La fille au bracelet

2019

de: Stéphane Demoustier

avec: Roschdy ZemChiara MastroianniMelissa Guers

Le film-procès est un genre à part, qui possède ses propres codes. Nous avons d’ailleurs eu le loisir de l’aborder régulièrement sur le site. Mais des règles bien définies ne sont pas forcément synonyme de redondance, et ce style laisse aussi place à la libre expression du cinéaste. Nouvel exemple aujourd’hui avec “La fille au bracelet” de Stéphane Demoustier, l’un de ces films qui a vu son exploitation en salle contrariée par l’épidémie de Covid-19 et qui débarque désormais en VOD. Un long-métrage fait de véritables démarches fortes de la part du réalisateur qui affirme un positionnement différent par rapport aux classiques du genre, tout en s’inscrivant dans leur continuité.

Et avant d’aller plus loin, on vous encourage si le film vous intéresse à vous en tenir aux écrits (les nôtres ou ceux des autres blogs cinéma sympathiques qui peuplent la toile) pour une raison assez concrète: on s’est senti un peu spoilé par l’une des affiches du film. En un terme simple, elle trahit l’un des rebondissements du film, qui n’intervient qu’à la moitié de la pellicule. Anecdotique, mais tout de même agaçant.

Mais revenons enfin sur le scénario: accusée du meurtre sanglant de sa meilleure amie, Lise (Melissa Guers) est rapidement emmenée par la police sous l’oeil de ses parents. Après une ellipse de deux ans, durant laquelle on comprend rapidement que Lise a été assignée à résidence, un bracelet électronique au pied, le procès s’ouvre enfin et certaines vérités vont être mises à nu alors que d’autres mystères s’épaississent.

Car il faut bien comprendre d’emblée le choix du réalisateur: vous mettre dans la place d’un juré, et presque uniquement dans celle-ci. Constatons déjà la scène d’introduction, celle de l’arrestation de Lise devant le regard médusé de ses parents (Roschdy Zem et Chiara Mastroianni). Filmés à distance, les dialogues sont inaudibles et c’est déjà là un parti pris intéressant: “La fille au bracelet” ne va pas vous donner les clés mais vous plonger dans un procès, tel que vous pourriez le vivre dans la réalité.

« Ça va loin ces histoires d’attestations »

Par ailleurs, et bien que nous ayons vu très régulièrement que c’était une structure très utilisée en cinéma, aucun recours à des flashbacks pompeux. Ce que l’on découvre du passé ou ce que l’on essaye de nous imposer se fait presque uniquement lors des débats enflammés qui ont lieu au tribunal.

Une seule exception à cette règle, les moments d’intimité au sein de cette famille morcelée par les événements. Servant essentiellement de liant ou de catalyseur d’émotion pour forger son opinion, ils sont bien utilisés mais pas forcément avec autant de brio que le procès. Signes de passages légèrement moins aboutis que ceux du tribunal: plusieurs faux raccords et autres concessions pour faciliter la réalisation (les appuie-tête de la voiture de Roschdy Zem nous ont sauté aux yeux, mais on est retors).

Ce sont d’ailleurs lors de ces moments plus intimes que le film avance un thème musical: le reste du temps, au cours des interrogatoires, le film est presque privé de toute musique, ce qui offre une résonance toute particulière à chaque propos et aux timbres des voix. De la même façon, la caméra du cinéaste impose un rythme très allongé et n’hésite pas à s’attarder sur des visages pour en retranscrire l’émotion, même lorsque le dialogue est hors-champ.

Stéphane Demoustier dirige d’ailleurs admirablement ses acteurs, adultes mais aussi enfants. Si le talent des protagonistes plus âgés n’est plus à prouver et qu’ils sont clairement parmi ce qui se fait de mieux en France, l’émotion qu’expose Melissa Guers est bluffante et c’est à coup sûr un talent naissant qu’on surveillera les prochaines années.

Ces performances de l’ensemble du casting sont mises en valeur par des dialogues très travaillés mais pourtant très naturels: l’équilibre est juste et la cruauté verbale d’un procès parfaitement rendue. De quoi admettre encore plus la proposition du réalisateur: celle de ne pas affirmer mais simplement de plonger le spectateur dans une situation qu’il pourrait vivre s’il était dans l’audience. Sentiment renforcé par la facilité d’identification aux protagonistes: à la fois ce père très pragmatique, prêt à tout pour sauver sa fille, et cette mère beaucoup plus débordée par les événements.

Il faut admettre avant même le visionnage que le film possède un caractère très ouvert et qu’il ne délivre pas toutes les clés d’emblée. Le long-métrage préfère au contraire exposer de manière très stricte les échanges d’un procès. On peut ainsi profiter d’un sens de l’esthétisme prononcé mais également des performances excellentes de l’ensemble du casting.

Nicolas Marquis

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