Les révoltés de l’ile du diable

(Kongen av Bastoy)

2010

de: Marius Holst

avec: Benjamin HelstadTrond NilssenStellan Skarsgård

Les visages sont blêmes, presque livides: le froid marque le faciès de ces enfants condamnés. Dehors, la neige, toujours plus de neige, qui rend le travail difficile. Leur dur labeur est quotidien: un travail dur, de forçat, de véritable bagnard. Les raisons de leur punition? Le film ne les expose pas, et peu importe: qu’ils aient volé ou violenté, rien ne justifie l’abominable peine qu’ils purgent. À l’opposé de leur baraquement de bois bien maigrelet, une demeure de brique où vivent les adultes chargés de les surveiller mais qui préfèrent jouir de leur petit pouvoir pour les tenir en laisse. Directeurs ou surveillants, ils méprisent ces enfants et jouent avec leur destin. Dans ce contexte intervient l’étincelle de la révolte qui va embraser ce bagne.

En plein coeur de la Norvège se dresse donc une institution ayant pour but de rééduquer les enfants qui ont fauté ou qui ont simplement eu le tort d’exister. De tout âge, ils sont réunis au milieu de cette nature blanche et froide, pour accomplir un dur labeur. Mais le forçat “C-19” (un matricule, histoire de lui ôter toute humanité) ne l’entend pas ainsi et ce jeune garçon va tout faire pour s’évader de l’île du diable, mais également rétablir un peu de justice.

« Les révoltés de l’île du diable” flatte notre cinéphilie: “La grande évasion”, “Vol au dessus d’un nid de coucou”, “Les 400 coups”, “Le ruban blanc” et tant d’autres. Le film de Marius Holst est conscient de son héritage et le brandit haut et fort. Mais ça ne l’empêche pas de trouver une certaine originalité, dans son cadre mais aussi dans son fond.

Une réal propre, un peu académique mais maîtrisée, à la photo bien pensée, c’est déjà le signe d’un talent de réalisateur. Une belle gestion du rythme et des montagnes russes émotionnelles, c’est la confirmation que Marius Holst met sa vie dans son film, et l’honnêteté artistique se respecte.

Mais c’est dans le pertinent contenu que le cinéaste impressionne le plus. Au plus évident, mentionnons ces protagonistes, adultes ou enfants, tous dans une belle performance de jeu d’acteur collective. On pense immédiatement au duo que forme “C-19” avec “C-1”, un bagnard plus soumis: ils se renvoient continuellement la balle avec beaucoup d’à-propos. Un constat qu’on étend volontiers au reste du casting des enfants. Instaurer la pitié avec des enfants, cela peut sembler facile mais ça n’enlève rien à leur talent.

« Allez les bleus! »

Mais les adultes vampirisent aussi cette pellicule: le terrible surveillant Brathen mais surtout le directeur Hakon qu’incarne Stellan Skarsgård. Toujours dans le faux semblant et la manipulation, c’est lui le marionnettiste infernal, lui le premier coupable de l’inhumanité qui règne dans son établissement, lui qui doit rendre des comptes.

Son organisation est terrifiante de vice: pour chaque section, un enfant chargé de surveiller les autres. Une même logique que celle qui régnait dans les camps de concentration: impliquer les prisonniers dans le processus de surveillance pour les inciter à dénoncer les leurs. Le maton vicieux Brathen renvoie lui aux heures sombres de l’esclavage et ses coups de fouet arbitraires, sans but.

Mais le terrifiant directeur n’instaure pas qu’un organigramme infernal, il punit également sans aucune once de compassion. La privation, les coups de bâton ne sont qu’une partie visible d’un iceberg monumental.

Car en plus, “Les révoltés de l’île du diable” invite à réfléchir, et à transposer à notre époque une notion de pénibilité du travail. Dans nos prisons, à l’heure où l’on parle, le travail forcé (ou fortement incité) existe toujours. Des heures de boulot pour une bouchée de pain. En allant puiser dans la triste histoire de la Norvège et en impliquant des enfants, le réalisateur convoque la pitié. Mais si nos jeunes sont mieux protégés aujourd’hui, a-t-on vraiment changé de dogme? Rien n’est moins sûr, les taulards sont encore aujourd’hui une main d’œuvre que l’on peut exploiter à loisir et dont tout le monde se fiche. Qu’est-ce qui pourra casser ce cercle vicieux et en finir avec le bagne?

Attachant, “Les révoltés de l’île du diable” l’est fatalement. Mais dans le même temps qu’il nous invite à l’affection, il s’impose non pas comme une simple chronique historique mais plutôt comme une étape nécessaire vers des réflexions plus grandes.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire