Pickpocket
Pickpocket

1959

Réalisé par: Robert Bresson

Avec: Martin LaSalle, Marika Green, Jean Pélégri

Film vu par nos propres moyens

Les influences d’un artiste orientent parfois vers de belles découvertes. Tout au long du mois de novembre, alors que notre site vivait au rythme des travaux du cinéaste Paul Schrader, un nom revenait peut être davantage que n’importe quel autre dans le spectre des réalisateurs qui ont marqué sa vision acerbe du 7ème art: celui de Robert Bresson, auquel il a même consacré un essai. Au jeu des ressemblances, le trublion américain semble avoir beaucoup emprunté à la forme du français, aussi précise que conceptuelle pour son époque. Comme un chemin tout tracé, notre curiosité nous a donc conduit à nous pencher aujourd’hui sur une pépite souvent citée par Schrader: Pickpocket, sorti en 1959.

Une œuvre fascinante, à la cadence d’image parfois hypnotique, dans laquelle Martin LaSalle incarne Michel, un jeune garçon sans le sou fraîchement libéré de prison. Pour palier à ses besoins, il n’a d’autre choix que de se livrer au vol en devenant pickpocket. Les tâtonnements de ses débuts vont progressivement faire place à une obsession pour le larcin qui l’entraîne sur une pente glissante et lui fait perdre le sens des priorités, délaissant notamment sa mère et ses amis.

Bresson fûté

S’ouvrir au style de Robert Bresson, c’est s’immerger dans un monde où le cinéaste se fait parfois proche du documentaliste. Sur un tempo relativement soutenu, le réalisateur agence des images ciblées sur les mains des voyous qui se referment sur leur précieux butin. En 1h15 de film, Bresson propose avec méticulosité un panel complet des techniques propres aux pickpockets, de manière hautement vraisemblable. Un procédé de mise en scène si proche de la réalité que le long métrage connaîtra une période de censure dans certains pays où l’on craint qu’il ne donne de mauvaises idées à certains citoyens.

Pickpocket

Il faudrait en vérité y voir plutôt une patte caractéristique de l’artiste. À l’instar d’un autre de ses chef-d’œuvres, Un condamné à mort s’est échappé, Bresson aime articuler ses récits autour de la répétition inlassable d’une même tâche, comme un mortifère métronome. Dans les deux cas, ce processus est synonyme de risque et on ressent une notion de danger de plus en plus prépondérante, tel un couperet de la fatalité qui pourrait s’abattre à tout moment. Michel comme le héros du Condamné à mort s’est échappé vivent dans une même crainte d’être pris sur le fait, et le spectateur perçoit ce péril en permanence 

Volontairement, Robert Bresson propose une mise en scène froide, ou les décors semblent réduits à leur plus simple expression par les choix de cadrage, comme la chambre sommaire de Michel ou l’intérieur d’un bistro tout à fait commun. Les rares élans dramatiques du scénario semblent eux arriver à contretemps: il est toujours trop tard pour notre triste héros. Un parti pris qui peut froisser la direction d’acteur que le réalisateur impose comme très synthétique. Bresson va à l’essentiel, droit comme une flèche, et ne s’embarrasse pas du liant qui pourrait sortir le spectateur de l’inconfort souhaité par le cinéaste. Jamais les dialogues ne contrebalancent ce sentiment parfois incongru.

Récidive

Au moment de nous plonger dans ce qui sera l’Alpha et l’Oméga de son histoire, l’ascension et la chute prévisible de Michel, Robert Bresson a le bon goût de ne pas proposer le vol comme une solution de facilité. C’est la société et le refus d’une seconde chance qui pousse le personnage principal dans un cercle vicieux. On ne saura jamais rien du délit qui a conduit ce protagoniste à sa première incarcération, et peu importe. La substance de l’œuvre naît d’un pardon que les autres ne lui ont jamais accordé, amis ou dépositaires de l’ordre public. 

Pickpocket

Robert Bresson fait même un pas supplémentaire dans l’empathie qu’on éprouve pour Michel. Pris dans un engrenage infernal,son héros est grisé par le larcin, mais pas par appât du gain, simplement par goût de l’adrénaline. Les objets dérobés ne servent jamais plus qu’à évaluer la splendeur du vol, sans que Michel n’améliore son confort. 

On est même en droit de se demander si Michel n’est pas juste satisfait de resplendir dans un domaine où il peut étaler son talent. Alors que les portes se sont refermées, il jette toutes ses forces dans sa morne profession jusqu’à en devenir expert. En nous le montrant comme un garçon capable de s’instruire seul à travers les livres qu’il parcourt, mais également prompt à exercer sa dextérité, Robert Bresson fait de son personnage une chance manquée par la société d’assimiler un brillant élément. 

Envers et contre tous

Mais Michel est pourtant loin d’être seul dans la vie et il est intéressant de constater qu’il est le premier à s’interdire le sentiment d’amour. D’abord par honte de sa condition, puis par une pointe de désintérêt, il ne voit pas son salut sentimental lorsqu’il semble pourtant évident. Une passion possible lui échappe, comme nous l’annonçait l’introduction du film, mais c’est dans son rapport filial qu’on éprouve le plus de chagrin. Michel délaisse une mère dont il ne se sent pas digne, l’imaginant faussement immortelle.

Pickpocket

Les seuls liens tangibles que le protagoniste principal noue lui sont toxiques. Il ne voit pas venir le double jeu de son meilleur ami supposé, illustrant probablement le citoyen modèle, qui lui intime l’ordre en début de film de patienter dans sa précarité. Jamais il ne trouvera secours auprès de cette fausse main tendue qui se dérobe finalement à lui. Plus intriguant est son rapport avec le commissaire de police lancé à ses trousses. Loin d’en faire un chien de garde, Robert Bresson préfère initier un dialogue philosophique entre ses deux personnages: l’un opte pour une application ferme de la loi, l’autre plaide pour que les voleurs les plus habiles soient laissés libres, comme n’importe quels virtuoses d’une profession commune. Ici Robert Bresson met le doigt sur l’interrogation profonde de son œuvre: en faisant fi des lois, auriez vous enfermé Michel ou non?

Pickpocket est édité par MK2 et Potemkine.

Dans son style caractéristique et habile dans la façon de suggérer ses messages, Robert Bresson brille d’intelligence avec son Pickpocket attachant.

Nicolas Marquis

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