One Night in Miami

2021

réalisé par: Regina King

avec: Kingsley Ben-AdirEli GoreeAldis Hodge

L’année 2020 aura connu une résurgence de la lutte pour l’égalité outre-Atlantique. Comme un mauvais souvenir qui ressurgit, les violences faites aux minorités et notamment à la population noire sont tristement revenues sur le devant de la scène. Ne jamais baisser sa garde: une seconde d’inattention et le mal s’invite dans notre société. Parmi les personnalités influentes du monde du spectacle engagées sur la question, Regina King fait partie de ces artistes dont la voix porte perpétuellement un message intelligent. Les clivages et les inégalités dont souffrent les afro-américains, il va en être évidemment question dans son premier long-métrage, “One Night in Miami”.

L’histoire de quatre icônes de la culture américaine unies autour d’une nuit particulière. Le soir où la légende de la boxe Muhammad Ali (Eli Goree), encore appelé Cassius Clay à l’époque, devient pour la première fois champion du monde, il rassemble autour de lui 3 de ses amis pour célébrer sa victoire: la star du football américain Jim Brown (Aldis Hodge), le chanteur Sam Cooke (Leslie Odom Jr.) et le leader de la lutte contre la ségrégation Malcolm X (Kingsley Ben-Adir). Loin des festivités escomptées, les 4 personnalités vont se confronter et leurs destins vont être remis en perspective dans des USA divisés.

C’est une véritable remise en question profonde qui va s’inviter chez chaque personnage, chacun étant à un carrefour de son existence: Muhammad Ali s’apprête à devenir musulman, Jim Brown espère passer de la NFL au cinéma, Sam Cooke aspire à délaisser les balades amoureuses pour trouver plus de substance dans son art et les tensions entre la “Nation of Islam” et Malcolm X sont à leur paroxysme alors que celui-ci craint pour sa vie. Un status quo précaire qui démontre la difficulté d’être noir dans un pays encore très conservateur.

En étalant des personnalités du monde sportif, artistique, politique et religieux, Regina King va faire coup double: d’une part, elle définit l’identité afro-américaine de l’époque et le génial bouillonnement culturel qui l’accompagne. Dans le même temps, alors que les fêlures de chacun des 4 compères apparaissent, l’actrice reconvertie en réalisatrice pour l’occasion va avancer l’idée que même lorsque le succès est au rendez-vous, être noir à cette époque est synonyme de challenge et de douleur. On comprend avec subtilité que si ces grandes figures éprouvent autant de difficultés, la société est invivable pour les anonymes.

« The Crew. »

One Night in Miami” n’a rien d’une promenade légère: nos 4 personnages principaux s’engueulent, s’empoignent, s’opposent, leurs différences de philosophie émergent. Il n’existe pas une solution toute faite au problème du racisme aux États-Unis, chacun doit lutter pour tracer sa propre voix avec excellence s’il veut atteindre ses rêves. Un fil émotionnel unit nos héros mais il apparaît fragile et parfois imperceptible alors que l’œuvre nous propose quelques instants de véritable chair de poule propre à chacun.

Car la plus grande réussite du film réside sûrement dans la facilité avec laquelle Regina King navigue entre la sphère individuelle de ses protagonistes et l’identité de groupe qui les rassemble. On progresse entre ces différentes trajectoires avec ludisme et malice, témoin privilégié d’une réunion d’hommes extraordinaires jusque dans la plus stricte intimité. La cinéaste fait de son public une petite souris qui espionne en catimini le destin des grands.

C’est d’ailleurs avec un regard très compatissant que la réalisatrice étale ces parcours bien différents. On devine l’admiration de Regina King pour ces 4 êtres hors du commun et on la partage volontiers. Pour autant, elle ne pardonne pas toutes les erreurs de ses personnages. La cinéaste n’oublie pas que pour être pertinent, il faut savoir être critique: elle va régulièrement mettre les héros dos au mur, seuls avec leurs erreurs et leurs hésitations. On est loin de la glorification factice dans “One Night in Miami”, plus proche de l’essentiel.

Ce doux constat est possible grâce au travail d’écriture de Kemp Powers, l’auteur de la pièce de théâtre dont est tiré le film. Ses répliques sont aussi profondes que naturelles, jamais trop déclamées mais davantage sur un ton en équilibre parfait entre facilité et sophistication. Regina King peut s’appuyer sur ce savant travail de dialoguiste pour dérouler un montage fluide et clair qui ajoute à la cohérence de l’ensemble. Le duo Powers/King s’avère à la hauteur du challenge que propose le long-métrage: une véritable performance.

Surprise de ce début d’année, “One Night in Miami” est un film accessible et profond qui propose l’opportunité unique de plonger dans l’intimité des grands. Un véritable bijou d’intelligence.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Cet article a 2 commentaires

Laisser un commentaire