Le lendemain du crime
Le lendemain du crime affiche

(The Morning After)

1986

Réalisé par: Sidney Lumet

Avec: Jane Fonda, Jeff Bridges, Raúl Juliá

Film vu par nos propres moyens

Pour Sidney Lumet, tout commence par le scénario. Comme nous le voyons tout au long de notre rétrospective, le cinéaste a su s’entourer de talents immenses à l’écriture, tout au long des décennies qu’il a traversées, que ce soit des auteurs confirmés ou de jeunes débutants qui brilleront par la suite. En adaptant une nouvelle de David Rayfiel, le cinéaste ne plonge cette fois pas totalement dans l’inconnu. L’écrivain est déjà un nom connu dans le monde du cinéma, ayant à son actif de fructueuses collaborations avec Sydney Pollack, dont il restera proche, sur Les Trois jours du Condor, ou bien Bertrand Tavernier pour La Mort en direct. Le mariage entre les deux artistes semble donc idéal au moment d’aborder Le lendemain du crime et pourtant, le film face à nous aujourd’hui est probablement un de ceux pour lesquels le désintérêt de Sidney Lumet est le plus flagrant et son manque d’inspiration criant. On sait que l’inactivité angoissait profondément le réalisateur, au point d’accepter des projets qui ne lui correspondaient pas, et malgré son parterre de stars, Le lendemain du crime tombe dans cette catégorie.

Sous le maquillage du film policier, le long métrage nous propose de suivre le parcours chaotique d’Alex Sternbergen (Jane Fonda) une actrice ouvertement médiocre et alcoolique qui survit tant bien que mal à Los Angeles. Lorsque la comédienne se réveille un matin, suite à une nuit de beuverie, à côté d’un cadavre avec un couteau enfoncé dans la poitrine, l’effroi s’empare d’elle. S’est elle rendue coupable du meurtre ou est elle face à un coup monté ? Se lançant dans une fuite éperdue, Alex est rapidement rejointe par Turner (Jeff Bridges), un ancien policier qui lui offre son aide pour résoudre le mystère, de façon étrangement altruiste.

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D’habitude soucieux de faire la part belle à son casting, c’est ici davantage dans la représentation de Los Angeles que Sidney Lumet s’épanouit le plus. Avec l’aide de son fidèle directeur de la photographie Andrzej Bartkowiak, le metteur en scène offre à la cité des anges des teintes acides et des couleurs criardes pour souligner le monde des apparences qu’il entend dénoncer. Durant tout le long métrage, ce décor artificiel sera le petit théâtre de la déchéance des personnages, et marquera un véritable accompagnement visuel marqué comme scène du drame qui se joue, tout en portant également une forme de second degré, voire d’humour, propre au film. 

Pourtant, il n’y a bien que sur cet aspect que la caméra de Sidney Lumet réussit à communiquer la moindre émotion. Sa mise en scène est presque inexistante, se contentant du service minimum pour étaler une histoire rocambolesque. Alors que le long métrage expose des faits graves, et plusieurs retournements de situation, aucune scène marquante ne se détache visuellement, et le réalisateur n’impose pas sa patte sur son œuvre. Le lendemain du crime est le seul long métrage de Sidney Lumet tourné à Hollywood et les causes de son indigence se trouvent peut être dans cette exception de sa filmographie: le cinéaste à toujours clamé detester ouvertement cette ville, lui le gamin de New York, et il apparait clair que son tavail sur cette nouvelle proposition confine presque au film de commande desinteressé, dans une période creuse.

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Mais Sidney Lumet est-il le seul à blâmer ? Difficile de lui en vouloir de manquer d’inspiration tant la structure narrative proposée par David Rayfiel se veut ronflante, éculée et paresseuse. Pendant presque 2h, Le lendemain du crime tente de convoquer l’âme des Whodunnit sans jamais réussir à instaurer la moindre notion de suspense. Son intrigue cousue de fil blanc ne tiens jamais en haleine et la notion de danger inérante au style ne prend pas. À plus fortes raisons, on peut légitimement se demander si le mystère peut réellement être invité alors que le film ne comporte en réalité que trois personnages, dont un seul à un véritable mobile. Au moment de citer Nancy Drew, la saga de romans policiers pour enfants, on comprend que Le lendemain du crime confesse presque son échec et ne développe aucune complexité. Après Le crime de l’Orient Express  et Piège mortel, cette nouvelle incursion dans ce style cinématographique est décevante pour le cinéaste.

Dès lors, et malgré toutes ses errances, quels thèmes profonds distinguer dans Le lendemain du crime, puisque que c’est habituellement là le plus important pour Sidney Lumet ? Le meurtre au centre de l’histoire appuie le message de fond, une vision du passé dont on ne peut pas se défaire et qui nous poursuit inlassablement. Même si c’est justifié par le scénario, la résurgence du cadavre dans un lieu inattendu conforte le sentiment qu’Alex ne peut pas se séparer de ses démons, que son parcours personnel la hante et pèse sur son âme. Son alcoolisme abonde également dans ce sens, même si là dessus, le long métrage se fait parfois incroyablement léger, confinant parfois à l’humour déplacé pour évoquer le mal-être de son héroïne. Par extension, la quête d’une identité nouvelle, plus épanouissante, alimente la thèse du Le lendemain du crime. Alors qu’Alex a joué un rôle toute sa vie, comme en atteste le mariage qu’elle entretient depuis 10 ans alors que la séparation est actée, son périple la conduit à se retrouver, à entrer en paix avec soi-même, certes avec perte et fracas. Bien que cela soit très peu subtil, la volonté de retrouver sa couleur de cheveux naturelle témoigne de ce chemin qu’elle emprunte malgré elle.

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Son duo avec Turner devrait accentuer ce message, mais compliqué d’y adhérer. Bien sûr, il y a quelque chose de touchant dans l’union de ces deux parias que la vie a conduit dans des voies de garage, et rendus solitaires. Idéologiquement, on comprend ce qui les réunit, mais dans les faits, bien compliqué de saisir l’attachement de l’ancien agent de police pour l’actrice. Le sentiment amoureux ? Le lendemain du crime semble balayer cette idée. L’altruisme ? Ce serait alors présenté avec une incroyable facilité. Turner arrive comme un cheveux sur la soupe, s’insère dans le récit aux forceps, et sa bonté de cœur est parfois confondue avec une forme de légère obsession tant ses motivations sont absentes, essentiellement dans l’entame. Nul doute que l’envie initiale était d’en faire un suspect potentiel (et c’est d’ailleurs ce que souligne la phrase d’accroche du film), mais sa rapide adhésion à la quête d’Alex annihile cet aspect du récit.


La rencontre entre Turner et l’actrice aurait toutefois pu fonctionner dans une certaine mesure si Jane Fonda avait offert plus de place à son partenaire. Dans un surjeu constant qui ne sied pas au film, la comédienne multiplie les effets de manche pour exister. Hors de ton, parfois proche de la performance honteuse, la comédienne ne donne aucune substance à son rôle, quelle à d’ailleurs abordé d’une bien curieuse façon: de son propre aveu, elle était régulièrement ivre sur le plateau, et ça se voit ! Bien que son rôle soit celui d’une alcoolique, cette approche rend son personnage incohérent, on ne s’accroche pas à elle alors que tout le long métrage repose sur cette idée. Incroyable de l’avoir vue nommée aux Oscars pour Le lendemain du crime tant elle ne dégage qu’un sentiment de gêne profond.

Polar raté, mise en scène absente et personnage incohérent font du lendemain du crime un film qu’on aimerait oublier mais qui se révèle bien trop horripilant pour cela.

Nicolas Marquis

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