L’été de Kikujiro

(Kikujiro no natsu)

1999

réalisé par: Takeshi Kitano

avec: Takeshi KitanoYusuke SekiguchiKayoko Kishimoto

Le cinéaste mondialement connu Takeshi Kitano est un formidable caméléon. Véritable porte-étendard de son Japon natal, le réalisateur possède une formidable qualité d’adaptation à tous types de genres cinématographiques. Sa filmographie est autant parsemée d’histoires de yakuzas ou de samouraïs proches du divertissement que de films d’auteur pointus et exigeants qui font de Kitano un des chouchous du festival de Cannes. Avec “L’été de Kikujiro” qu’on réfracte aujourd’hui, l’artiste complet nous rappelle qu’il est aussi connu chez lui pour être un véritable humoriste, un clown décalé et parfois sympathiquement potache.

Dans son film, Kitano nous retrace le parcours de Masao (Yusuke Sekiguchi), un tout jeune garçon d’à peine dix ans vivant seul avec sa grand-mère et d’un caractère timide et réservé. Alors que les vacances scolaires commencent, tous les amis de Masao partent loin de Tokyo avec leur famille. Par un improbable concours de circonstances, le petit bonhomme va prendre la clé des champs pour rejoindre sa mère loin de la capitale nippone. Pour l’accompagner dans son périple, Masao est épaulé par un homme irascible et malpoli (Takeshi Kitano lui-même, ou Beat Takeshi comme il aime se faire appeler quand il enfile le costume d’acteur), vraisemblablement un ancien yakuza hilarant dans sa façon d’envoyer ballader tout le monde. Une relation forte va se nouer entre les deux protagonistes sur la route et c’est progressivement que le personnage de Kitano va s’attacher à Masao.

Plonger dans “L’été de Kikujiro” c’est faire l’expérience du style Kitano dans ce qu’il a sans doute de plus personnel. Le long métrage est habité par une poésie lunaire proche de l’absurde sans jamais franchir totalement la limite. Ce périple prend des airs de douce rêverie et s’appuie sur quelques symboles oniriques que Kitano utilise pour mieux affirmer une œuvre malicieuse, délicieusement cabotine et enfantine. Malgré une tension dramatique évidente lorsqu’on parle d’un enfant esseulé, “L’été de Kikujiro” ne cesse presque jamais d’être amusant, comme une sorte de “feel good movie” qui nous fait grandir.

Une notion pédagogique importante car sur la route, Masao va découvrir les dangers du monde qui l’entoure et Kitano va devenir son ange gardien (une image d’ailleurs utilisée dans le film). C’est l’autre face du long métrage, celle où un petit bout d’homme se retrouve confronté à l’injustice et aux troubles de notre société. Dès lors, Kitano prend des airs de professeur de l’école de la vie: “L’été de Kikujiro” est un film à deux visages, l’un parfois sombre, l’autre optimiste.

« Il suffisait d’y penser! »

Cet autre aspect du long métrage, celui rempli de bonheur et de plaisir simple est sans conteste la panache de l’œuvre. On se sent bien devant la proposition de Kitano, perpétuellement le sourire aux lèvres et l’esprit vagabond. Des rencontres que fait notre duo disparate se dégage un sentiment positif, un appel à célébrer la curiosité. Un processus qui permet à Kitano de nous faire passer des larmes aux rires avec une aisance déconcertante.

L’identité du film se forge donc avant tout dans la paire que forme Kitano et Masao. La dynamique qui se tisse entre les deux personnages est diablement efficace, l’ancien étant un grand enfant et le plus jeune un mini adulte. Dans la prestation de Kitano on décèle une sorte de bienveillance séduisante pour Masao, lui laissant toute la place pour s’exprimer. Aussi imposant soit le vieux bougon, c’est indéniablement Yusuke Sekiguchi qui tient le rôle-titre et qui permet de savourer l’œuvre en famille.

Techniquement, on retrouve tout ce qui fait le style caractéristique du réalisateur, notamment dans son montage si particulier qui saute parfois du coq à l’âne pour capter une idée nouvelle ou une nuance supplémentaire. C’est aussi souvent à travers une majorité de plans fixes que s’exprime Kitano. Des cadres très installés qui apportent un côté parfois saugrenu envoûtant à “L’été de Kikujiro”. Le découpage du film en petits chapitres apporte également un rythme unique, un tempo proche du film à sketch où chaque scénette participe à former un ensemble hétéroclyte.

Le long métrage constitue également une des plus belles collaborations entre Kitano et le compositeur Joe Hisaishi, un de nos favoris chez les Réfracteurs. Les deux hommes, souvent réunis au cinéma, se tirent mutuellement vers le haut: le cinéaste offre des instants suspendus au musicien pour qu’il s’exprime et celui-ci va proposer des variations subtiles autour d’un thème envoûtant donnant une couleur toute particulière à l’œuvre, une saveur auditive.

Mais si on devait retenir une chose de “L’été de Kikujiro”, c’est sans doute la notion de voyage que propose Kitano. Lancé sur les routes avec nos héros, on découvre mille facettes d’un pays parfois étrange mais toujours séduisant, entre villes peuplées et campagne plus déserte. Un décor qui évolue perpétuellement et qui ne permet finalement que d’avoir Masao et son protecteur comme fil rouge visuel. De quoi renforcer avec brio l’affection qu’on a pour le garçon. On s’identifie à ce petit bout de chou, d’autant plus que Kitano ne cherche pas à donner des explications complexes à tout: certains ponts scénaristiques sont à imaginer, comme si nous étions nous aussi redevenus des enfants cherchant à faire sens du monde qui nous entoure.

C’est probablement l’un des films les plus attachants de Kitano qu’on évoque aujourd’hui. Une douce ballade du côté de l’enfance, empreinte d’une candeur délicieuse.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire