La barbe à papa

(Paper Moon)

1973

réalisé par: Peter Bogdanovich

avec: Ryan O’NealTatum O’NealMadeline Kahn

On a pas tous eu la chance de naître dans des milieux modèles et aisés: pour beaucoup d’entre nous, notre chemin de vie se débute seul. Dans ce contexte, la famille qu’on se fabrique est plus importante que celle qu’on hérite. Que ce soit grâce à des amis, ou grâce à des adultes qui tentent de s’intéresser à nous, on finit par chérir cette lignée de substitution car on y a mis des efforts surhumains pour la faire naître. Cet état de fait va être au centre de “La barbe à Papa” de Peter Bogdanovich.

Une histoire simple: celle d’Addie (Tatum O’Neal), une petite fille qui subit le décès de sa mère qui l’élevait seule. À la suite de l’enterrement, elle va se lier avec Moses (Ryan O’Neal, son père dans la réalité), un ancien ami de sa mère (voire plus). Ils vont prendre la route ensemble, d’abord à contre-coeur, et vivre des minables arnaques que Moses met sur pieds pour survivre. Ensemble, il vont créer un lien fort de complicité.

À l’instar de “La dernière séance”, Peter Bogdanovich, un ancien disciple d’Orson Welles, va utiliser sa science du noir et blanc et du découpage pour délivrer une pellicule élégante. Les ombres et lumières sont magnifiées, les scènes s’enchaînent à très bon rythme entre légèreté et profondeur: Peter Bogdanovich est un excellent raconteur et il le prouve une fois encore.

Il va cette fois adopter une autre structure narrative, celle du road-movie. Lancé sur les routes, notre terrible duo va parcourir une Amérique fidèle à la représentation collective qu’on s’en fait. Addie et Moses passent par des motels, des diners, des commissariats… Autant de lieux qui existent dans le coeur des cinéphiles. En s’appuyant sur eux, le long-métrage va pouvoir dérouler une histoire réfléchie à un rythme maîtrisé.

« On the Road again »

Gravé en mémoire subsiste également le faciès d’Addie. La jeune comédienne apparaît comme une véritable muse pour Bogdanovich qui s’amuse à filmer une palette d’expression impressionnante. On a plutôt tendance à lever les yeux au ciel chez les Réfracteurs quand on voit un gamin s’essayer à la comédie. Ici, c’est pourtant réussi et Tatum O’Neal impressionne autant que son père cabotine (à bon escient).

C’est peut-être grâce à cette relation filiale hors de l’écran que leur duo fonctionne aussi bien. Pourtant, le tandem “enfant adulte” et “adulte irresponsable” pourrait sembler éculé au cinéma, mais la complicité des deux acteurs donne vie à cet équipage rabiboché. Le scénario les réunit mais leur chemin est naturel.

En unité de mesure de leur relation, Bogdanovich semble vouloir imposer le dollar. D’une manière subtile et fatalement en fil rouge, il affirme ainsi une forme de déviance dans les rapports humains. Personne n’a appris à ces deux êtres comment aimer et ils cherchent autour d’eux comment le quantifier. L’utilisation de la monnaie montre qu’on ne s’en sort pas seul moralement aux USA mais au contraire, qu’on a vite fait de céder à l’appât du gain sans véritables repères.

Plein de malice, “La barbe à papa” va venir également chatouiller les soucis de l’Amérique. On pense tout spécialement au problème de la ségrégation. En imposant le personnage d’une petite fille noire qui croise la route de notre duo, et qui est prisonnière des bons vouloirs de sa “maîtresse” blanche, l’œuvre n’est pas que plaisante, elle est aussi pleine d’idées plus profondes.

La barbe à papa” serait presque un Feel Good Movie si certains de ses thèmes n’étaient pas aussi lourds. Ce frêle équipage lancé sur les routes marque les esprits et les cœurs.

Nicolas Marquis

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