(Gett)
2014
de: Ronit Elkabetz, Shlomi Elkabetz
avec: Ronit Elkabetz, Simon Abkarian, Gabi Amrani
C’est suffisamment rare pour être souligné: revêtir la triple casquette réalisation-scénario-rôle principal. Mais ce qui est encore plus rare, c’est quand c’est pour en faire une œuvre totalement bouleversante. Tuons le suspense dans l’œuf alors que l’on s’apprête à évoquer “Le procès de Viviane Amsalem”: Ronit Elkabetz réussit totalement son pari et offre un film absolument remarquable. Digressions autour de son œuvre.
Usée après de longues années d’un mariage sans amour, Viviane Amsalem va tenter d’obtenir un “Gett”: un divorce religieux dans la foi juive. Mais problème: le Gett ne peut s’obtenir sans l’accord du mari, qui va férocement résister pendant de longs mois pour contraindre Viviane à renoncer. Toujours situé dans le tribunal religieux devant statuer, le film nous retrace ce parcours et la lutte de cette femme seule contre l’obscurantisme.
Donnons un bon coup de pied dans la fourmilière: c’est plutôt agréable de voir une oeuvre féministe, en opposition à la religion, mais dans un autre décor que la religion musulmane. Si Les Réfracteurs respectent toutes les fois, il faut bien reconnaître que toutes les religions se sont servi un jour de leur pouvoir pour asservir la femme et que dans bien des domaines, elles continuent. Transposer ce problème au culte judaïque, justement pour une affaire de divorce, c’est franchement intéressant.
Dans ce film qu’elle porte si admirablement, Ronit Elkabetz va aller au bout d’elle-même. Ce combat d’une femme, dans un crescendo de monstruosités verbales, elle lui donne vie. Si les premiers instants peuvent prêter à quelques sourires, c’est progressivement que le film va accélérer son tempo et aggraver les enjeux. Une belle réussite.
Dans ce véritable huis-clos, la réalisation n’est pas en reste. Tantôt subjective, tantôt omnisciente, la place de la caméra à son importance, jusque dans la hauteur où elle est placée. En plongée pour appuyer la minuscule pièce où se confronte les destins, en contre-plongée pour donner de la stature à certains personnages.
« Y a triche là! »
Attaquons-nous au fond, et c’est là aussi un immense “oui!” que l’on pousse. Le message féministe passe terriblement bien, d’autant plus qu’on ne juge cette femme qu’à travers des hommes. Plus qu’une simple mise en accusation, c’est une réflexion sur la parité qu’amène la cinéaste.
C’est encore plus probant lorsqu’on s’intéresse au rapport de force qu’implique un Gett. Demander pendant des années entières par Viviane, un simple “non” de son mari suffit à tout bloquer. Cette impasse dépasse le cadre religieux et parle à toutes les femmes qui se sont un jour senties prisonnières d’un homme.
Mais on ne peut pas écarter la religion du film, bien évidemment. On est ici face à un véritable cocktail Molotov lancé contre le fanatisme. Ce tribunal fantoche, incapable de la moindre décision pour sauver une âme féminine, mais toujours prompt à sévir pour torturer Viviane et la replonger dans un mariage détestable par une soi-disant volonté divine, on le prend en grippe de par son incompétence.
Mais bien plus qu’un simple film féministe, “Le procès de Viviane Amsalem” va plus loin, et cherche des réponses à des questions plus poussées. Dans un status quo (celui d’un jugement de Gett) presque jamais vu, le long-métrage va réussir à sortir une morale plus profonde, plus universelle. Une réflexion sur la vie, sur les gens qu’on peut aimer ou non, et sur la construction d’un mariage. De vrais axes de réflexion entiers qui habitent le spectateur plusieurs minutes après la fin du film.
Mais ce qu’on retiendra le plus, c’est l’horrifiante vérité. Par combien d’humiliations, de pleurs, de cris, de souffrances doit passer une femme pour obtenir un simple bout de papier qui prouve sa liberté. Si le résultat de ses élans émotifs n’est pas nul, c’est déjà trop!
Parce qu’il est un vrai exercice de style de réalisation, mais également une réflexion poussée sur la condition féminine, Les Réfracteurs vous encouragent vivement à vous pencher sur ce film.