The Banker
The Banker affiche

2020

Réalisé par: George Nolfi

Avec: Anthony Mackie, Samuel L. Jackson, Nicholas Hoult

Film vu par nos propres moyens

Évoluant dans l’ombre des projecteurs depuis de nombreuses années, George Nolfi n’en reste pas moins un scénariste connu du paysage cinématographique américain. Sa plume n’a pourtant rien de célébré par la critique, et du haut de ses 54 ans, l’auteur est pour beaucoup un Yes-Man d’Hollywood, propulsé sur des projets à la qualité relative. Outre son travail sur le décevant Dernier Rempart, en 2013, George Nolfi semble avoir pour spécialité la conception peu inspirée de suites pour des licences fructueuses: les années 2000 en sont le témoin, avec successivement Ocean’s Twelve et La Vengeance dans la peau, auxquels il collabore. Cependant, George Nolfi n’est pas que scénariste, et s’essaye de temps à autre à la réalisation, pour un succès tout à fait modeste. Son plus grand fait de gloire de mise en scène reste à ce jour L’Agence, tentative bancale d’adaptation de Philip K. Dick. L’homme n’est pour ainsi dire pas une valeur sûre du milieu, et peine à exister dans une sphère concurrentielle. Celà n’empêche pourtant pas Apple TV+ de faire appel à lui en 2020 pour l’élaboration et la mise en image de The Banker, dans un registre loin de ses incursions habituelles. Alors que le cinéaste est d’ordinaire dévolu aux propositions Pop-corn, c’est ici une histoire vraie, ancrée dans l’Amérique des années 1950 et sur fond de ségrégation, que George Nolfi porte à l’écran. Un véritable contrepied qui confine au pari osé, sur lequel Apple croit toutefois beaucoup, invitant notamment un casting de stars, Anthony Mackie, Samuel L. Jackson et Nicholas Hoult en tête. À l’évidence, la volonté de propulser la nouvelle plateforme de SVOD en 2020 est vive, et les investissements de la firme sont conséquents, mais une telle prise de risque reste surprenante. Fort heureusement pour le public, George Nolfi montre avec The Banker une nouvelle facette de sa personnalité, plus séduisante, et sans rencontré un franc succès, son œuvre se révèle plus consistante qu’à l’accoutumé.

Inspiré de faits réels, The Banker restitue le parcours de Bernard Garrett (Anthony Mackie), un enfant du Texas ségrégationniste qui dévoile un don inné pour la finance. Devenu adulte, l’homme à la peau noire entend bien faire fortune dans l’immobilier, et migre vers la Californie. Sur place, il se heurte toutefois au mur des préjugés raciaux, et peine à se faire entendre. Pour assouvir son ambition, il s’associe avec un patron de club afro-américain, Joe Morris (Samuel L. Jackson), et ils mettent ensemble sur pied un plan osé: embaucher un homme blanc, Matt Steiner (Nicholas Hoult), totalement ignorant de la loi du marché, pour en faire la figure de leur entreprise, et ainsi leur ouvrir les portes d’un monde qui se refuse à eux. Un temps couronnée de succès, la combine vacille lorsque Bernard souhaite revenir au Texas pour aider sa communauté, et au moment où Matt, croyant avoir acquis des bases en économie, cherche à s’émanciper.

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Bien que The Banker soit le portrait intime de trois hommes au cœur de la tourmente, le film épouse aussi les traits de la photographie d’une époque charnière aux USA: la fin des années 1950. L’ascension de deux hommes noirs dans une telle période ne saurait être innocente, alors que le pays, profondément divisé, voit naître le début du mouvement pour les droits civiques. Sans jamais le montrer clairement, George Nolfi tisse un champ de références à cette ère de bouleversement: Martin Luther King et son combat est évoqué, le spectre du KKK plane sur le Texas, et une mention explicite de la NAACP, vu par la population blanche comme un péril, s’invite dans le film. Plus implicitement, le long métrage propose quelques visuels très discrets, mais fatalement évocateurs. Lorsque le bureau de Joe est tapissé de représantations évoquant le temps des pharaons, l’image de l’esclavage s’immisce dans le récit. Alors que les lois devraient permettre à Bernard et Joe d’accéder à la propriété, l’hypocrisie de tout un pays éclate au grand jour. Assurément, The Banker reste trop consensuel, et la violence physique ne s’affiche jamais ouvertement, sauf au moment où Bernard est interpellé, mais l’oppression morale est vive. Un film historique a souvent vocation à interroger sur le présent: en 2020, les États-Unis sont en plein dans les années Trump, et la fracture entre les ethnies est palpable. Le long métrage devient alors un témoignage important.

Aussi vindicatif soit The Banker, jamais le film n’entend réduire l’identité afro-américaine à une simple expression. Bernard et Joe sont même radicalement opposés, et se considèrent initialement avec défiance: l’un est taiseux et méthodique, l’autre semble s’épanouir dans le faste de la vie nocturne. Un éventail se dessine, et les mentalités se confrontent. Alors que chacun prodigue des conseils à Matt dans un montage un peu convenu, pour qu’il assume l’identité publique de leur association, les tâches sont mêmes clairement définies. Bernard l’initie aux calculs poussés, Joe se charge de son image. L’un ne peut exister sans l’autre. Dès lors, qu’est ce qui peut bien réunir deux êtres aussi contraire dans leur philosophie de vie ? La douleur issue de l’oppression des élites blanches et la vexation permanente sont le socle de leur amitié. Parce que Bernard et Joe ont vécu les mêmes brimades, ils se comprennent, et leur complicité en devient naturelle. Un autre personnage vient parchever le portrait de la population afro-américaine: la femme de Bernard, Eunice (Nia Long). En une simple phrase, The Banker étale un combat plus large, et adjoint à la lutte pour l’égalité des races, la bataille pour celle des sexes. Une fois de plus, le regard sur le passé résonne avec le présent, alors qu’en 2020, l’émergence des mouvements Me Too est vive, et le film nous fait comprendre avec un peu de facilité que beaucoup reste à faire.

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L’épopée de Bernard et Joe prend toutefois des allures de vengeance. En cherchant à acquérir des biens immobiliers, les deux hommes cherchent une rétribution à leur calvaire quotidien. Puisque les portes de la banque principale de Los Angeles sont restées closes pour Bernard, celui-ci en acquiert la propriété immobilière. Toutefois, The Banker à le bon goût de ne pas sombrer dans la logique d’une revanche froide, mais adopte un ton malicieux, qui transforme les deux protagonistes en véritable Robins des Bois de l’économie. En revenant sur ses terres du Texas, Bernard ne souhaite pas uniquement braver les interdits qui se sont posés à lui depuis tout jeune, mais veut faire s’épanouir sa communauté. L’obtention de la banque locale a pour but simple d’offrir des prêts à la population afro-américaine, jusqu’ici exclue d’une telle opportunité. Bien que solidement attaché à l’esprit d’entreprise américain, The Banker ne bascule pas dans une éloge du capitalisme: le bien matériel est réduit à sa plus simple expression, parfois une humble machine pour un commerce émergeant, parfois un habitat pour une famille dans la détresse. Le long métrage commet cependant l’erreur de se noyer dans un jargon économique et législatif complexe, peu digeste, alors qu’il avait réussi à l’évacuer un temps.

Au cœur de The Banker se niche également une inversion peu commune, alors que l’histoire prend place entre les années 1950 et 1960. L’originalité de l’entreprise du duo vindicatif vient de cette volonté de faire d’un personnage à la peau blanche un véritable homme de paille. Tout comme les afro-américains ont pu être exploités à l’époque, Matt subit les mêmes brimades, et sa volonté d’émancipation apparaît alors cohérente. Bien que la bêtise de ce protagoniste soit condamnée, et suscite une forme de colère, George Nolfi fait preuve de compassion. Bernard et Joe se désolent de ses coups d’éclats, mais comprennent ses intentions dans le même temps. Puisqu’eux aussi savent ce qu’est une existence où l’affirmation de soi est reniée, ils ne peuvent juger amèrement leur associé. La symbolique du costume est même tissée tout au long du film: alors que Matt revêt les habits d’homme d’affaire, Joe, puis finalement Bernard, endossent ceux de larbins, pour tromper leur monde. The Banker joue perpétuellement des apparences, dans un jeu de dupe constant.

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Une grande fatalité pèse néanmoins sur le récit. D’une part, une séquence poignante où Bernard et son fils arpente les rues texanes, et font face à des symboles forts de la ségrégation, comme cette fontaine réservée aux blancs qui évoque fatalement Mississippi Burning, nous rappelle qu’aussi grandiose soit l’aventure, elle n’est propre qu’à une poignée d’individus, alors que le collectif vit sous le joug d’un régime délétère. D’autre part, la fin du film se veut profondément défaitiste. Pour avoir accédés à la propriété, pour s’être affirmés dans un système odieux, Bernard et Joe auront la tête métaphoriquement tranchée. Dans un dédale institutionnel, The Banker place l’intérêt politique au-dessus de tout idéaux de justice. Le pouvoir n’a que faire de la lutte pour l’égalité, il ne sert que les privilèges d’une élite, bien que Bernard leur renvoie l’image de l’oppression. George Nolfi joue même visuellement de l’image de la capitale américaine: en proie au doute, alors qu’il est susceptible de trahir ceux qui restent ses amis pour échapper à des poursuites judiciaires, Matt est montré hésitant, dans un hôtel qui donne vue sur le Washington Monument. L’ombre de l’obélisque, et donc du pouvoir politique, plane sur le dilemme moral du personnage.

The Banker commet quelques erreurs formelles, mais livre un récit puissant et inspirant, une histoire vraie sur la lutte pour l’égalité qui résonne avec le présent.


The Bankerest disponible sur Apple TV+

Nicolas Marquis

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