Tell It Like a Woman
Tell It Like a Woman affiche

2022

Réalisé par : Silvia Carobbio, Lucía Puenzo, Leena Yadav, Catherine Hardwicke, Mipo O, Lucia Bulgheroni, Maria Sole Tognazzi, Taraji P. Henson

Avec : Jennifer Hudson, Cara Delevingne, Eva Longoria

Film vu par nos propres moyens

Le 24 janvier dernier, l’Académie des Oscars dévoilait la liste des nommés à l’édition 2023 de la grande célébration annuelle du septième art. Au moment de dévoiler les chansons en lice pour la statuette tant espérée, une part de stupéfaction s’empare du public. Si la présence des envolées lyriques de RRR ou encore Top Gun : Maverick était attendue, la curieuse sélection de Sofia Carson et de son titre Applause sème la confusion. Pour une majorité écrasante de spectateurs, le film dont est tirée la relativement médiocre chanson est totalement inconnu. Créer dans le but louable de rendre hommage à l’association We Do It Together, qui milite quotidiennement pour venir au secours des femmes en détresse et pour une plus grande parité dans les médias ainsi que dans le monde artistique, Tell It Like a Woman n’a jusqu’alors été projeté qu’une poignée de fois, dans des festivals mineurs. Assemblage désordonné de sept courts métrages pour la plupart pitoyables, tous mis en scène par des réalisatrices et qui n’ont d’autre trait commun que de mettre en avant des personnages féminins, le film n’avait à l’évidence même pas pour mission d’être commercialisé. L’importance de la noble cause au cœur du processus créatif n’a d’égal que le désintérêt flagrant de certains participants, pensant sans doute alors que leur œuvre commune ne serait jamais dans la lumière des projecteurs. L’effroi n’en est que plus grand. La lutte pour la parité est un combat essentiel à mener et qui ne doit jamais être oublié, mais comment excuser dès lors l’amateurisme constant dont fait preuve le long métrage ? Entre les dérives filmiques consternantes d’incompétence de Catherine Hardwicke, réalisatrice du premier film de la saga Twilight, probablement venue errer là entre deux pauses café, et le jeu d’actrice calamiteux de Jennifer Hudson, Cara Delevingne ou encore Eva Longoria, Tell It Like a Woman invite à une intense consternation et à un profond malaise. Des sept pièces d’un puzzle cinématographique décadent, seul le segment réalisé par Mipo O peut prétendre à provoquer le moindre intérêt. Le reste n’est que descente aux enfers toujours plus frénétique.

Tell It Like a Woman n’a même pas de cohérence dans sa forme. Si les deux premiers courts métrages sont des docu-fictions tragiquement risibles malgré la gravité de leurs sujets, les quatre films suivants sont des drames plus ambitieux esthétiquement, entre Italie, Japon et Inde, avant qu’un affreux essai d’animation ne cloue finalement le cercueil d’un spectateur mort devant une nullité sans pareille. Un esprit malade a jugé opportun de collecter ces injures formelles et scénaristiques pour torturer une audience tétanisée par un spectacle affligeant.

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En faisant abstraction de toute ligne commune entre les sept courts métrages, Tell It Like a Woman démissionne de sa mission première. Le film a pour vocation d’être un témoignage d’une cohésion féminine au service d’une cause supérieure, pourtant jamais il ne semble que les différentes réalisatrices aient un tant soit peu dialogué entre elles. Une idée soufflée dans un des segments peut être complètement contredite dans le suivant, balayant la très faible part de réflexion que fait naître le film. Ainsi, la vie de famille est parfois vécue comme un calvaire mais aussi une source d’épanouissement, d’autres fois comme le seul but de la vie d’une femme, comble de la bêtise pour une œuvre se voulant féministe. Pourtant, le sentiment de désunion profonde entre les différentes parties de Tell It Like a Woman est essentiellement due à sa forme. L’expression de sensibilités différentes face à de mêmes questions pourrait se révéler enrichissante, si toutefois un minimum de cohésion dans l’approche pure du septième art liait les films entre eux. Faisant fi de cet aspect de la création artistique, le long métrage ne forme en fait qu’un vaste patchwork de genres différents, souvent exprimés avec un mépris flagrant du plaisir du spectateur. Se succédant à l’écran, les courts métrages ne sont que l’expression désintéressée de cinéastes qui ont fait leur petite bêtise dans leur coin, et qui sont désormais fiers de l’étaler devant tout le monde. 

À la vue des deux premiers courts métrages, il est même permis de se questionner sur la réelle appartenance de ce projet vidéo au cinéma. Jeu d’acteur, montage, narration visuelle… Les deux segments initiaux renoncent à absolument tout ce qui fait l’essence du septième art pour manifester une volonté acerbe de violenter le spectateur par l’indigence. L’émotion devrait être intense, d’autant plus que ces deux films s’inspirent d’histoires vraies, pourtant la négation de la mise en scène et les prestations incroyablement pathétiques de Jennifer Hudson et Cara Delevingne en roue libre constante créent la terreur. En l’espace de 25 minutes, Tell It Like a Woman offre l’un des moments les plus gênants de l’année, dans un instant calamiteusement proche du feuilleton bon marché où le surjeu est roi. Le retour vers une forme plus travaillée de cinéma des cinq courts suivants est brièvement perçu comme une lumière au bout d’un interminable tunnel de l’angoisse, mais à l’exonération de toute esthétique succède l’hyper démonstration calamiteuse. La troisième et cinquième tentative inaboutie de film confinent davantage à la publicité pour un parfum au rabais qu’à une vraie audace formelle. La dramaturgie de scénario surfaits, lorsqu’ils sont compréhensibles, est noyée sous une volonté d’effets de manche exacerbée à chaque seconde et complètement hors de propos. Le court métrage indien réveille même les instincts primaires du public, prêt à toutes les extrémités pour en finir devant cette avalanche de fondus enchaînés et de rutilance de couleurs criardes. Non content de martyriser son audience, Tell It Like a Woman choisit ce segment pour insérer au pied de biche les envolées de Sofia Carson, qui feraient passer Keen’v pour le nouveau Rimbaud (“Donne-toi des applaudissements, tu l’as mérité”), métamorphosant l’affliction de l’œil en clip détestable. Au milieu de ce marasme babylonien, la retenue devient un oasis. Les quatrième et cinquième courts métrages raniment un temps le public grâce à une volonté enfin digeste de faire passer l’histoire avant l’étalage de l’incompétence, mais les deux derniers segments font expier le dernier souffle de vie. Si le cinéma d’animation à un enfer, son dernier cercle est réservé à Tell It Like a Woman, avec cet essai franchement ridicule techniquement et symboliquement.

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Puisqu’il apparaît rigoureusement impossible d’attendre le moindre fil narratif clair entre tous les éléments qui composent le film, seules les idées les plus basiques trouvent une matérialisation à l’écran. Tell It Like a Woman entend exposer ce qu’est une femme moderne et à ce titre lui donner une multitude de visages différents. Pourtant, alors que la liberté d’être soi-même devrait habiter l’âme profonde du long métrage, une ligne de conduite arbitraire est presque sans cesse dictée aux protagonistes. Émanation explicite de ce dilemme profond qui anéantit toute la consistance de l’œuvre, le troisième court métrage se fourvoie, en faisant de sa morale une invitation à renoncer à sa vie professionnelle pour devenir mère spirituelle. Durant son carton introductif, Tell It Like a Woman se prétend vouloir être “inspirant” mais il ne se rend pas compte qu’il invite certains personnages à s’enchaîner à un devoir uniquement issu de leur condition de femme, nouveau sommet de crétinerie du long métrage. À une époque où la liberté se gagne si lentement, la vision rétrograde et insidieuse étouffe et ne peut se dissimuler éternellement derrière des plans d’une Italie de carte postale, ponctués par une jolie accumulation de faux raccords. Pourtant, ce court métrage précis n’est que l’illustration d’un écueil propre à quasiment tous les films qui composent le misérable corpus. Dès lors que Tell It Like a Woman tente de se livrer à la fresque sociale, de creuser en profondeur des problèmes pour les dénoncer, et de mettre à nu la femme, il sombre dans une maladresse sans pareil, parfois profondément révulsante. Décidément le meilleur des morceaux proposés, l’excursion japonaise dépeint la pression qui s’empare d’une mère de famille avec tact, sans jamais grossir le trait. L’implicite est une force et le recul imposé invite le spectateur à s’identifier naturellement à cette femme débordée, sans tomber dans une surenchère malhabile. Pourtant, ce n’est qu’un maigre rayon de soleil dans les ténèbres de la paresse d’écriture tant toutes les autres héroïnes sont privées de leur part de secrets pour laisser s’étaler une psyché complètement artificielle. Ainsi, dans le deuxième court métrage, deux travailleuses sociales aident une SDF à se défaire de l’innombrable couche de vêtements qu’elle porte, durant plus d’un quart d’heure. À mesure que les habits tombent, l’intimité se révèle, mais complètement incapable de jouer la folie douce, Cara Delevingne offre une prestation si atterrante qu’il devient impossible de comprendre son personnage. Selon le même critère de grossièreté, le premier segment laissait déjà transparaître la pénibilité des portraits féminins, loin d’être aboutis. Impossible pour Tell It Like a Woman de faire confiance au spectateur pour lui faire comprendre son propos, il emprunte le chemin de la verbalisation à outrance de la moindre idée, allant jusqu’à séparer son personnage en deux, entre sagesse et pulsion de démence, pour bien que le public, passablement pris pour un abruti, comprennent le sens de la démarche. Finalement, seule la volonté de montrer des femmes de toutes origines, tous âges et tous milieux sociaux rend justice à la complexité de la gente féminine.

Mais alors que Tell It Like a Woman semble vouloir donner une voix aux femmes opprimées, le film commet une erreur impardonnable en n’’incarnant presque jamais le mal qui les frappe. Évidemment, les dogmes arriérés d’une société patriarcale éprouvante s’imposent parfois à travers une pression invisible, ce qu’exprime relativement bien le quatrième segment, et parfaitement mal le dernier. Certains diktats qu’il convient de combattre n’ont pas de visage et la moindre petite fissure dans le mur du machisme est une victoire précieuse. Néanmoins, une grande majorité du temps, le long métrage fait de la femme son pire ennemi, dans l’effroi. Quelle sorte d’oeuvre féministe par nature peut bien juger opportun de faire peser la responsabilité du mal sur ses héroïnes ? De manière totalement abjecte, certaines protagonistes creusent leur propres tombes et personne d’autre n’est à blâmer. Pire, le film ne montre quasiment aucun homme, soustrayant presque totalement du récit leur mainmise tristement ancrée dans le fonctionnement défaillant de la société. Seul le cinquième court métrage y fait clairement référence, le reste du temps il est du ressort de chaque femme de s’émanciper puisqu’elle est de toute façon le seul obstacle sur sa route. La simplicité devient une injure faite à des milliers de victimes de l’ostracisation et Tell It Like a Woman doit alors assumer la perfidie profonde de son message nauséabond, terriblement loin de sa mission première. Des racines de tourments mal définies, voire d’une forme de démission face aux problèmes de fond, à l’extase factice d’une émancipation grotesque, il n’y a qu’un pas que le long métrage franchit avec un panache qui hante durant de longues nuits. Dans la pluie qui tombe sur l’Inde, une femme danse stupidement dans une joie totale, comme une enfant en bas âge. Au-delà d’une mise en scène éculée et d’une incompréhension totale de son malheur préalable, la naïveté profonde de cet instant censé galvaniser laisse totalement pantois face à tant de niaiserie.

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Tell It Like a Woman a au moins pour lui le mérite d’inviter ses personnages à une union des femmes pour lutter contre les épreuves. Si certaines protagonistes vivent dans une horreur pire que celle infligée aux spectateurs, un tissu d’âmes charitables leur vient en aide. Une accro à la drogue trouve réconfort dans l’oreille d’une soignante, la SDF jouée par Cara Delevingne bénéficie de la bienveillance des travailleuses sociales, une épouse battue obtient du secours auprès d’une vétérinaire… Les femmes ne sont pas seules et même si on caresse ici un autre aspect particulièrement candide du film, la mission de donner de l’inspiration aux plus démunies est partiellement atteinte. Néanmoins, pour y parvenir, Tell It Like a Woman fait preuve d’un irrespect monstrueux. En soufflant cette solution factice, le film laisse à penser qu’il suffit de faire un petit effort pour se sortir de l’effroi. Dans le deuxième court métrage, il paraît même évident que la victime des atrocités d’une vie éprouvante est complètement prise de haut par ses sauveteuses. Qu’a bien pu penser la véritable travailleuse sociale qui a inspiré le récit en se voyant dépeint à l’écran comme un être plus intéressé par le botox que par la peine de ceux qu’elle soigne ? Que s’est-il passé dans l’esprit de Catherine Hardwicke pour croire qu’une forme d’hommage quelconque pouvait en résulter ? On touche là au cœur du problème de Tell It Like a Woman, jamais le film ne sert les femmes, il les utilise pour imposer sa médiocrité intellectuelle je-m’en-foutiste. Chaque jour, des millions d’entre elles luttent contre l’injustice, mais à aucun moment le long métrage n’est à leur écoute ou à la hauteur de leur détresse.  

Le fond est atteint avec Tell It Like a Woman. D’une incompétence presque perpétuelle, le film se paye le luxe d’être à la fois une insulte faite aux femmes et au cinéma. Mise à part le court métrage de Mipo O, rien n’est à sauver du naufrage.

Nicolas Marquis

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