I love you, je t’aime

(A Little Romance)

1979

de: George Roy Hill

avec: Laurence OlivierDiane LaneThelonious Bernard

Ça commence avec vous: filmer une salle de cinéma dans un long-métrage n’est jamais anodin. C’est une façon de renvoyer le spectateur à lui-même ou comme ici, lui permettre de s’identifier immédiatement au personnage. Dans la salle, Daniel, un gamin de Paname, presque un Gavroche. Sur l’écran, ses héros, ses acteurs fétiches : Robert RedfordHumphrey BogartPaul Newman… Cette scène d’ouverture, c’est aussi une façon pour George Roy Hill, le réalisateur, de s’immiscer une première fois dans l’histoire, l’un des films s’enchaînant devant les yeux émerveillés du garçon étant “Butch Cassidy and the Sundance Kid”, un long-métrage du cinéaste qui signe ce « I love you, je t’aime » qui nous intéresse aujourd’hui. Un clin d’œil pourrait-on croire au début, mais en fait un geste loin d’être innocent dans cette adaptation libre de “E=mc² mon amour” de Patrick Cauvin, que tous les profs de français ont recommandé au moins une fois.

D’un côté, nous avons donc Daniel, un gamin débrouillard, une canaille qui déambule dans ce Paris des années 70 comme s’il était chez lui. Son attitude et son phrasé traduisent une maturité peu commune pour un enfant de 13 ans. Le soir, il rentre dans l’appartement sordide de La Garenne qu’il partage avec son père, qui n’a d’autre préoccupation que les courses hippiques. De la considération paternelle, Daniel n’en a que très peu. Il est solitaire par obligation, plus mature que les autres par contrainte.

Et de l’autre côté, il y a Lauren, une petite fille américaine qui vit dans le faste des hôtels luxueux parisiens. Traînée sur les plateaux de tournage par sa mère qui papillonne d’amants en amants, Lauren est une gamine bûcheuse, qui s’intéresse davantage à Heidegger et à la philosophie en général plutôt qu’aux centres d’intérêts futiles de son ascendante. Elle aussi est seule, différente des autres filles de son âge. Le seul qui semble se préoccuper d’elle est son beau-père du moment, le troisième, mais il ne parvient pas à percer à jour totalement Lauren et son caractère discret.

Au hasard d’une rencontre, ces deux enfants vont se croiser et s’apprivoiser mutuellement. Daniel tente maladroitement de séduire la jeune fille, avec deux ou trois répliques de ses films favoris qui font sourire Lauren. Mais c’est lorsqu’il remarque le livre complexe que feuillette la jeune fille qu’un lien fort va s’installer entre eux, la première étincelle d’un amour qui naît.

« C’est ma maison, là derriere. Pas mal, non? C’est français »

Daniel va balader Lauren dans le Paris qu’il aime tant: celui des parcs, des jardins, des grands boulevards, mais aussi celui plus discret des quartiers populaires, et bien sûr dans ces cinémas que Daniel aime tant. Leur union va prendre l’allure des premiers amours: ceux passionnels à la folie, irraisonnés et intenses. Mais lorsque la mère de la jeune fille la découvre en compagnie du garçon, en train de siroter leur premier verre de champagne en cachette pendant l’anniversaire de Lauren, elle tente de les séparer, sans laisser place aux explications.

C’est alors que le film se métamorphose. D’une balade dans les rues parisiennes, “I love you, je t’aime” devient un road-movie complètement fou: la fugue de ces deux enfants faits l’un pour l’autre vers Venise, dans l’espoir de s’embrasser sous le pont des Soupirs au coucher du soleil pour sceller à jamais leur amour, comme leur a raconté un vieil homme dont ils ont fait la rencontre et qui va les accompagner dans leur périple.

Cet ancien, il est un facilitateur du récit, la solution à beaucoup de problèmes: presque un Deus Ex Machina. Mais plus qu’un personnage, notre interprétation nous pousse à croire que c’est presque George Roy Hill lui-même qui se cache malicieusement derrière lui. Un protagoniste tellement plus vrai que nature, tricheur et extraordinaire qu’il devient presque le chef d’orchestre de l’histoire, à la façon dont un réalisateur dirige un film. Le cinéaste était déjà omniprésent dans “I love you, je t’aime” à travers les clins d’oeil à sa filmographie, mais aussi dans les traits de caractère de Daniel. Cet ancêtre qui accompagne les deux amoureux est presque omnipotent, comme si George Roy Hill lui-même voulait aider Daniel et Lauren.

Précisons que le réalisateur a souvent donné dans le divertissement pur, mais profond. “I love you, je t’aime” est un des longs-métrages les plus malicieux, enfantins, un peu à la manière de Louis Malle avec “Zazie dans le métro”. Comme si pour ce qui sera l’un de ses derniers films, George Roy Hill avait voulu renouer avec la fougue de la jeunesse et le souffle d’une aventure intense et légère à la fois.

Sans être un chef-d’œuvre, “I love you, je t’aime” insuffle dans le cœur du spectateur un esprit enfantin terriblement séducteur. On ne saurait dire mieux que le film lui-même: “Quelque chose que deux personnes qui s’aiment réalisent ensemble contre l’impossible peut les garder unis pour toujours”.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire