Brigsby Bear

2017

réalisé par: Dave McCary

avec: Kyle MooneyMark HamillJorge Lendeborg Jr.

Lorsqu’une passion dévorante vous habite, le partage est toujours un acte enrichissant. Avec l’explosion d’internet, cette envie de communier collectivement est devenue plus simple, comme si le prochain fanatique qui nous ressemble n’était qu’à un tweet de nous, si loin géographiquement et pourtant si proche émotionnellement. Nous-même, épris de cinéma, aimons nous retrouver sur les réseaux sociaux pour alimenter le feu sacré de notre discipline favorite. Bien sûr, s’ouvrir aux autres est parfois source de conflit: on débat et on s’engueule même parfois. Pourtant, il existe indéniablement un élan commun chez ceux qui vivent intensément leur hobby favori, une envie de faire goûter au monde ce qui nous réunit et nous remplit de joie au quotidien. Ce sentiment, “Brigsby Bear” de Dave McCary va tenter de le capter et de le développer à travers une histoire aussi farfelue que touchante.

James (Kyle Mooney, également scénariste du film) est un jeune homme vivant reclu avec ses parents dans un bunker souterrain, croyant que la surface est source de danger. Esseulé, le garçon regarde chaque jour les cassettes vidéo de “Brigsby Bear”, un show télévisé éducatif étrangement poussé qui met en scène un ours qui voyage dans la galaxie. Lorsqu’un jour la police débarque et apprend à James que ceux qu’il croit être ses parents sont en fait des ravisseurs qui l’ont kidnappé dès le plus jeune âge, que “Brigsby Bear” est une invention de son faux père et qu’il n’y a rien à craindre du monde extérieur, le quotidien de notre héros est fatalement bouleversé. Réuni avec sa famille génétique, James va tenter d’appréhender une société qu’il ne connaît pas et de tisser des liens avec les autres en partageant sa passion pour “Brigsby Bear” dont il souhaite réaliser un long métrage.

Le film propose donc une relecture moderne de la fameuse allégorie de la caverne de Platon, souvent revisitée dans le monde artistique. En découvrant que son univers familier est un vaste mensonge, James redevient un enfant, un élève dans l’école de la vie normale où chaque geste et sentiment est à réapprendre. Un procédé narratif connu mais parsemé de multiples petites nuances. On aurait tort de croire que “Brigsby Bear” ressemble aux autres œuvres s’inspirant du mythe grec et le long métrage mérite un véritable effort de concentration pour en capter toutes les subtilités et l’originalité perpétuelle qui l’habite.

Une fraîcheur scénaristique qui s’étale dès les premiers instants. Le secret de l’enlèvement de James n’est pas bêtement balancé en début de film: Dave McCary préfère consacrer le premier quart de son œuvre au quotidien de ce héros décalé dans son bunker. Un sentiment étrange naît chez le spectateur. On est déstabilisé, pris au dépourvu par cette portion du récit totalement lunaire. Pour peu qu’on soit tombé par hasard sur “Brigsby Bear” on écarquille les yeux devant tant de loufoqueries. Il en résulte un attachement étrangement fort pour James qui devient notre seul référent lorsque le monde factice dans lequel il croit évoluer s’écroule, il est tel un fil rouge dans film.

« Plus fort que les Teletubies. »

C’est d’ailleurs dans ce segment du scénario que l’identité visuelle séduisante de “Brigsby Bear” s’affirme le plus. Tout le travail de direction artistique autour des aventures de l’ourson spatial est franchement brillant. On convoque autant les vieilles émissions éducatives de notre enfance que les films maison des amateurs de septième art. Le long métrage trouve un juste équilibre et ne perd jamais sa patte esthétique différente et unique. Mais même en dehors du monde imaginaire de Brigsby, il émane du film une douceur dans les couleurs pourtant variées qu’affiche le film. On cajole l’œil grâce à des tons pastels et une certaine sobriété dans le maniement de la caméra. On est loin d’être étonné de voir que “Brigsby Bear” fut présenté à Sundance tant le long métrage respire l’âme du cinéma indépendant américain.

L’écriture offre aussi son lot d’originalité avec en premier lieu une bienveillance de chaque instant pour son héros. Jamais Dave McCary ne tombe dans l’humour lourdingue ou ne tourne en ridicule son héros. On sent un travail commun avec Kyle Mooney pour offrir de la compassion et de la compréhension. L’identification s’en trouve renforcée, on se reconnaît dans James, ce rêveur en série attachant. Il réveille chez nous l’enfant oisif qui sommeille au fond de nos cœurs.

De quoi aiguiller le spectateur vers le sourire complice plutôt que vers le rire gras et potache. “Brigsby Bear” ne va pas sombrer dans la facilité, c’est plutôt un sentiment de bien-être et un attendrissement certain qui caractérise le film. L’émotion du spectateur est aussi vive que sincère, empreinte d’un apaisement loin des explosions du cinéma pop corn. “Brigsby Bear” est un vrai “Feel Good Movie” qui n’a pas besoin de forcer pour toucher sa cible.

Dans le message de fond, McCary et Mooney n’oublient pourtant pas de dénoncer ce qu’une passion dévorante peut avoir de destructrice à certains rebondissements de l’histoire. On sent que James est un peu prisonnier de cet univers qu’il a besoin de perpétuer après sa libération. Mais cette thèse est vraiment discrète et contrastée, comme si “Brigsby Bear” n’y croyait pas vraiment. C’est en fait l’inverse, le côté fédérateur que peuvent avoir les mondes de l’imaginaire, qui est mis en avant. James réussit à réunir autour de lui et de Brigsby tout un parterre de personnages qui assimile son amour pour l’ours en peluche et qui veulent aussi l’éprouver. Ce n’est d’ailleurs sûrement pas un hasard si Mark “Luke Skywalker” Hamill figure au casting, lui qui incarne avec “Star Wars” l’une des licences qui rassemble le plus.

Puis enfin, on soulignera aussi l’un des axes les plus importants du récit: encourager l’élan créatif. “Brigsby Bear” nous prend par la main et nous entraîne dans une folie visuelle et scénaristique pendant 1h30 mais semble, au moment de nous quitter, vouloir graver dans nos cœurs quelques mots simples mais puissants: soyez imaginatif, inventif, passionné et passionnant. Créez, peu importe comment, peu importe pourquoi, créez pour exister!

Brigsby Bear” a parfaitement su susciter un affect assez profond chez nous. La quête de James est aussi loufoque que sensée et le message du film reste gravé en nous.

Nicolas Marquis

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