L’enfant, la taupe, le renard et le cheval
L'enfant, la taupe, le renard et le cheval affiche

(The Boy, the Mole, the Fox and the Horse)

2022

Réalisé par : Charlie Mackesy, Peter Baynton

Avec : Jude Coward Nicoll, Tom Hollander, Idris Elba, Gabriel Byrne

Film vu par nos propres moyens

Publié pour la première fois en octobre 2019, l’album illustré L’enfant, la taupe, le renard et le cheval a couronné de succès son auteur Charlie Mackesy, et apparaît comme l’apothéose de sa longue carrière d’illustrateur. Destinée à un tout jeune lectorat, sa fable onirique dans des terres enneigées est devenue un phénomène de librairie, séduisant la critique et le public, au point de s’installer durant de longues semaines dans le classement des meilleures ventes de livres outre-atlantique et de récolter une myriade de prix prestigieux. À 60 ans, le dessinateur caresse une gloire médiatique nouvelle avec son ouvrage, qui s’inscrit néanmoins dans le prolongement d’une démarche artistique initiée depuis son plus jeune âge. Charlie Mackesy a dédié sa vie au dessin, de ses débuts de caricaturiste dans The Spectator, jusqu’à l’élaboration d’une gigantesque fresque en compagnie de Nelson Mandela, l’un de ses travaux de plus grande envergure. Si tout part d’une feuille blanche, l’illustrateur a aussi pour volonté d’inviter ses traits dans les endroits les plus inattendus, alors que magazines et musées accueillent aussi bien ses œuvres qu’hôpitaux et prisons.

Adapter L’enfant, la taupe, le renard et le cheval en court métrage apparaît alors naturel. Le plébiscite autour de l’ouvrage rend le projet légitime, mais le souci de toucher un nouveau public perpétue également cette envie de démocratisation de l’art, propre à l’auteur. L’écran de télévision devient une nouvelle toile, sur laquelle se découvrent et s’animent avec délice les magnifiques illustrations du livre. Charlie Mackesy ne s’improvise pourtant pas réalisateur. Impliqué dans toutes les étapes de la conception du film, il est toutefois épaulé par Peter Baynton, un spécialiste de ce médium qui guide son aîné sur ce nouveau support de son imagination. Autour de la poésie d’un homme se greffe dès lors une multitudes d’artistes talentueux, dans le domaine technique qui est le plus bel accomplissement de L’enfant, la taupe, le renard et le cheval, comme pour ce qui est de l’interprétation, puisque l’oeuvre accueille notamment les voix d’Idris Elba et Gabriel Byrne. Proposé sur Apple TV, le film animé prouve par ailleurs que les plateformes de SVOD peuvent être des outils de propagation de la culture précieux, rendant accessible à tous les courts métrages d’ordinaire réservés à des circuits de diffusion confidentiels.

Dans L’enfant, la taupe, le renard et le cheval, un jeune garçon erre seul dans les plaines enneigées bordées de forêts mystérieuses, en quête d’un foyer qu’il cherche désespérément. Rapidement, une galerie d’animaux doués de parole lui viennent en aide, lui apportant secours, réconfort et amitié. La taupe malicieuse, l’énigmatique renard et le majestueux cheval guide le protagoniste dans sa recherche d’un abris, et lui permettent d’affronter les épreuves qui s’imposent à lui dans une avalanche d’amour candide, affirmant rapidement l’idée qu’un chez-soi se construit davantage en s’ouvrant aux autres qu’en érigeant des murs.

L'enfant, la taupe, le renard et le cheval illu 1

En humanisant les animaux, et en leur offrant les clés d’un savoir essentiel pour le jeune garçon, L’enfant, la taupe, le renard et le cheval épouse la forme d’une fable, s’adressant ouvertement aux plus petits, avec pour vocation de leur apporter du soutien face à leurs angoisses du quotidien. Dans un monde ouaté et duveteux, chacune des interventions grandiloquentes de la faune a pour mission de réconforter le spectateur, parfois avec naïveté, et de lui adresser une caresse où ne pointe jamais une once de méchanceté. L’errance à la recherche d’une maison devient une métaphore de la vie, appuyée par l’image d’un fleuve qui s’invite rapidement, et dont il faut suivre le cours pour arriver à son but. À ce titre, les lumières d’une ville lointaine apparaissent à l’horizon, mais pour parvenir à cette destination fantasmée, le protagoniste doit affronter un cheminement émotionnel et s’épanouir en tant qu’individu, davantage qu’il ne se confronte aux difficultés du voyage. Au terme du récit, la cité est vouée, de manière très attendue, à ne plus constituer l’idéal du héros. Au contact de ses amitiés naissantes, il a compris par lui-même que la maison est un abri du cœur plutôt que du corps, et que les compagnons de route sont une famille à part entière. L’enfant, la taupe, le renard et le cheval invite les plus jeune spectateurs à s’ouvrir sur le monde sans crainte. Les chaos du présents sont des apprentissages pour le futur, et à la solitude ressentie répond toujours des douces paroles venant des animaux, où le mot “amour” est prononcé des dizaines de fois. Charlie Mackesy et Peter Baynton illustrent pourtant le repli sur soi dès les premières secondes, lorsque le garçon est seul dans l’immensité blanche, comme un point sur une toile vierge, mais il est tout de suite rejoint par la taupe. Plus tard dans le film, les animaux sont destinés à constater l’immensité du monde et leur petitesse en conséquence, mais ils affrontent cette vérité ensemble, dans la douceur. La communauté qui se crée balaye tout sentiment de crainte.

L’abandon de soi et la confession de ses dilemmes aux autres, en ouverture totale de son cœur, devient le moteur du court métrage. Les quatre compagnons d’infortune se défont de leurs chaînes respectives à travers la parole et le partage. Pour s’affirmer, L’enfant, la taupe, le renard et le cheval invite à confronter l’image qu’on a de soi, en l’opposant à celle des autres, sans que jamais ne s’exprime la moindre notion de méchanceté. Si le secours prodigué par les camarades du garçon est le plus souvent métaphorique, le rassurant sur la place qu’il occupe dans le monde et sur l’importance de l’amitié, Charlie Mackesy et Peter Baynton offrent au spectateur deux séquences où il devient plus concret. La taupe fait fi du danger pour secourir le renard, et son altruisme est récompensé par la dévotion du prisonnier. Dans un même ordre d’idée, le garçon chute du cheval alors qu’il s’élançait au galop vers la liberté, et l’échidné enlace l’enfant pour lui apprendre à se relever face à ses échecs. Celui qui erre trouve un but grâce à ses comparses, et n’avance plus dans le noir, mais bien à la lumière d’un ciel étoilé qui jette une lumière bienveillante sur le parcours restant. L’affranchissement des limites est même suggéré, alors que le protagoniste est d’abord immobile, avant de marcher, de courir, de chevaucher, puis de s’envoler dans les cieux, suivant une courbe de progression claire.

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Une grande partie de l’enchantement propre à ce conte moral s’exprime avant tout par le visuel, jouissant d’une technique irréprochable. L’enfant, la taupe, le renard et le cheval offre la vision envoûtante de beauté d’un monde somptueusement retranscrit, où seule règne la douceur. La neige omniprésente n’est d’ailleurs jamais vraiment source de danger, mais plutôt un terrain de jeu où se dessine la malice des protagonistes. Le court métrage est une cajole constante, qui ne distille jamais la moindre peur, préférant n’offrir que du réconfort. Le plus gros défaut du film en émane : même si l’aventure est réservée aux plus petits, elle n’apprend jamais à s’affranchir de peurs issues d’une réalité parfois éprouvante, mais plutôt qu’elle n’existerait pas dans un univers frappé d’une candeur maladive. On peut légitimement s’interroger sur la pertinence d’une œuvre qui ne met jamais en garde, mais préfère conserver une naïveté oppressante pour le public âgé. La bienveillance est exacerbée, à tel point que la vision immédiatement ensorcelante de la patte graphique est constamment perturbée par des dialogues empreints d’un manque de naturel flagrant. Sans cesse l’amitié est réaffirmée dans des tirades beaucoup trop sophistiquées. À la poésie visuelle s’additionne la lourdeur scénaristique, annihilant la subtilité. Nul doute que sur le support écrit du matériel de base, cette volonté pouvait se justifier et se percevoir différemment, mais dans le travail de transposition au cinéma, Charlie Mackesy et Peter Baynton oublient que le septième art ne répond pas aux mêmes règles, s’interdisant ainsi une vérité plus profonde.

L’enfant, la taupe, le renard et le cheval est une œuvre à la beauté plastique brute indéniable, qui souffre cependant d’une naïveté de chaque instant, étouffante de bons sentiments.

L’enfant, la taupe, le renard et le cheval est disponible sur Apple TV.

Nicolas Marquis

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