Mississippi Burning
Mississippi Burning affiche

1988

Réalisé par: Alan Parker

Avec: Gene Hackman, Willem Dafoe, Frances McDormand

Film fourni par L’Atelier D’Images

Enquête sur la haine

Mississippi, juin 1964. Alors que la lutte pour les droits civiques secoue les USA, trois activistes arpentent les routes de cet état ségrégationniste du sud du pays pour inciter la population afro-américaine à s’inscrire sur les listes électorales. Mais James Chaney, Andrew Goodman et Michael Schwerner ne mèneront jamais leur mission à terme: une funeste nuit, leur voiture est stoppée, et ces courageux jeunes hommes sont abattus froidement, puis enterrés à quelques kilomètres de là. Cette histoire n’a rien d’une fiction: pour l’idée de départ de son Mississippi Burning, Alan Parker puise son inspiration dans ces trois homicides bel et bien réels qui ont ébranlé les États-Unis, comme une terrible blessure sur laquelle plane le spectre du Klu Klux Klan et l’indifférence des autorités locales.

C’est pourtant dans l’après que se projette le cinéaste. En romançant l’enquête sur ces meurtres motivés par la haine raciale, le metteur en scène virtuose propose le parcours de deux agents du FBI venus faire la lumière sur les événements. Gene Hackman et Willem Dafoe incarne les agents Anderson et Ward, deux hommes opposés dans leurs méthodes, mais animés d’un même désir de justice qui se heurtent à la loi du silence et aux préjugés qui règnent dans le comté de Jessup. Leur investigation prend progressivement des proportions titanesques, aux ramifications nationales, mettant en évidence notamment l’implication des forces de police de la ville dans les trois assassinats.

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Faiseur d’image émérite ayant notamment émerveillé les spectateurs avec Angel Heart ou encore The Wall, le long métrage associé à l’imaginaire débridé des Pink Floyd, Alan Parker fait ici preuve de retenue visuelle, tout du moins en apparence. Comme si le sujet de son film était trop sensible pour se permettre la moindre excentricité qu’on lui connaît habituellement, le cinéaste use avant tout du dialogue et de la mise en scène pure. Un processus créatif qui n’empêche pas Alan Parker d’être dans la réflexion sur son art et la manière de transmettre son propos aux spectateurs. Ainsi, quelques images d’archives bien réelles s’invitent, ou de fausses interviews télévisées sont elles proposées selon la même esthétique dictée par les codes du petit écran. Le réalisateur s’ancre dans le réel pour mieux diffuser son message: de son propre aveu, utiliser un fait historique passé dans Mississippi Burning est une façon d’évoquer le présent et le racisme toujours étouffant dans son pays.

Deux hommes si différents

Ce n’est donc pas en stylisant à outrance son long métrage que Alan Parker atteint brillamment son objectif, mais plutôt par une série de choix plus discrets. En premier lieu, il convient de souligner l’opposition physique naturelle entre Gene Hackman et Willem Dafoe: le premier est massivement bâti et d’un âge mur, le second est plus élancé et relativement jeune à l’époque. Un contraste qui appuie leur approche différente de leur métier: Anderson est un homme de terrain près à toutes les extrémités pour accomplir sa mission, Ward est quant à lui soucieux de la procédure.

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C’est aussi par les costumes que  Mississippi Burning communique avec le spectateur. Alors que Willem Dafoe est tiré à quatre épingles et déconnecté des habitants de Jessup, Gene Hackman apparaît plus négligé mais se fond dans le monde qui l’entoure. Son personnage est d’ailleurs présenté comme un homme du sud qui connaît le Mississippi et sa ségrégation dure, notamment au moment d’évoquer son passé familial. Ne serait-ce que le visage emblématique de l’acteur le rapproche des gueules amochées, parfois porcines, qui peuplent la ville. Anderson se bat bec et ongle contre le racisme, plus violemment que Ward même, mais il n’en reste pas moins le trait d’union entre les habitants et les agents désincarnés du FBI.

Ville fantome

Le comté de Jessup se révèle également être un environnement bien particulier, propice à l’interprétation. La boue semble omniprésente et tache les chaussures des nouveaux arrivants. Le cortège d’agents à la recherche désespérée des corps des trois victimes traverse même un véritable marécage dans la phase d’introduction du récit. Il est facile d’y voir un symbolisation visuelle de la discrimination qui enlise la ville dans sa propre décrépitude. La récurrence du feu dans Mississippi Burning est elle aussi intrigante: en plus de jouer sur une peur primaire, souvent accentuée par un montage sec, Alan Parker nous explique que tout ce qui naît de la haine est vouée à s’achever par la destruction. Jessup est faite de terre et de flamme.

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Schéma mortifères

Comme un mortifère ornement, le cinéaste parsème la ville de drapeaux sudistes: que ce soit sur les bâtiments, les voitures, ou dans les échoppes, ce symbole du fantôme de l’esclavagisme trône partout et oppresse le spectateur. Un accessoire qui apparaît loin d’être anodin, alors que la bannière étoilée semble être réservée aux manifestants noirs pacifistes. Alan Parker joue de se symbole de façon particulièrement caustique au moment de réunir les deux emblème dans une seule et unique scène: dans une salle de tribunal un juge est encadré par l’un et l’autre. Son jugement est partial, un camouflet, une véritable honte pour la justice qui pardonne les bourreaux des afro-américains.

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Gene Hackman, Willem Dafoe

Alan Parker se révèle être un vrai dynamiteur de système: outre la justice qui se fourvoie, sa fronde contre le Klu Klux Klan se fait franche et sévère. Ses membres sont de parfaits bouffons pour la plupart, tout du moins ceux qui exécutent les ordres, leurs échanges sont frappés du sceau de la bêtise tout aussi crasse que la boue de Jessup. Le metteur en scène renvoie à la sinistre organisation un attribut qui la caractérise au yeux de tous: la cagoule. C’est d’abord à travers un enfant afro-américain, qui revêt un carton masquant son visage pour qu’il ne soit pas identifier,et ce afin de parcourir la ville en voiture avec Anderson et Ward, qu’on l’éprouve: l’anonymat dans lequel se complet le klan pour ses agissements horribles devient l’arme des témoins prêts à collaborer. Puis c’est ensuite dans une seconde séquence que le cinéaste est encore plus vindicatif: un membre du KKK est attrapé, menotté dans une cabane, et face à lui se trouve un homme encagoulé, dont on distingue la peau noire autour des yeux. En se défaisant de son accoutrement, ce personnage singulier menace de torture son vis à vis. La violence est renvoyée à ceux qui s’y adonnent.

De l’origine à la fin de la ségrégation

Aussi acharné soit Alan Parker dans son combat contre le monstre du racisme, il se refuse pourtant à en donner une définition trop légère. Mississippi Burning a besoin de contextualiser, d’expliquer pourquoi les hommes deviennent fous et haissent leurs prochains. C’est parfois simplement la jalousie qui les conduit à l’abominable, mais le personnage incarné par la divine Frances McDormand offre une raison plus profonde. “On ne naît pas raciste” affirme-t-elle, “on le devient”. C’est l’éducation typique du sud, de la cellulle familiale aux banc de l’école, en passant par l’église, qui inculque aux enfants la discrimination et la colère. Alan Parker revient sans cesse à cette idée: les jeunes personnages sont légion, blancs ou noirs, et lorsqu’un d’entre eux s’endort, épuisé, sur l’épaule de son père galvanisé par le discours d’une réunion ségrégationniste, on comprend la puissance absolue du long métrage.

Dès lors, quelle solution apporter à un mal si solidement ancré? Plus que la violence, même si Alan Parker ne refuse pas réellement cette idée, la place de la parole semble essentielle. C’est une fois de plus Frances McDormand qui véhicule cette thèse. Par deux fois, elle rompt l’omerta de Jessup pour communiquer des informations importantes à Anderson. Ici, la mise en scène du cinéaste se fait particulièrement intrigante, comme si les dires de cette femme seule face à tous ne pouvaient pas s’exprimer ouvertement. La première fois, on ne la voit dialoguer que visuellement, la sphère sonore nous est refusée par Alan Parker qui impose une vitrine entre le couple et le spectateur. La seconde fois, c’est dans la pénombre que se place l’échange, dans une portion restreinte de l’image, sur cadré par ailleurs. Un entretien tout aussi confidentiel.

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En conséquence, la mission du film semble claire: faire voler en éclat le ségrégationnisme, avec acidité. Les plans d’ouverture et de fermeture de Mississippi Burning sont de véritables manifestes: dans le premier, un enfant noir boit à une fontaine réservée aux blanc, dans le dernier, une assemblé de toutes pigmentations de peau différentes est réunit pour entonner un chant. Alan Parker est venu pour jeter un pavé dans la mare, et sa démonstration est parfaite.

Mississippi Burning est disponible du côté de L’Atelier D’Images, et actuellement en promotion à 9,99€ par ici:
https://www.latelierdimages.fr/produit/mississippi-burning/

Force du propos, qualité de l’interprétation, puissance évocatrice, le tout sous l’apparence d’un grand polar. Alan Parker impressionne avec son Mississippi Burning.

Nicolas Marquis

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