Good Bye Lenin!
Good Bye Lenin affiche

2003

Réalisé par: Wolfgang Becker

Avec: Daniel Brühl, Katrin Sass, Chulpan Khamatova

Film vu par nos propres moyens

Le 9 novembre 1989, sous l’impulsion d’une foule éprise de liberté, le mur de Berlin cède enfin et chute. Durant plus de 28 ans, le sinistre édifice qui dépasse allègrement les limites de la ville allemande sépare tout un pays en deux, comme une balafre grise dans l’Histoire du XXème siècle. Construit dans l’optique d’endiguer la fuite de citoyens de la RDA, inféodée à l’URSS, vers la RFA, indubitablement plus libre, la barrière de béton brise des familles entières, et marque une séparation visible entre le totalitarisme est-allemand et l’autonomie de l’ouest. Pour les ressortissants de la RDA, le “mur de la honte” est aussi la matérialisation concrète du cloisonnement dans lequel le pouvoir en place pousse la population. L’information est contrôlée, manipulée, déformée, et les chiens de garde de la Stasi, la police politique, oppriment le peuple de leur joug tyrannique. Las des vexations et des drames humains, un peuple se soulève cette nuit de novembre, et les deux Allemagne ne font plus qu’une. Même si la réunification ne sera officielle qu’en 1990, ceux qui n’auraient jamais dû être séparés s’enlacent à nouveau, suscitant l’émotion mondiale, même si des voix discordantes se font discrètement entendre. Car à l’évidence, pour l’ancienne génération est-allemande, la chute du mur est une perte totale des repères. Après des décennies d’endoctrinement violent, la découverte d’une nouvelle société est une plongée dans l’inconnu qui invite à une crainte légitime. Avec tendresse, Wolfgang Becker revient sur cette période charnière de l’Histoire, en 2003, dans le malicieux Good Bye Lenin!, une œuvre iconique souvent montrée dans les salles de classes, et porte-étendard d’un cinéma allemand désormais uni.

Pour disserter sur les blessures profondes de l’Histoire, et témoigner d’une époque mouvementée, Good Bye Lenin! se distingue par sa singularité, alors que son style doux, mélancolique et accessible confine souvent à la comédie. Son scénario astucieux, voire espiègle, propulse l’humain au centre des événements du XXème siècle pour en offrir une vision intime. Daniel Brühl incarne Alex, un jeune adulte est-allemand menant une existence sans réelle perspective d’avenir, à la fin des années 1980. Son amour profond pour sa mère esseulée, Christiane (Katrin Sass), fervente partisante communiste, est le socle de sa construction personnelle, et l’unique constante de sa vie. Lorsque celle-ci se retrouve plongée dans le coma à la suite d’un infarctus, le désarroi s’empare d’Alex. Autour de lui, l’Histoire est en marche et la RDA vit ses derniers jours: alors que le mur de Berlin chute, la population en liesse savoure une liberté retrouvée. Mais quelques jours plus tard, Christiane se réveille, fortement diminuée. Impossible pour son fils de la confronter à l’effondrement de la RDA, de crainte de voir sa santé à nouveau décliner. Le jeune homme entreprend dès lors une vaste opération de trucage de la réalité, pour entretenir l’illusion d’un pays toujours divisé: faux journaux télévisés, récupération d’anciennes denrées alimentaires, accoutrements austères typiques de l’époque soviétique… Alex redouble d’ingéniosité.

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Pour inscrire la grande Histoire au cœur de Good Bye Lenin!, Wolfgang Becker joue perpétuellement sur deux échelles, l’une aux enjeux loin du quotidien de la population, l’autre très personnelle. Pour étaler les bouleversements du XXème siècle, le cinéaste effectue un retour régulier vers des images d’archives télévisées, bien connues de la population allemande. Toutefois, en cassant l’approche graphique de son film avec cet artifice, le metteur en scène souligne implicitement une distance palpable entre les événements historiques et les tourments de la population. L’oeuvre invite même à prendre un recul certain sur l’acceptation des reportages télévisés: tous les personnages semblent prêts à admettre la réalité, sans réel esprit critique, du moment qu’elle s’étale dans un bulletin d’information, et lorsqu’Alex truque la parole des médias pour entretenir la duperie d’une RDA encore debout, l’illusion questionne le public sur son propre rapport à l’image. L’Histoire peut être déformée par la simple manipulation d’une caméra.

Cet axe du récit reste toutefois restreint, et Good Bye Lenin! place sa vérité à l’échelle humaine, au plus proche des quidams pris dans les tourments de l’époque. La réunification de tout un peuple n’est jamais aussi vive que dans les bouleversements d’un quotidien à jamais modifié. L’incursion d’une société de consommation débridée après des années de privation, chamboule à jamais l’existence des allemands, et le renoncement de la soeur d’Alex à des études universitaires, pour accepter un simple job de serveuse dans un Burger King témoigne d’une inversion des valeurs. Par la mise en scène, Wolfgang Becker accentue cette idée: Alex a beau entreprendre l’impossible avec un certain panache, les affiches Coca-Cola qui émaillent désormais Berlin s’invitent dans le champ de vision pourtant restreint de Christiane, comme une fatalité. À plus fortes raisons, la réunification du peuple allemand n’est pas réellement confirmée par des accords politiques, mais davantage par la coupe du monde de football que remporte le pays en 1990, invitant Berlin à s’embraser sous les feux de joie. Pour Good Bye Lenin!, l’épanouissement artistique apparaît également au centre de cette époque charnière. Au terme de décennies de censure, l’Allemagne de l’Est goûte enfin à la liberté culturelle, dans des excès décomplexés qui connaissent leur apogée dans une scène de concert rock. Le cinéma n’est lui pas explicitement montré, mais à travers un jeu de références plus ou moins tacites, Wolfgang Becker l’expose. Un collègue d’Alex, celui-là même qui l’aide à élaborer de faux journaux télévisés, est un réalisateur aspirant, mentionnant allègrement Stanley Kubrick. Good Bye Lenin! revient sur cette citation un peu plus tard, alors que Wolfgang Becker propose une séquence en accéléré, sur fond de Beethoven, qui rappelle fatalement Orange Mécanique dans son approche visuelle. Le cinéma de Fellini s’invite également lorsqu’une statue gigantesque de Lénine est transportée hors de la ville en hélicoptère, rappelant celle du Christ survolant Rome dans La Dolce Vita. Les icônes planent et les hommes vivent sous leurs regards.

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Pourtant, Good Bye Lenin! n’a assurément rien d’un récit biaisé. Bien que la réunification soit constamment montrée comme un idéal qu’il convient d’atteindre, à juste titre, son accomplissement ne se fait pas sans heurt. A l’évidence, pour une population conditionnée par le pouvoir, le communisme a été un temps un idéal. La présence de plusieurs personnages âgés, qui se désolent de l’état dans lequel tombe le pays, est un témoignage de certains laissés pour compte du progrès. Plus rapidement, Wolfgang Becker souligne la détresse économique qui frappe les est-allemands. Le monde occidental qui s’invite désormais sur ce nouveau territoire joue même de l’image de façade pour entretenir un temps les illusions: dans un geste cynique, Good Bye Lenin! assimile le logo de l’entreprise de l’ouest où travaille Alex à la faucille et au marteau soviétique, pour vendre des paraboles à une nouvelle clientèle.

Si le communisme a un temps été vécu comme un rêve, Wolfgang Becker ne manque toutefois assurément pas de dénoncer la fausseté et le vice qui l’ont accompagné. L’ombre de la Stasi s’immisce dès les toutes premières secondes du film, posant le totalitarisme comme base du régime. La présence dans le récit de Sigmund Jähn, premier homme allemand dans l’espace, désormais devenu un pauvre chauffeur de taxi, démontre que la splendeur soviétique et l’épanouissement personnel ne sont qu’illusions. Mais c’est à l’évidence Christiane elle-même qui est le vecteur premier de la charge contre la RDA. En la condamnant un temps à l’exiguïté de sa chambre, qui ne lui permet d’entrevoir le monde qu’à travers un minuscule espace de sa fenêtre, Good Bye Lenin! impose la fervente partisane comme un personnage à la vision étriquée, qui n’aperçoit que ce qu’on souhaite lui montrer, soumise au diktat du fascime. En la clouant dans son lit, le long métrage dénonce également l’immobilisme dans lequel le régime la condamne. Les adeptes de la doctrine soviétique sont infirmes, physiquement et moralement. Avec une telle installation, Good Bye Lenin! fait également un clin d’oeil à l’Histoire, et aux ultimes jours de Lénine lui même: durant les deux dernières années de sa vie, le personnage politique russe a vécu coupé du monde, dans un environnement contrôlé, sous la justification qu’une surexcitation pouvait lui occasionner des soucis de santé. Durant toute cette période, Staline fait imprimer de faux journaux pour manipuler Lénine, un artifice que Wolfgang Becker reprend dans le long métrage.

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Cependant, au cœur du film, il trône une autre idée capitale, qui s’écarte de la société allemande. Good Bye Lenin! n’est pas qu’un témoin d’une époque, il est surtout une grande histoire d’amour entre un fils et sa mère, dont les liens sont indéfectibles. L’union absolue qui unit les deux personnages les place sur un niveau de complicité qui transcende les évènements les plus importants, propulsant l’affection au-delà de toutes barrières. En tronquant la réalité, Alex accomplit l’impossible non pas par intérêt personnel, mais dans un pur élan d’altruisme, mettant en péril son propre équilibre. Sa relation avec Christiane semble parfois dangereuse, toxique pour le jeune homme, et pourtant jamais le long métrage ne condamne les élans du cœur. Wolfgang Becker installe cette idée en oscillant entre le rire issu de situations saugrenues, comme lorsque le fils transvase des denrées alimentaires dans d’anciens emballages, et les larmes d’instants plus fusionnels, au bout des sentiments. La caméra du cinéaste caresse le visage de la mère, et lui oppose le regard enfantin d’un Alex dans une perpétuelle quête de reconnaissance.

L’amour n’est pas que filial, il est aussi charnel dans Good Bye Lenin!, et à plus d’un titre, Lara, la petite amie d’Alex que joue Chulpan Khamatova, semble être la clé de la résolution de l’intrigue. Alors que la sœur du protagoniste est trop impliquée pour parfaitement donner du recul sur le mensonge qui s’installe, cette intervenante extérieure apporte elle la dose de critique nécessaire. D’autant plus qu’en faisant d’elle une infirmière, Wolfgang Becker lui adjoint implicitement des qualités de cœur propres à son métier. Pourtant, c’est Lara qui impose la prise de conscience nécessaire, c’est elle qui invite à briser le cercle vicieux de la duperie, c’est également elle qui offre une perspective d’avenir à Alex. Si elle se rend complice un temps de la supercherie instaurée, sa droiture morale la force à se détacher de sa moitié: ainsi, régulièrement étouffée par le mensonge, elle quitte visuellement les scènes dans lesquelles l’invite le cinéaste. Pourtant, une spécificité du scénario ne saurait être anodine: Lara n’est pas allemande, elle est soviétique, et Wolfgang Becker emploie d’ailleurs une comédienne russe. Quand dans les ultimes secondes du film, elle avoue le mensonge à Christiane, c’est l’incarnation de l’idéal de la mère qui se détache d’elle, en accord avec la marche de l’Histoire dont est témoin le film.

En mariant petite et grande histoire, Good Bye Lenin! impose une douce comédie où la sincérité des sentiments accompagne chaque rire. Dans une fresque envolée, Wolfgang Becker témoigne d’une époque clé, à échelle humaine.

Good Bye Lenin! est disponible en DVD, chez TF1 Vidéos, avec en bonus:
– Le film annonce
– Les 20 films annonces du Catalogue Océan
– Les bio-filmographies du Réalisateur et des Acteurs
– L’historique de la chute du Mur de Berlin
– L’interview du Réalisateur et les images du tournage
– La featurette sur l’enregistrement de la musique de Yann Tiersen

Nicolas Marquis

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