The Redeem Team : Rebondir ensemble
The Redeem Team : Rebondir ensemble affiche

(The Redeem Team)

2022

Réalisé par : Jon Weinbach

Avec : Kobe Bryant, LeBron James, Dwyane Wade

Film vu par nos propres moyens

Tous les quatre ans, le tournoi olympique de basket-ball oppose les sélections nationales du monde entier, et couronne de ses lauriers la nation reine de la discipline. Bien que la NBA soit le rêve absolu de tous les jeunes adeptes de la balle orange, les JO restent la compétition internationale la plus prisée, davantage que la Coupe du Monde organisée par la fédération internationale de basket-ball, offrant aux joueurs de chaque pays l’honneur ultime de porter le maillot de leur patrie. Durant plus de cinquante ans, les États-Unis dominent les débats presque sans partage. Si on excepte la victoire soviétique sur les USA en 1972, résultat d’un des plus grands scandales de ce sport et d’une fin de finale tronquée par des décisions arbitrales polémiques, et le sacre de la Yougoslavie en 1980, profitant du boycott américain de la compétition, la sélection américaine remporte toutes les médailles d’Or, jusqu’en 1988. Mais cette année, à Séoul, l’avenir du basket-ball mondial est bouleversé. Défaits en demi-finale, et cette fois sans excuse extra sportive, les USA abandonnent leur trône. Pour laver l’affront, une profonde remise en cause du fonctionnement de Team USA s’initie. Alors que jusqu’à présent, seuls de jeunes joueurs universitaires étaient choisis pour participer à la compétition, les stars de la NBA investissent l’équipe pour redorer le blason du pays. En 1992, ce qui reste à ce jour l’une des plus grandes équipes de basket-ball jamais constituée émerveille la planète, la fameuse Dream Team. À Barcelone, Magic Johnson, Larry Bird et Michael Jordan signent davantage d’autographes qu’ils ne marquent de panier, et écrasent outrageusement la compétition, offrant une vitrine sans précédent à la ligue professionnelle nord-américaine et ouvrant une nouvelle ère de domination.

Toutefois, en 2004, à Athènes, les États-Unis chutent à nouveau en demi-finale des Jeux Olympiques. L’appel en sélection nationale n’est plus perçu comme un honneur irrefusable, et même si les légendaires Tim Duncan et Allen Iverson sont de la partie, une vague de désistements conséquente frappe Team USA, obligée dès lors d’appeler à la rescousse de tout jeunes joueurs ayant encore tout à prouver. LeBron James, Carmelo Anthony et Dwyane Wade sont destinés à devenir des icônes, mais leur carrière en est encore à leurs balbutiements. La déroute d’Athènes apparaît comme une nouvelle blessure dans l’Histoire du basket-ball américain, qui met en évidence l’internationalisation d’un sport jusqu’ici très étatsunien, mais aussi le manque de cohésion dans un groupe qui ne se côtoie que pendant quelques semaines, tous les quatre ans. La fédération jusqu’ici discrète entame sa seconde métamorphose, et confie à l’entraîneur de l’université prestigieuse de Duke, Mike Krzyzewski, les rênes de l’équipe. Les USA doivent se racheter, et Coach K à quelques mois pour réunir les plus grandes stars du basket-ball autour de la tunique nationale, leur imposer une nouvelle rigueur de travail et une culture de l’effort pour les mener vers le titre olympique à Pékin, en 2008. Pour symboliser la rédemption incarnée par cette équipe, le surnom de Redeem Team (l’équipe du rachat en français) leur est donné.

Dans une succession d’interviews face caméra réunissant les membres de cette sélection, et à travers une galerie d’images d’archive en immersion dans les coulisses de cette reconquête du Graal, The Redeem Team : Rebondir ensemble, disponible sur Netflix, se présente sous la forme d’un documentaire retraçant chronologiquement les évènements. De la désillusion d’Athènes à l’aventure collective de Pékin, le film partage intimement l’expérience commune de LeBron James, Dwyane Wade, Kobe Bryant, ou encore Carlos Boozer.

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Épousant à nouveau le rôle d’artiste voué à glorifier une trajectoire sportive hors norme, le réalisateur Jon Weinbach laisse entrapercevoir les forces et les faiblesses inhérentes à sa vision de l’exercice documentaire. Déjà producteur de The Last Dance, série également estampillée Netflix retraçant la carrière de Michael Jordan, le cinéaste en reprend la grammaire visuelle et narrative pour entretenir la mémoire de cette épopée. The Redeem Team : Rebondir ensemble jouit dès lors de la patte d’un auteur particulièrement à l’aise au moment de transcrire la dramaturgie propre au basket-ball. Bien que l’unité de temps d’un match soit fatalement condensée dans le documentaire, Jon Weinbach saisi l’essence du sport qu’il met en scène, que ce soit à travers l’impact d’un panier à trois points marqué, d’un contre aérien, ou d’une interception rageuse. Le basket-ball tient parfois davantage de la tragédie que du sport, alors que le sort d’une partie peut être décidée après le buzzer final, dans les quelques secondes suspendues qui séparent le ballon du panier au moment du dernier tir. Pour les aficionados de la balle orange, la volonté d’immersion dans les coulisses du quotidien des joueurs qui l’ont émerveillé se révèle également être un moment particulièrement précieux et touchant. La barrière médiatique se brise, l’athlète inaccessible devient un homme proche du spectateur, en proie aux doutes et aux regrets. The Redeem Team : Rebondir ensemble place le spectateur dans les gradins au moment de l’entraînement, lui offrant le rôle de témoin privilégié des efforts des athlètes. 

Néanmoins, à l’instar de The Last Dance, le documentaire se rend à nouveau coupable d’une forme de réécriture enjolivée de l’Histoire qui agace parfois les puristes. Ainsi, au moment où Kobe Bryant intègre les rangs de Team USA, Jon Weinbach met en avant une succession de témoignages qui mettent à jour le côté froid et égoïste du joueur, un secret de polichinel de la NBA, mais choisit de ne jamais évoquer ce qui ébranle véritablement son aura à cette époque, les accusations de viol qui le frappent. La mort récente du Black Mamba, le surnom de Kobe Bryant, dans un effroyable accident d’hélicoptère, est sans aucun doute encore trop récente pour que le cinéaste s’autorise à écorner son image. Dans une même volonté d’embellissement, certaines déclarations lunaires confinant au blasphème basketballistique ne manquent pas de crisper les connaisseurs. Avec un naturel déconcertant, The Redeem Team : Rebondir ensemble présente le joueur Deron Williams comme “L’un des trois meilleurs meneurs de la planète de l’époque”, une gratification qu’aucun observateur aguerris ne lui octroie. Le manque de recul critique sur les envolées de LeBron James, probablement dû à son rôle de coproducteur, perpétue cette glorification permanente. Avec le plus grand calme, le King présente la Team USA de 2008 comme la plus grande équipe de basket de tous les temps, alors que sa simple place sur le podium est hautement contestable. Le rire des spectateurs de la NBA est même total lorsque Lebron James se rend coupable d’un de ses traits de caractère les plus navrants, et qui déchaîne l’hilarité de certains comptes parodiques sur les réseaux sociaux : la prescience énoncée après coup. Le joueur actuel des Lakers clame à ce titre qu’il savait que la sélection nationale de 2004 fonçait dans le mur. Toutefois, vous ne trouverez aucune trace de déclarations allant dans ce sens à l’époque, ni dans The Redeem Team : Rebondir ensemble, ni ailleurs.

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Aussi contestables soient certaines intentions du documentaire et le manque de contrepoint, elles servent une mission supérieure jouissive. The Redeem Team : Rebondir ensemble n’est pas un reflet exact de la réalité, mais plutôt de la légende qui en est née, et épouse chemin faisant une forme d’extase du sport et de ses valeurs. Qu’importe si Jon Weinbach truque certains éléments, tant le spectateur est tenté de lui pardonner ses approximations dans une envie de plonger dans le mythe même du basket-ball plutôt que dans sa réalité. Le sport est presque religion en Amérique du Nord, et s’accompagne de récits iconiques dont l’épopée de 2008 fait partie. Constamment, les États-Unis érigent les sportifs en membres émérites de la société et en véritables modèles. Dans la réalité comme dans le documentaire, les USA considèrent le basket-ball comme un élément de la “culture”, un mot qui revient plusieurs fois dans la bouche des intervenants du film. Il n’est dès lors plus anodin de voir Coach K confronter les membres de sa sélection à des images de Marvin Gaye. Le sport et la musique participent à la constitution d’une identité collective. 

Mais The Redeem Team : Rebondir ensemble n’est pas que le simple récit d’une fable sportive, il est le témoignage d’une refonte totale des dogmes qui avaient jusqu’ici encadré Team USA. L’échec de 2004 a forcé les sportifs à devenir humbles, et leur périple naît d’une défaite vécue comme une honte nationale. Les stars planétaires que sont déjà à l’époque LeBron James et Dwyane Wade doivent accepter que sous le maillot étoilé, ils ont encore tout à prouver, et doivent faire fi de leur palmarès personnel, au service d’un collectif. Employer à ce titre le coach d’une université, aussi titrée soit elle, et non pas un entraîneur de NBA, est significatif. Les joueurs qui répondent à l’appel doivent mesurer ce qu’ils leur restent à apprendre sur les parquets, et peut-être encore davantage en dehors. Si effectuer un rapprochement très américain entre le sport et l’armée est maladroit, la constitution d’un esprit d’équipe non plus au service d’un club, mais d’un pays, apparaît comme un moteur du documentaire. Ainsi, la rivalité légendaire entre les Celtics de Boston et les Lakers de Los Angeles n’existe plus. Lorsque Kobe Bryant est apostrophé par un fan des Celtics à Disneyland, quelques jours avant les Jeux Olympiques, alors que Boston vient de battre Los Angeles en finale NBA, ce n’est pas pour le railler, mais pour lui dire posément “Ramène nous l’or”. Il convient de porter un regard critique sur une nation où la défaite est une honte, et la victoire la normalité, mais les basketteurs sont quoi qu’il en soit “Plus que des athlètes” si on se réfère au slogan que LeBron James a popularisé ces dernières années.

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Conscient de cette réalité, les basketteurs de l’épopée de 2008 croquent dans l’expérience de l’olympisme à pleines dents, que ce soit en surface, ou dans ces valeurs humaines les plus profondes. Alors qu’en 2004, la guerre en Irak avait contraint la délégation des États-Unis à vivre en autarcie, loin des athlètes des autres pays, les sportifs américains des JO de Pékin peuvent être au contact de leurs pairs, en tribune pour suivre leur performance, ou dans l’intimité d’une humble cantine du village olympique. Team USA 2004 avait été privée d’une partie de l’âme de l’événement d’Athènes, et les membres qui ont vécu les deux campagnes sont galvanisés par cette dimension essentielle enfin découverte, qui plus est dans un pays où la NBA est activement suivie par des millions de téléspectateurs. 1992 avait été une formidable vitrine pour la ligue nord-américaine, 2008 est une démonstration de l’universalité du basket-ball, un sport désormais devenu international. The Redeem Team : Rebondir ensemble évoque ainsi avec passion les exploits de Manu Ginobili, alors star des Spurs de San Antonio, mais aussi ceux de Pau Gasol, coéquipier de Kobe Bryant à Los Angeles. Les États-Unis ont appris dans la douleur le prix de leur suffisance, et cette place au panthéon à nouveau gagnée se révèle plus précieuse que les victoires préalables, car elle leur a inculqué le respect de l’adversaire. Les USA ne viennent plus assurer le spectacle face aux foules, ils luttent à armes égales avec des nations décidées à en découdre, parfaitement conscientes des systèmes stratégiques de leurs opposants.

Néanmoins, Carmelo Anthony, Carlos Boozer et leurs coéquipiers refusent les excuses. Peut-être cette Team USA, qui débarque en Chine sans être championne du monde en titre, n’avait jamais eu autant de prétextes à la défaite et de détracteurs. Si le monde entier les attend au tournant, leur approche mentale et physique de la compétition se doit d’être irréprochable. LeBron James le dit “Souvent en club, je me dis “Ha si j’avais Jason Kidd à la mène, Ha si j’avais Carlos Boozer à l’intérieur” désormais je n’ai plus ces excuses”. La victoire, ou la honte sont les seuls alternatives d’une équipe déterminée à rentrer dans chacun de ces adversaires avec une dureté de chaque seconde, dirigée par un Kobe Bryant qui mène par l’exemple, en percutant volontairement de plein fouet son ami Pau Gasol durant une des deux confrontations avec l’Espagne, pour faire passer un message fort. Kobe devient le Mamba dès quatre heures du matin à la salle de musculation, suivant son éthique de travail légendaire. Le Basket-ball se transforme en combat de gladiateur, ou durant quatre fois dix minutes, les athlètes s’affrontent sans relâche, plongeant sur chaque ballon, magnifiant chaque tir, faisant de la dureté émotionnelle une arme. Ce sport a changé : au terme de l’aventure, seuls les meilleurs seront sacrés, et les USA n’ont plus d’avance naturelle sur leurs adversaires. L’effort prime avant les lauriers de la gloire.

Si The Redeem Team : Rebondir ensemble transforme parfois la réalité pour servir son message, il reste un témoignage d’amour communicatif pour le basket-ball, et pour les hommes qui le font vivre.

The Redeem Team : Rebondir ensemble est disponible sur Netflix.

Nicolas Marquis

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