild Side. Officiellement réalisateur du film bien que UFO Sweden soit à nouveau l’expression artistique du talent d’une bande d’amis, Victor Danell compense le peu de moyens mis à sa disposition par un amour manifeste du registre fantastique et par une douce malice communicative.

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Orpheline depuis ses plus tendres années après la disparition étrange d’un père qui s’était mis en quête de traces de présence extraterrestre sur ses terres, Anna (Inez Dahl Torhaug) est devenue une adolescente rebelle et indomptable dans la Suède des années 1990. Le regard tourné vers le cosmos, elle est elle aussi convaincue que les étoiles renferment des mystères qui ne demandent qu’à être percés. Lorsque une voiture semblable à celle de son aïeul tombe des cieux pour s’écraser dans une ferme locale, la jeune femme y voit une preuve que l’être humain n’est pas seul dans l’immensité de l’espace et que des OVNI sillonent le ciel de son pays. Pour lever le voile sur cette énigme, elle requiert l’aide de UFO Sweden, une association de marginaux dont était membre son père et qui tente de prouver l’existence de formes de vie inconnues. La fougue d’Anna incite ces reclus à sortir de leurs bureaux et de leur routine pour enquêter, et s’engage alors une folle épopée aventureuse pour la vérité.

Tout au long d’un pur divertissement aussi léger que séduisant, ponctué de rire et d’action, UFO Sweden fait de l’investigation au cœur de l’intrigue un terrain de recherche inconnu, sur lequel une réponse entraîne mille autres questions. En empruntant subtilement un large spectre de références à la science-fiction traditionnelle, allant de X-Files à Star Trek, le film se nimbe du mystère de ses prédécesseurs pour distiller un parfum connu remis au goût du jour. Le long métrage hérite directement de ses ancêtres et ne cache à aucun moment son affection clairement exprimée pour le cinéma populaire qui a bercé l’enfance des membres de Crazy Pictures, sans pour autant devenir exaspérant de clins d’œil. UFO Sweden assimile son legs, mais trouve sa propre voix, son propre ton entre humour et aventure, et sa propre identité. Les codes et les conventions des films à grand spectacle des années 1990 ne sont qu’un enrobage qui sert une quête beaucoup plus intime de vérité. En propulsant Anna dans le monde de l’inconnu, le long métrage invite une jeune génération à questionner le monde et ne pas se satisfaire de réponses préconçues, partielles ou hypocrites. L’enquête de la protagoniste et de ses camarades d’infortune est une recherche du savoir qui redonne sa légitimité à ceux qui interrogent la réalité à la lumière de preuves de l’inexplicable. Pour rayonner, la science doit sortir de la léthargie des bureaux et renouer avec l’investigation du terrain. La vérité est en dehors des murs, sur la terre neigeuse de Suède ou enfouie au cœur d’un lac. D’abord montrés comme des hommes et des femmes résignés, prisonniers d’un empire de formulaires, les membres un brin lunaires de UFO Sweden retrouvent l’exaltation communicative de la recherche de connaissances en abandonnant leur poste pour revenir dans le domaine du réel, grâce à la témérité d’Anna. Sans passion et sans conviction, l’intellect n’est rien. À travers ses dialogues, UFO Sweden oppose initialement le savoir et la croyance, pour finir par les confondre dans le dénouement du film. Pour percer à jour les mystères des cieux, l’homme de réflexion doit accepter d’être aussi rêveur, tout comme l’être d’émotion doit parfois voir ses convictions vaciller face à la vérité des faits. La quête de la vérité des étoiles évolue de concert avec une exploration intime de sa propre psychée. Entre deux courses poursuites galvanisantes, Anna en apprend finalement davantage sur elle-même que sur l’espace. La jeune adolescente grandit, mûrit, assimile ses erreurs, et accepte la parole de Lennart (Jesper Barkselius), le chef de file de UFO Sweden qui prend rapidement le rôle de figure paternelle de substitution, tout comme elle transforme de son impertinence cet homme rigoureux. La science doit concéder à l’onirisme, et les songeurs doivent également accepter certains faits.

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Néanmoins, le long métrage prend le plus souvent l’allure d’une fronde acerbe, maquillée par l’humour, contre des évocations d’un ordre établi qui se rendrait coupable de rétention d’informations essentielles. En gardant sa saveur de film sans prétention et amoureux du cinéma de divertissement, UFO Sweden ne cède évidemment pas à un conspirationnisme malvenu, mais il se transforme parfois en satire délicieusement insurrectionnelle et frondeuse. Anna est une figure insoumise face à l’injustice de sa vie chaotique, à la fois trop éprouvée pour s’inscrire dans le monde de l’adolescence qui la rejette, et encore trop jeune pour se résigner face aux codes d’une société où elle n’a pas sa place. Elle transforme les accessoires de son enfance en armes contre les maux des adultes. La Game Boy qui lui est offerte est démontée et modifiée pour devenir un outil de piratage, prouvant ainsi que UFO Sweden a savoureusement un pied dans l’univers de la jeunesse, un autre dans celui de la maturité souvent perçue comme un reniement des espoirs. L’héroïne est une incarnation d’une folie nécessaire et d’une insurrection légitime, une briseuse de barrières métaphoriques mais aussi concrètes lorsqu’elle fait s’effondrer le grillage d’une station météorologique qui se révèle être en réalité un observatoire secret. Elle pulvérise les limites qui lui sont imposées pour faire de son goût du risque transmis aux membres de UFO Sweden un instrument de recherche scientifique. Elle brûle du feu de sa révolte juvénile le voile du secret, triche parfois mais rien ne peut entraver sa marche en avant vers une vérité cachée. Si elle doit enfreindre toutes les lois pour trouver des réponses à ses questions, alors elle le fera sur un train d’enfer, à cheval sur sa moto ou au volant de la voiture de son père, fuyant la répression et l’obscurantisme des organes de l’État. Les pères ont faussé les données, un mystérieux vieil homme membre de UFO Sweden semble résolu à se conformer à la parole explicitement tronquée des observatoires suédois, et l’insoumission d’Anna face à cet antagoniste et face à cette institution nationale devient une expression de la fureur adolescente légitime. La sagesse n’a pas d’âge et la résignation n’est jamais preuve de vertue. Pour parachever son portrait toujours divertissant mais affirmé d’une jeunesse rebelle, UFO Sweden confronte ouvertement Anna aux forces de l’ordre, pourvoyeuses du mal. En fuyant les gyrophares dans de nombreuses scènes d’action modestes mais abouties, la protagoniste réclame sa liberté et refuse de se fondre dans le moule que voudrait lui imposer une société incarnée sous les traits d’une policière déterminée à tout mettre en oeuvre pour contrarier l’évolution de l’héroïne.

Au-delà des codes de la science-fiction dont s’amuse UFO Sweden et qui régalent le spectateurs d’une douce nostalgie, le film prend dès lors des airs de parcours initiatique pour Anna qui accepte une place de marginale, et trouver chez les membres de UFO Sweden une nouvelle famille. Le groupe est soudé par un même élan du cœur et une même obsession, jusqu’à rendre leurs liens indestructibles. Histoire fictionnelle et parcours du collectif de Cray Pictures se répondent presque à l’écran. Anna est assoiffée de vérité, mais elle est avant tout riche des rencontres qu’elle fait. Elle qui était exclue parmi les gens de son âge trouve sa place au sein de cette assemblée disparate de joyeux personnages hauts en couleurs, et les séquences rythmées du long métrage, toujours à la lisière de la comédie, servent avant tout à souder de nouvelles relations humaines. Le ciel et ses mystères appartiennent aux rêveurs qui, unis d’un même songe, tournent leur regard vers les étoiles. Les fous se font sages, les ostracisés caressent une noblesse de l’âme dont sont dépourvus les autres personnages, prisonniers d’une vie sans imaginaire. La sensibilité digeste et sans faux semblants de UFO Sweden naît de l’acceptation mutuelle entre Anna, qui réprime sa rage de vivre pour s’autoriser les bienfaits de la chaleur humaine sincère, et des membres de l’association, enfin considérés et acceptés pour ce qu’ils sont, de parfaits marginaux mais fiers de l’être. En acceptant la protagoniste dans leurs rangs, les doux dingues lui ouvrent les portes d’un nouveau foyer, qui ne s’est pas réellement hérité mais qui s’est découvert, et ils l’adoubent d’un badge et d’un blouson, comme une nouvelle peau. Si Anna prend contact avec UFO Sweden en suivant les traces de son père disparu, la place qu’elle trouve au sein de cercle humain marque une rupture avec l’héritage oppressant de son aïeul qui avait dicté sa ligne de conduite jusqu’à alors. Son ancêtre a quitté l’association pour poursuivre seul ses illusions, la protagoniste y est acceptée pour toujours et assimile que sans le réconfort émotionnel de ceux qui partagent ses aspirations, la recherche de la vérité est vaine. L’aventure se vit à plusieurs, essentiellement avec Lennart qui épouse le rôle de nouveau parent de cœur, loin de la froideur du foyer d’accueil d’Anna. UFO Sweden est une bravade collective qui fait progressivement des désirs de connaissances céleste un espoir commun. Le secours mutuel est le carburant d’une fusée lancée vers les étoiles et leurs secrets.

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Pour accentuer la douceur d’un récit qui confine souvent au coming-of-age, mais aussi pour lui insuffler une universalité intergénérationnelle, UFO Sweden s’enrobe de l’esthétique des années 1990, époque où se place l’intrigue mais aussi dans laquelle Victor Danell et Crazy Pictures puisent leur inspiration cinématographique. Le long métrage se pare des atours d’une nouvelle rétro-SF, héritée d’une décennie qui se redécouvre avec plaisir et sans lourdeur. Le long métrage se démarque des autres productions empreintes de nostalgie en assimilant avant tout les artifices de mise en scène de cette ère révolue, davantage qu’en multipliant les clins d’œil. Pour ressusciter le cinéma de leur enfance, les membres du collectif de cinéastes proposent à l’écran des séquences revisitées, devenues ludiques et digestes. Les balbutiements d’internet montrés lors d’une scène de piratage informatique archaïque prêtent à sourire et l’apparition d’une sempiternelle barre de chargement qui progresse de concert avec l’avancée d’antagonistes prêts à surgir sur les héros fleure bon le septième art de l’ancien temps. L’exploration temporelle de forme répond à celle du scénario, lorsqu’Anna plonge dans les traces écrites des recherches de son père pour retracer son parcours, ou lorsque la voiture mystérieuse devient vaisseau céleste de fortune qui plonge dans un trou de ver pour traverser les âges. La transformation astucieuse des règles de la métaphysique épouse un double sens, elle se révèle autant être un moteur de l’action qu’un élément d’exploration de l’intimité d’Anna. En empruntant un pont d’Einstein-Rosen, dont le fonctionnement est résumé au moyen d’une feuille de papier repliée sur elle-même, la protagoniste affronte les dangers de l’espace mais se met aussi en quête d’un temps perdu, celui de son enfance volée. Pourtant, malgré son regard tendre sur le passé, UFO Sweden invite son héroïne à prendre sa place dans le présent et à influencer le futur. Après avoir suivi les traces des anciens, Anna devient enfin actrice de sa propre existence, tout comme Crazy Pictures a rajeuni le cinéma des années 1990 pour en faire un film moderne.

Divertissement léger, accessible et attachant, UFO Sweden est une petite curiosité séduisante et généreuse, habillement pensée.

UFO Sweden est disponible en VOD, chez Wild Side.

Nicolas Marquis

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