Les coulisses du pouvoir
Les coulisses du pouvoir affiche

(Power)

1986

Réalisé par: Sidney Lumet

Avec: Richard Gere, Denzel Washington, Gene Hackman

Film vu par nos propres moyens

Une carrière artistique débute souvent dans de curieuses circonstances, et pour le scénariste David Himmelstein, l’inspiration de son premier script est le pur fruit du hasard. Face à une rangée d’écrans de télévision, l’auteur est confronté à une multitude de spots de campagne politique. Bien que représentant des candidats de toutes provenances et de bords différents, les similarités entre ces messages télévisés lui sautent immédiatement aux yeux, au point qu’ils lui semblent presque identiques. Mais d’où viennent ces vidéos ? Qui les fabriquent ? Comment se monnayent- elles ? Autant de questions qui plongent David Himmelstein dans de profondes recherches dont il tire le scénario des Coulisses du pouvoir, une immersion dans le monde des communicants au service des puissants. Un thème fort qui résonne en Sidney Lumet: lui qui a par le passé dénoncé les dérives du système en place s’empare du travail de David Himmelstein et le porte à l’écran en 1986. Une opportunité idéale pour le réalisateur, qui prend malheureusement des airs d’acte manqué à plus d’un égard.

Pour s’immerger dans ce monde de l’ombre, dans l’envers du décors de ceux qui marketent les idées politiques, le cinéaste nous propose de suivre le parcours du conseiller en communication Peter St John (Richard Gere), véritable star de sa profession. À travers les différentes campagnes politiques dont il assure l’image publique se dessine une personnalité trouble, aux idéaux profondément enfouis sous une couche d’hypocrisie et d’impunité. Peu importe qui il met en place aux plus hautes instances de son pays ou même des pires dictatures sud-américaines, du moment qu’il est rémunéré. Tout est monnayable pour lui, y compris sa conscience. Ce caractère détestable se fissure cependant progressivement lorsque Peter accepte de s’occuper d’un candidat au sénat à la solde des lobbyistes de Washington et des puissances étrangères.

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Les coulisses du pouvoir brille essentiellement dans sa représentation d’un système délétère, un royaume de l’apparence. Les hommes qui font la vie politique des USA se voient privés de toute substance dans leur propos, on leur retire leurs idées pour s’attacher à des messages creux où seul compte l’impact sur le public, coupable dans une certaine mesure. Une phrase revient en boucle tout au long du film lorsque Peter décrit son métier à ses clients et synthétise parfaitement cette vision acerbe que nous offre Sidney Lumet: “Mon boulot est de vous faire élire, une fois en place vous pourrez faire ce que vous dicte votre conscience”. Peu importe les promesses de campagne qui ne seront pas respectées, uniquement compte la finalité de l’élection, quitte à montrer les hommes politiques comme des pantins. Le cynisme atteint son comble lorsque l’équipe du personnage principal débouche des bouteilles de champagne et se congratule pour un spot tout à fait ridicule et dépourvu de tout fond. Le pouvoir n’appartient pas à ceux qui ont leur nom sur les bulletins.

Dans ce monde illusoire, Sidney Lumet joue de la mise en scène pour appuyer son propos. Le décor de son film fait la part belle à de multiples surfaces réfléchissantes, fenêtres et autres miroirs, comme pour nous signifier que nous avons basculé dans l’envers du décors. Un sentiment conforté par la position de Peter, souvent montré derrière une caméra, intimant des ordres à ses clients, comme un véritable réalisateur qui dirige des figurants. Les coulisses du pouvoir montre que tout est exploitable, même les accidents, et que la télévision tronque la réalité, comme dans une scène clé du film où un candidat au sénat tombe de cheval pendant un tournage: Peter joue du montage pour transformer la chute en cascade héroïque.  À plus fortes raisons, les électeurs ne sont presque jamais représentés à l’écran, et réduits au simple rôles de chiffres dans des sondages, des numéros que s’échangent les communicants.

De manière presque précurseure, Les coulisses du pouvoir tente également de mettre en lumière l’ingérence des intérêts étrangers dans les affaires d’un pays. C’est d’abord Peter qui s’en rend coupable, dans l’entame du récit, alors qu’il s’occupe d’un candidat à l’élection présidentielle mexicaine. Sans considération pour l’humain, il filme son client tenant dans ses bras la victime d’un attentat, et l’invite à exhiber sa chemise ensanglantée pour récolter plus de voix, de façon putassière. Cependant, c’est lorsque le film évoque la réciproque sur le sol américain que la critique se fait la plus acide: le personnage de lobbyiste à la solde de pays du Moyen-Orient que campe Denzel Washington a tout du manipulateur en chef, l’agent perturbateur par excellence. Comme pour montrer la corruption qui est la sienne et qui s’immisce dans les arcanes du pouvoir, Sidney Lumet le représente ouvertement dans un bureau avec vue sur la Maison Blanche: le danger est là, déjà en place. Pourtant, celui que l’on pense être l’antagoniste du film pendant une grande majorité de l’œuvre finit par déclamer ouvertement une triste vérité à Peter: ils sont semblables en tout point.

De telles thématiques devraient être du pain béni pour Sidney Lumet, l’occasion d’offrir au réalisateur de Network une nouvelle offensive contre les ogres qui nous gouvernent. De façon tout à fait inattendue venant de la part d’un cinéaste qui en a fait sa force par le passé, c’est lorsque Les coulisses du pouvoir s’attache à l’humain qu’il trébuche. Tout d’abord à travers son héros, Peter. On voudrait nous faire assimiler une intelligence hors normes dans les premiers temps, avant de complètement virer de bord pour le rendre affreusement naïf. Lorsqu’en plus Richard Gere ne livre pas une performance satisfaisante, le spectateur sourcille. On retient tout au plus les scènes où il manipule des baguettes de batterie pour reprendre le rythme de la célèbre chanson “Sing, Sing, Sing”, tel le meneur du petit orchestre de l’Amérique, mais son revirement moral ne réussit pas à convaincre.

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Le problème s’éprouve de manière encore plus forte chez les personnages secondaires, hautement caricaturaux. La figure d’un mentor politique droit et juste, super héros de l’écologie, contraint de quitter sa carrière pour une affaire ridicule, ne prend pas. Elle semble bien trop simpliste alors qu’une grande partie de l’œuvre repose sur cet axe. Dans la même veine, Sidney Lumet semble croire que la solution aux maux de l’Amérique réside dans l’émergence des candidats indépendants, que synthétise un idéaliste aussi mièvre que possible. Si on souscrit au désespoir du réalisateur quant aux deux partis empiriques américains, la réalité semble prouver que les indépendants sont bien souvent des êtres farfelus aux USA, et la volonté de ne pas nuancer cette représentation est gênante.


Toutefois, cet élan du récit reste admissible, contrairement à deux personnages bien précis qui apparaissent particulièrement faibles dans leur écriture. D’un côté, Gene Hackman, peu convainquant devrait incarner un homologue de Peter, mais plus ancré dans l’arrière garde de sa profession, comme en témoignent ses costumes datés. Impossible de l’admettre tant le manichéisme dont fait preuve Sidney Lumet agace. Le réalisateur passe tout un film à construire l’idée que la profession de communicant est problématique, tout en avançant ce protagoniste qui le contredit totalement, au point de citer Monsieur Smith au sénat. D’un autre côté, la connivence entre ce métier de l’ombre et les médias devrait être retranscrite par l’ancienne femme de Peter, que joue Julie Christie. Même souci pour ce protagoniste: son jeu du chat et de la souris avec le héros est horripilant, ses dilemmes moraux d’une facilité déconcertante, et ses rapprochement avec Peter n’offrent pas le second niveau de lecture espéré.

Dans sa vision des maux politiques de son pays, Sidney Lumet voit juste, mais la personnification de ceux-ci à travers une galerie de personnages peu aboutis font des Coulisses du pouvoir une occasion manquée.

Nicolas Marquis

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