(The United States vs. Billie Holiday)
2021
Réalisé par: Lee Daniels
Avec: Andra Day, Trevante Rhodes, Garrett Hedlund
Si 2020 restera à jamais la triste année du covid, les États-Unis ont également dû faire face à leurs vieux démons et la lutte pour l’égalité entre les êtres, peu importe leur couleur de peau, est revenue sur le devant de la scène. Derrière de tristes faits divers qui ont endeuillé la population noire des USA et qui nous rappelle que le combat continue plus que jamais, une flopée de films se font l’écho de ce problème de société appelant des réponses urgentes. Les Oscars 2021 se posaient en témoin privilégié de ce courant artistique en proposant dans sa sélection annuelle des œuvres telles “One Night in Miami”, “Le blues de Ma Rainey” ou encore “Judas and the Black Messiah”. Uniquement représenté dans la catégorie meilleure actrice pour la performance d’Andra Day, “Billie Holiday, une affaire d’état” n’en reste pas moins de cette lignée de films qui revisite l’Histoire pour poser un diagnostic sur les maux de notre époque.
Dans ce biopic, on peut suivre le parcours de la chanteuse mythique Billie Holiday (Andra Day donc), et plus précisément de sa lutte pour pouvoir interpréter sa chanson “Strange Fruit”, dénonciation des lynchages dont étaient victimes les noirs. Persécutée par le gouvernement de peur qu’elle ne devienne un symbole, Billie va devoir composer avec sa face sombre que l’État voudrait instrumentaliser, notamment son addiction à la drogue et son rapport complexe aux hommes qui partagent sa vie.
Malgré les années qui passent, le funeste destin de Billie Holiday reste donc une histoire terriblement d’actualité. L’obstination des pouvoirs publics à vouloir museler la chanteuse quoi qu’il arrive résonne encore à notre époque. Les censeurs se sont faits plus discrets, déguisés, mais ils sont toujours parmi nous. C’est une véritable réflexion autour du succès pour une personne issue d’une minorité qu’engage “Billie Holiday, une affaire d’état”, une démonstration de la réponse politique que cela implique mais aussi de la culpabilité de celle qui a réussi et qui craint de perdre pied avec la réalité.
Pour garder le récit ancré dans le concret, mais aussi pour offrir une vision plus moderne de cette période, c’est avant tout le combat d’une femme qui s’affiche à l’écran. Un figure forte qui ne se laisse pas définir par les hommes qui croise sa route, une personnalité entière qui refuse de se taire et qui souhaite faire évoluer les mœurs pour vivre pleinement son existence. Un combat transcendé par le besoin de s’exprimer artistiquement, d’utiliser sa voix divine pour apostropher ses contemporains et mettre en avant les travers d’un monde cruel.
« Les sirènes du phareeeeeeee… »
Aussi représentative de son époque soit Billie Holiday, son rôle de porte-drapeau de sa communauté va être intelligemment contesté par le cinéaste Lee Daniels. Il n’y a pas une seule identité noire dans le long métrage, mais plutôt un horrible dilemme commun à ceux dont la peau est plus foncée, et une multitude de réponses possibles. C’est parce que le réalisateur est sans concession avec les violences faites aux noirs qu’on assimile mieux certains personnages qui auraient pu sembler plus lâches, on leur pardonne leur peur du monde.
Le principal souci de “Billie Holiday, une affaire d’état” reste malheureusement la grammaire cinématographique que va emprunter Lee Daniels pour délivrer son noble message. Son œuvre a tout du biopic musical habituel jusqu’à tutoyer les clichés. Évidemment, le réalisateur se base sur des éléments vérifiés historiquement pour construire son film mais il n’en reste pas moins que l’artiste pris au piège de l’addiction est un chemin trop souvent parcouru. La drogue et la prison sont deux axes pertinents qui ouvrent la réflexion mais on a l’impression tenace d’avoir déjà éprouvé ce que Lee Daniels propose.
Un sentiment pénalisant que quelques choix de réalisation malheureux vont venir conforter. On prendra en premier exemple le montage de la pellicule qui, lorsqu’il ne s’enferme pas dans un classicisme soporifique, sombre dans des artifices un peu niais. Lee Daniels inflige des gimmicks malvenus, comme la surabondance de fondus pour unir les scènes lorsque son fil narratif n’est pas limpide.
On reste également sur notre faim du côté des comédiens. Andra Day était présente aux Oscars et pourtant, sa prestation semble parfois inégale. On ne s’étonne pas de voir l’académie nommer l’actrice principale d’un biopic, et à dire vrai, on a été initialement séduit par la jeune femme et notamment son travail sur le timbre de sa voix. Pourtant, passé un certain cap, la comédienne semble franchir la limite entre interprétation et imitation, on se lasse de ses frasques et on se détache trop facilement de son personnage.
Reste tout de même en tête les moments musicaux, ceux où la frêle silhouette de Andra Day est seule en scène face à son public. Des instants suspendus qui font mouche: en plus de savourer la présence de la comédienne qui ici est irréprochable, c’est un fil conducteur émotionnel qui se tisse à travers la discographie de Billie Holiday et quelques jolies propositions visuelles égayent le tableau. Des idées de réalisation attirantes qui vont de paire avec des fulgurances de génie dans certaines séquences, bien trop peu nombreuses, comme lorsque Billie se retrouve confrontée aux horreurs du KKK.
La vie de Billie Holiday est fascinante et sa trajectoire suffit à faire du film un moment intéressant. On regrettera le manque d’inspiration ponctuel de Lee Daniels qui ne réussit pas à faire de son long métrage une œuvre majeure.