1956
Réalisé par: Robert Bresson
Avec: François Leterrier, Charles Le Clainche, Maurice Beerblock
Film vu par nos propres moyens.
À la fin des années 1950, à peine plus d’une décennie après la fin des combats, le monde se remet encore doucement des horreurs de la Seconde Guerre mondiale: nombre de familles sont endeuillées et la planète reste meurtrie. La culture est toujours un témoignage des obsessions de son époque, et le cinéma va être un vecteur essentiel de guérison pour les hommes. Le 7ème art épouse cette tâche et les histoires dans l’Histoire aident à exorciser les démons d’un passé hautement traumatique. Aux États-Unis apparaîtra notamment Le pont de la rivière Kwai, en Russie naîtra Quand passent les cigognes, et dans ce bal filmique international, la France n’est pas en reste: Nuit et Brouillard marquera le pays de son empreinte indélébile.
C’est à la même époque que Robert Bresson commence à se faire un nom dans le milieu du cinéma, et de manière presque naturelle, il participera à ce mouvement en offrant un film devenu profondément mythique: Un condamné à mort s’est échappé, inspiré de la véritable histoire du résistant André Devigny, ici rebaptisé Fontaine et joué par François Leterrier. Arrêté par les forces d’occupation nazies, ce personnage intrépide prépare son évasion spectaculaire durant plusieurs semaines, utilisant le peu de moyens que lui offre sa cellule, et bravant le désespoir de sa condition de prisonnier voué à la mort s’il n’agit pas.
Docu-Fiction
Dans l’approche de son histoire, Robert Bresson fait preuve d’énormément de respect pour le parcours de Devigny et cherche à en rendre compte avec une authenticité absolue. Fait conseillé sur le tournage, le militaire aiguille le réalisateur pour parvenir à un résultat proche du documentaire. Outre le choix de filmer dans la véritable prison de Montluc où était incarcéré Devigny, Robert Bresson cherche également à émuler le plus fidèlement les quelques accessoires qui lui ont servi à s’évader. Les crochets, cordes, ou même la cuillère qui sert à démonter la porte de la cellule de Fontaine sont assez analogues à ceux de Devigny.
Mais la véracité formelle s’accompagne également d’une cohérence de fond: si Bresson se garde bien de se prétendre parfait témoin de la psyché de Devigny, comme l’atteste le changement de patronyme du héros, il peut toutefois s’appuyer sur sa propre expérience: le cinéaste fût lui même prisonnier durant la Seconde Guerre mondiale. Il plane en conséquence une cohérence dans les pensés de Fontaine qui semble proche de ce qu’ont pu vivre les détenus de ces heures sombres de l’Histoire. Un condamné à mort s’est échappé est frappé du sceau de la vérité, plus proche du drame humain que du récit d’aventure.
L’un et les autres
Fidèle à son style caractéristique qu’il poussera par la suite à son paroxysme dans Pickpocket, Robert Bresson fait reposer sa narration et sa mise en scène sur ce qui constitue la sincérité de son cinéma. Un condamné à mort s’est échappé repose sur une dualité qui s’affiche à l’écran. D’une part, l’humain est réduit visuellement à son strict minimum: à peine quelques expressions faciales, mais surtout la répétition inlassable de tâches fastidieuses que Fontaine reproduit à l’infini, notamment au moment de gratter le bois de la porte de sa cellule. D’autre part, Bresson met complètement à nu son protagoniste principal par l’intermédiaire d’une voix-off omniprésente. Toutes les pensées, de la plus profonde à la plus triviale, nous sont restituées comme si nous étions dans la peau de Fontaine. La solitude et le désespoir deviennent communicatifs.
Mais on ne peut pas écarter d’un revers de la main les quelques scènes, aussi réduites en nombre que le permet la vie carcérale, où notre héros interagit avec d’autres détenus. Bresson nous offre là une palette complète de l’être humain: résignation, inconscience, folie, désespoir et conformisme se côtoient et s’entrechoquent au gré des quelques maigres dialogues. Bresson confronte même Fontaine à des hommes d’église pour convoquer le divin. Seuls les soldats nazi sont écartés de l’image: lorsqu’ils ne sont pas hors-champs, c’est de dos qu’ils apparaissent, comme désincarnés.
Le choix de vivre
Dans un contexte montré comme arasant, répétitif et sordide, il convient de s’interroger, comme le fait le cinéaste, sur ce qui motive la résistance cachée de Fontaine. Ce personnage apparaît animé d’un feu sacré qui le pousse à ne jamais courber l’échine. Dans les premières minutes, alors qu’un contact inespéré avec l’extérieur s’établit, Fontaine tient notamment à informer ses supérieurs de sa capture. L’évasion semble par la suite être un devoir de soldat, un impératif auquel notre héros se pli. Certes sa vie est en jeu s’il n’agit pas, le titre de l’œuvre ne ment pas, mais il n’y a que peu de place pour l’hésitation dans la phase initiale du récit. Fontaine refuse la résignation, et les premières minutes du film servent de notes d’intention: ce protagoniste fera tout pour s’échapper, même si les chances sont minuscules.
Pourtant, peindre un portrait idéalisé de tous les prisonniers, Bresson s’y refuse. La fatalité est de mise dans son œuvre, elle est simplement incarnée par les autres personnages avant tout. Dans le ballet infini de ceux qui vont et viennent rôdent de véritables fantômes, à l’instar du voisin de cellule de Fontaine qui ne veut pas lui adresser la parole de prime abord. Dans les vexations qui frappent les détenus, et la vétusté de leurs cellules plane également une certaine image d’antichambre de la mort. Au plus évident et glaçant, le bruit des détonations, synonymes de mises à mort à l’autre bout de la prison, figent le spectateur et l’implique émotionnellement dans la tension maîtrisée du long métrage.
Un condamné à mort s’est échappé est édité par Gaumont.
Robert Bresson assemble véracité historique et charge personnelle à travers un film qui capture l’essence de l’être humain dans un contexte éprouvant.