A Bittersweet Life

(Dalkomhan insaeng)

2005

réalisé par: Kim Jee-Woon

avec: Lee Byung-HunShin Min-AKim Yeong-Cheol

Éternel objet de fascination, le mythe du gangster n’a jamais eu de cesse d’alimenter le cinéma en œuvres parfois très différentes sur un rythme effréné. Ils sont nombreux les spectateurs qui font du “Parrain” ou de “Scarface” leur film phare. Toute cette grammaire du monde du banditisme s’adapte au pays dans lequel on la propulse: les codes de la mafia italienne ne sont à l’évidence pas les mêmes que ceux des yakuzas japonais par exemple. Avec “A Bittersweet Life” de Kim Jee-Woon, c’est en Corée du Sud qu’on voyage, dans le monde de la nuit et des clubs tenus d’une poigne ferme par des organisations criminelles dirigées par de riches parrains, toujours prêtes à saisir une occasion de faire de l’argent. Le film nous propose de suivre le destin de Sun-Woo (Lee Byung-Hun), l’homme de main privilégié d’un baron du crime coréen. Alors que le boss part quelques jours en Chine, Sun-Woo est chargé de surveiller le flirt de son patron qui suspecte l’infidélité chez son amourette. Une mission à priori banale mais qui va bouleverser l’état d’esprit de notre héros et qui va l’embarquer dans une escalade de violence alors qu’il refuse d’exécuter les ordres qui lui sont donnés.

A Bittersweet Life” prend des allures d’odyssée agressive mais où la violence n’est jamais gratuite. Elle est davantage un refrain qui revient à intervalle régulier, une macabre ponctuation incontournable. Kim Jee-Woon choque mais toujours avec un but en tête, une idée à développer. Les gerbes de sang deviennent semblables aux traits de peinture sur une toile avec un ressenti proche de ce que propose parfois Tarantino. Pas d’étonnement à voir Kim Jee-Woon maîtriser ce registre, lui qui signera également “J’ai rencontré le diable” (dont on vous parlait ici) plus tard dans sa carrière et qui affiche ici déjà les prémisses de son style caractéristique.

Une violence qui est mise en scène dans des affrontements musclés, feux d’artifice de poings contre la chair et les os. Des chorégraphies totalement jouissives qui flattent notre instinct animal et qui donnent à Sun-Woo un statut particulier, proche du concept de karma: sa vengeance devient presque une quête de justice qui balaye tout sur son passage. Pas d’honneur chez les voleurs dans “A Bittersweet Life” qui propose une vision sans concession du monde du crime, loin de la glorification idiote.

« Quand tu manges des fraises comme un cochon. »

C’est cette détermination d’un homme froid qui d’un coup ouvre son cœur aux émotions qui fait le sel du long métrage. Bien sûr, c’est sous couvert d’une forme de divertissement que Kim Jee-Woon livre son message qu’il faut savoir creuser pour totalement l’assimiler. Toujours est-il que le cinéaste semble tendre vers l’idée que même le moins émotif des hommes, quelqu’un qui n’a que peu de considération pour la vie humaine jusqu’alors, peut être bouleversé par une rencontre physique ou artistique. Sun-Woo est un chien de garde qui prend conscience de sa condition et qui décide de mordre son maître.

Un sentiment accentué par la belle interprétation de Lee Byung-Hun, comme souvent. L’acteur est tel une page blanche qui se noircit de sentiments au fil du film. Un bloc de granit que le metteur en scène sculpte avec une complicité certaine. “A Bittersweet Life” n’est pas un film où les personnages sont figés moralement du début à la fin, c’est une évolution qu’on propose.

Techniquement, Kim Jee-Woon va chercher à donner beaucoup de style à son œuvre: une photo propre aux angles de caméras souvent très ingénieux, des décors aux éclairages réfléchis et même le costume de Sun-Woo qui devient presque une seconde peau. La patte esthétique est quasiment parfaite et s’accompagne d’une bande sonore qui dicte le tempo du film, allant des sonorités nerveuses des combats aux airs classiques les plus mélodieux.

On a aussi apprécié les mouvements de caméra lents et voluptueux dans les parties calmes du récit en opposition au montage sec et agressif des moments de tensions. “A Bittersweet Life” peut sembler au premier abord un peu froid, sans doute un poil trop si on est honnête, mais c’est cette identité qui lui permet de nous gifler aussi violemment et on en redemande!

A Bittersweet Life” est une belle réussite esthétique et un film de gangsters tout à fait prenant. Un essai remarquable qui sort du lot dans ce genre souvent utilisé.

Nicolas Marquis

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