La haine

1993

réalisé par: Mathieu Kassovitz

avec: Vincent CasselHubert KoundéSaïd Taghmaoui

25 ans! 25 ans que “La haine” a débarqué sur les écrans de cinéma avec toute la puissance de son message, laissant une trace indélébile sur la rétine des spectateurs. 25 ans également que le film ne cesse d’enfanter d’autres oeuvres dont le plus vibrant exemple est sans doute également le dernier: “Les misérables”. À l’occasion de cet anniversaire, le film ressort dans quelques salles de cinéma. Une opportunité immanquable pour vos Réfracteurs qui vous offrent aujourd’hui leurs réflexions autour d’un long-métrage devenu mythique avec l’âge et qui reste tristement d’actualité.

Alors que leur cité s’embrase suite à l’interpellation musclé de l’un des jeunes habitants, le plongeant dans le coma, le film nous propose de suivre une journée dans la vie de Vinz, Saïd et Hubert, trois amis proches mais pourtant très différents dans leur caractère. La journée va prendre une tournure dramatique alors que Vinz montre à ses potes un pistolet égaré par un policier et récupéré la veille.

Une différence de caractère chez nos trois amis qui va être presque symbolique pendant tout le film. Mathieu Kassovitz nous offre en fait à travers ces trois protagonistes un éventail complet du mélange culturel des banlieues: Vinz est blanc, Hubert est noir, Saïd maghrébin. Plus puissant encore, ils sont respectivement juif, catholique et musulman. La question de la religion est subtile toutefois et nos trois amis ne sont pas de fervents pratiquants, mais un simple pendentif assume leurs origines et leurs fois.

En offrant ce panel, “La haine” entend être complet dans son approche. Davantage que leurs différences ethniques, le film offre également trois caractères parfois opposés. Vinz souhaite “rétablir la balance” si leur ami dans le coma meurt en tirant sur un policier, Hubert est lui plus pacifiste (malgré les émeutes qui ont ravagé sa salle de boxe) et Saïd oscille entre ces deux opinions opposées.

Les personnages sont installés, le contexte clair, Kassovitz n’a plus qu’à dérouler une critique de notre société qui reste aujourd’hui tristement pertinente. Il ne va pas excuser les violences urbaines des manifestants, mais il va donner une explication très personnelle de cette haine éprouvée par les héros et qui se cristallise dans des rapports tendus avec la police. Les deux camps rendus ennemis par la pauvreté et le manque de respect se regardent en chien de faïence. Si le dialogue est vaguement possible avec certains officiers,  c’est en général une véritable guerre larvée qui oppose jeunes et flics, la faute à un urbanisme mortifère qui entasse des populations pauvres dans des immeubles insalubres.

« Dodo! » »

Impossible de ne pas partager ce sentiment de révolte, même si on ne souscrit pas forcément à la verbalisation des trois personnages principaux. L’agressivité est aussi dans leur bouche, dans leur façon de parler, certes, mais ces grossièretés sont aussi une carapace forgée par les circonstances, traduite par de géniaux dialogues. La violence n’est pas le propre d’une ethnie mais plutôt d’un contexte social invivable. Pour montrer la déshumanisation dont la société affuble nos héros, on symbolise l’agonie de leur ami hospitalisé, presque uniquement retranscrite par des médias froids et distants alors qu’on interdit les visites à l’hôpital.

Pourtant, Kassovitz n’oublie pas de représenter la banlieue comme un vivier de talents: “Cut Killer” étale son savoir-faire de DJ dans un morceau que le film a rendu culte, mélangeant rap et Edith Piaf, Hubert montre son don de boxeur alors qu’il multiplie les coups de poings dans un sac de frappe, ou encore un groupe de breakdancers enchaîne les pas de danse tous plus virevoltants les uns que les autres. La banlieue pourrait être une opportunité pour la France, mais le désintérêt du reste de la population condamne cette société à chuter en permanence.

Puis on a cette deuxième partie du film, celle où les trois amis vont prendre le RER direction la capitale et où on passe des ruines de la cité au luxe parisien. Cette seconde moitié va devenir hautement symbolique et parfois lunaire, comme lorsque qu’un vieillard raconte une anecdote sortie de nulle part aux héros du film, terriblement appropriée à la situation politique.

Dans ce deuxième segment du film, on affirme aussi l’impossibilité pour les banlieusards de s’extraire de la cité pour s’épanouir dans un cadre plus humain. Lorsque l’on ne leur claque pas la porte au nez (comme dans la scène du vernissage où s’incruste les trois lascars), on leur oppose une police cette fois terriblement violente. Sans concession, une scène de torture dans un commissariat après l’arrestation d’Hubert et Saïd est plus que jamais glaçante et ne cesse de trouver écho dans l’actualité de notre triste monde. Une équation impossible à résoudre et qui propulse les protagonistes contre un mur d’une terrible épaisseur.

Mais “La haine” c’est aussi l’affirmation d’un auteur, Matthieu Kassovitz, qui emploie sa caméra pour immerger au plus près le spectateur. Dans sa manière de décrire le décor urbain délabré ou dans sa façon d’humaniser ses personnages en multipliant les plans serrés sur des visages marqués, il éclabousse la pellicule de son talent. Dans son montage visuel mais également sonore (avec la récurrence du bruit d’une détonation pour passer d’une scène à l’autre), il frôle carrément le génie.

Un auteur assurément, mais également un cinéphile accompli qui enchaîne les clins d’œil aux grandes œuvres du septième art. Au plus évident “Taxi Driver” lorsque Vinz se regarde dans la glace ou encore “Scarface” dans la façon dont le film s’approprie la phrase “le monde est à vous”, ici pourtant utilisée à l’opposé de la trajectoire de Tony Montana. Mais plus subtilement, Kassovitz va également étaler son amour pour Hitchcock: le noir et blanc comme dans “Psycho”, la photo d’une séquence qui va avancer le visage de Vinz sur une moitié de l’écran et utiliser l’autre portion de l’image pour décrire une scène glaçante, ou encore un “Vertigo Effect” au moment où nos amis arrivent dans la capitale.

Pour ceux (comme moi-même, votre dévoué Spike) qui avons vécu le film à sa sortie, “La haine” reste une œuvre qui a forgé un caractère. Pas une attitude violente, vos Réfracteurs sont de doux pacifistes, mais une vision désabusée d’une société qui ne cesse de se jeter dans le vide et qui se répète: “jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage ”.

Culte, tout simplement, “La haine” reste tristement d’actualité et offre une piqûre de rappel à ceux qui auraient oublié que notre société est malade et que l’inaction des privilégiés condamne les plus pauvres.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire