Le Groupe
Le groupe affiche

(The Group)

1966

Réalisé par: Sidney Lumet

Avec: Candice Bergen, Joan Hackett, Elizabeth Hartman

Film vu par nos propres moyens

Alors que ses films se sont souvent attardés sur des hommes, comme nous l’avions évoqué pour 12 hommes en colère ou Point Limite, Sidney Lumet fait évoluer son cinéma en 1966. Comme une réponse à La colline des hommes perdus, long métrage exclusivement composé de rôles masculins, le réalisateur s’attaque à peine quelques mois plus tard à l’adaptation du Best Seller de Mary McCarthy, Le Groupe, centré sur la gente féminine dans les années 30 et 40. Plutôt qu’un portrait intime d’une femme seule, c’est ici une vraie fresque que nous propose Sidney Lumet: son film ne comportera pas de premier rôle clair, mais s’acharnera à décrire la trajectoire de pas moins de 8 femmes, differentes mais unies profondement. Si Sophia Loren et Anna Magnani avaient déjà brillé sous la caméra de l’artiste, Le Groupe marque une étape supplémentaire dans cette ouverture.

C’est fraîchement sorties de l’université, où elles ont toutes suivi un cursus différent, que nous découvrons ces 8 héroïnes, amies et complices en toutes circonstances. S’il semble au premier abord qu’une vie pleine d’opportunités s’ouvre à elles, les embûches sont nombreuses: vie affective ou professionnelle compliquée, tumultes de l’Histoire et Guerre Mondiale qui se rapproche… Quels sont les 8 chemins différents mais tout aussi tortueux qu’emprunte cette bande attachante ?

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L’union initiale que nous propose Sidney Lumet aurait même tendance à faire de ses héroïnes une véritable famille plutôt que de simples amies. Comme un symbole, alors que l’une des toutes premières scènes étale le mariage d’une des membres du groupe, seules ses camarades, ou presque, sont présentes à l’église. La famille de sang semble friable dans Le Groupe tandis que celle qui s’est forgée à l’université est immuable. Bien sûr, tout n’est pas parfait: on échange des ragots, on jalouse, on s’énerve, mais au bout du compte on peut s’appuyer sur ces véritables sœurs.

Il apparaît toutefois clair que l’ambition de Sidney Lumet, comme cela était le cas de Mary McCarthy, soit bien plus complexe. Le Groupe offre une véritable photographie d’une génération de femmes, parfois proche de l’étude sociologique. Toutes les thématiques sont traitées: la politique, l’amour, l’économie, la médecine… C’est parfois facile ou contestable, mais Le Groupe se veut exhaustif. Un parallèle intéressant se dresse d’ailleurs entre les années 30, époque où se déroule l’intrigue, et les années 60, moment où sort le livre et le film. Plusieurs décennies séparent les deux périodes, et pourtant, il semble qu’à ces deux instants de l’Histoire, les femmes sont sur le point de s’émanciper. Le discours de remise des diplômes qui ouvre le film tend vers cette soif de futur. 

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La bande veut contribuer au progrès mondial, et représente une opportunité pour l’avenir, mais nous savons bien sûr que cette chance n’a pas été saisie, et Sidney Lumet n’est pas dupe. Le carcan patriarcal oppressant de l’époque; celle de l’intrigue comme celle des années 60, est dénoncé  en permanence, et fait office de véritable moteur du film. Que ce soit les maris, les amants, où même les pères des filles de la bande, l’oppression est intense, parfois montrée avec une véritable violence qui force l’effroi. Le Groupe n’est cependant pas manichéen, et sait proposer des rôles masculins positifs et cohérents: l’un d’eux, le sympathique vieillard Mr Schneider est même interprété par Baruch Lumet, le père de Sidney, déjà présent dans Le Prêteur sur gages, pour lequel le cinéaste vouait une véritable admiration.

Si Sidney Lumet ne manque pas de tact pour esquisser le destin des femmes fortes qu’il expose, son approche visuelle se fait discrète, voire absente. Outre des décors de studios relativement peu inspirés, et qui ne permettent pas de situer clairement l’époque du film, la photo du cinéaste n’est jamais flamboyante. Le maître, de son propre aveu dans son livre Faire un film, n’aime pas ses premiers longs métrages en couleurs, et Le Groupe est le deuxième après Les Feux du Théâtre. Sidney Lumet n’est pas subtil, comme à son habitude, il est ici presque absent. Tout au plus retiendra-t-on certains mouvements circulaires de caméra pour naviguer entre ces demoiselles.

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On met toutefois ici le doigt sur le défaut majeur de l’œuvre, celui qui la condamne à être anecdotique dans la filmographie de Sidney Lumet: Le Groupe est effroyablement brouillon. À l’instar de ces plans, le réalisateur voudrait nous faire sauter de destin en destin, sur un rythme soutenu, mais oublie en chemin la clarté. Huit vies différentes, si complexes, c’est peut être un peu trop pour un seul film, mais c’est surtout le montage qui impose ce sentiment de confusion. Sidney Lumet est parfois si vif à changer de protagoniste qu’on se surprend à ne même plus reconnaître les noms de certains.


On se raccroche donc à ce que l’on peut et on surfe la vague tant bien que mal. Heureusement, le scénario de Sidney Buchman, à qui on doit aussi le script de Mr Smith au sénat, offre une montée en régime dans la gravité des situations qui se révèle salvatrice pour capter l’attention. La fin de sa proposition, permettant au film de répondre dans sa dernière portion aux interrogations de l’introduction, est également relativement habile. C’est d’ailleurs ce scénario qui a encouragé Sidney Lumet à s’atteler au projet. Non seulement le metteur en scène le jugeait excellent, mais il affirmait même qu’il était supérieur au livre de Mary McCarthy, et n’y a apporté presque aucun changement. Mais soyons honnête, même au cœur de notre mois spécial Sidney Lumet: Le Groupe est mieux écrit qu’il n’est réalisé.

Si l’ambition de montrer des destins de femmes, et de dénoncer ce qui les oppresse est louable, l’exécution de Sidney Lumet est loin de ses standards habituels.

Le Groupe est édité par Blaq Out avec en bonus un entretien avec Nicolas Schaller, journaliste cinéma.

Nicolas Marquis

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