L’assassin habite au 21

1942

réalisé par : Henri-George Clouzot

Avec : Pierre Fresnay, Suzy Delair, Jean Tissier, 

Film vu par nos propres moyens 

Paris vit dans la terreur, un mystérieux tueur sème la mort autour de lui tout en détroussant ses victimes. Les seuls éléments entre les mains des autorités sont des cartes de visite au nom de Mr Durand. Lorsqu’un clochard est assassiné après avoir gagné à la loterie, le gouvernement ordonne que le coupable soit arrêté au plus vite. Le commissaire Wens a deux jours pour réussir sa mission. L’assassin habite au 21 est l’adaptation du roman de Stanislas-André Steeman publié en 1939, le long-métrage marque également les débuts en tant que metteur en scène de Clouzot. Avant cela, il était scénariste mais aussi assistant-réalisateur. Il a également travaillé au théâtre en écrivant 4 pièces. Pour une première réalisation, Clouzot ne joue pas la facilité en tournant en 1942 sous l’occupation par l’armée allemande de la France. Ce contexte rend la production cinématographique plutôt compliquée, en dehors de la censure, les réalisateurs ont bien souvent peu de pellicules à leurs dispositions. Il fallait donc être le plus efficace possible. Suzy Delair, l’interprète de Mila, raconte que Clouzot était très bien préparé. Avant le tournage, il avait storyboardé entièrement le scénario, ce qui lui permettait de guider avec précision ces acteurs pour ne réaliser que deux prises pour chaque scène.

Tout ce travail permet à Henry-George Clouzot de proposer une première œuvre impressionnante arrivant à jouer sous différents tableaux.

Le cercle de mort

L’assassin habite au 21 , propose un récit  qui se déroule avec un rythme endiablé et sous le regard d’une caméra qui semble danser.  L’intrigue est construite comme un ensemble circulaire qui se rétrécit au fur et à mesure que l’on se rapproche de Mr Durand. Clouzot  utilise beaucoup le panoramique pour permettre à la fois de symboliser le travail de l’enquêteur mais aussi le parcours de Mr Durand qui tourne autour de ses victimes tout en échappant à la police. Le cercle est un piège dans lequel sont pris les protagonistes de cette danse macabre.

 Ce motif permet d’installer un rythme endiablé qui semble plaire aux deux parties concernées. Mr Durand est une ombre, qui semble être partout et nulle part à la fois, il est imprévisible et insaisissable. La scène d’introduction mettant en scène la mort du sans-abri nous présente par l’utilisation de la caméra subjective, un tueur qui prend son temps, semblant éprouver du plaisir à suivre et terroriser sa victime. Cette introduction permet également de convoquer la figure célèbre de Jack l’éventreur, un autre tueur mystérieux ayant hanté Whitechapel et rappelle ainsi que le roman d’origine place son intrigue à Londres.

Il en va de même pour l’inspecteur Wens. La première fois que nous le rencontrons, il se cache de ses supérieurs afin de mener son enquête tranquillement. Il a souvent le sourire aux lèvres et aime taquiner les autres. Pourtant lorsqu’il enquête, le spectateur découvre un tout autre visage. Par exemple lors d’une discussion avec Mr Colin, Clouzot stoppe son mouvement de caméra pour se concentrer sur les mains de Wens. Celles-ci s’agitent en faisant tourner entre ses mains le chapeau qu’il tient, illustrant au public l’excitation et l’empressement du personnage. Traquer le criminel le rend heureux.

Dans L’assassin habite au 21, la caméra a un rôle central dans la résolution de l’énigme et pour un premier film, le cinéaste sait très bien l’utiliser pour partager aux spectateurs les éléments et émotions importants de l’enquête. Elle nous présente les différents suspects en s’arrêtant sur leurs visages, nous montrant leurs façons de bouger et de réagir aux interactions. Clouzot utilise également une mise en scène théâtrale lorsqu’il veut nous dire que tout n’est qu’illusions et mensonges. Les interrogatoires sont des représentations où chaque personnage joue sa propre histoire. Le magicien utilise ses tours pour détourner notre attention, la romancière raconte une histoire pour que l’on n’écoute pas la sienne, le docteur s’agite en essayant d’envoyer les soupçons sur quelqu’un d’autre et ainsi de suite.

Wens utilise également ce stratagème en se déguisant en pasteur pour enquêter de façon discrète à la pension Les Mimosas, lieu d’habitation supposé de Mr Durand.

Le rythme endiablé et le spectacle de l’illusion prendront fin lors d’un dernier acte musical  pour se fixer dans une dernière scène, une dernière farce de vaudeville exécutée par Wens pour prendre au piège Mr Durand, quitter la scène et laisser le rideau se refermer sur la justice qui brise littéralement le décor et le carton final forçant ainsi le spectateur à retrouver la réalité.

Une contestation déguisée

L’assassin habite au 21 permet à Clouzot de glisser quelques critiques. Il s’attaque tout d’abord aux figures d’autorité. Au début du film, il nous présente une chaîne de commandement allant du ministre au commissaire Wens. À chaque étape nous voyons une personne se faire accuser d’être inefficace et menacée d’être renvoyée si l’enquête n’est pas résolue. Le fait de présenter cet enchaînement grâce au panoramique et l’utilisation des portes, donne à l’ensemble un côté ridicule et vain. On retrouve ce type de critique des années plus tard dans Shin Godzilla. La comparaison peut surprendre mais Hideaki Anno utilise ce même procédé de la chaîne de commandement pour illustrer le surplace du gouvernement face aux situations de crise.

Le commissaire Wens passe son temps à se moquer des capacités de ses supérieurs et agit sans prendre le temps de consulter quelqu’un. Il apparaît aux yeux du spectateur comme un homme d’action qui ne perd pas son temps. Il fait son travail. Pierre Fresnay incarne donc un Wens moqueur, le sourire aux lèvres qui semble faire du public son complice par certains regards adressés à la caméra. Cette façon de faire est assez théâtrale, on pense tout de suite aux comédies de type vaudeville voire aux spectacles de Guignol

L’autre point intéressant se trouve dans le mobile de Mr Durand. Celui-ci ne semble pas être satisfait par la société dans laquelle il vit. Il la trouve injuste, corrompue et surtout peuplée de personnes qui n’ont plus de valeurs. Durand se place au-dessus du reste du monde et s’est donné un rôle de juge. Les personnes visées ont comme préoccupation première l’argent, fortune qui aux yeux de Mr Durand n’est pas méritée. On en revient au clochard, heureux gagnant à la loterie qui dilapide son argent dans les bars plutôt que de le mettre au service de la société. Le nom Durand fait partie des noms de famille les plus communs en France tout comme le roman qui utilise son équivalent anglais, Mr Smith. Le fait d’utiliser ce nom, nous permet de comprendre que Mr Durand se voit comme un représentant de la France, en adoptant une identité commune, il se fait le représentant d’un ensemble, d’une idée. Il pense incarner ce que devraient être les valeurs de son pays.

Ce qui ressort de tout ceci est une vive critique de la société. Lorsque l’on met le film en parallèle avec le contexte historique, nous pouvons supposer que Clouzot critique de façon détournée le régime de Vichy. Le film le présente comme incompétent et injuste, prêt à arrêter des innocents pour conserver son prestige. Il ajoute à cela une critique adressée à ceux qui sont témoins et laisse faire.

Cela peut paraître étonnant lorsque l’on connaît la suite de sa carrière. Le réalisateur fut accusé après la sortie de son deuxième film, Le corbeau , d’être un collaborateur. Les faits ne furent cependant jamais prouvés et contrairement à d’autres cinéastes ayant travaillé durant cette période, Clouzot ne finit pas en prison. Collaborateur ou pas, la vérité est ailleurs et nous laissons le public se faire son propre avis.

L’assassin habite au 21 est une première œuvre réussie. Clouzot propose un film envoûtant et rythmé qui se regarde avec plaisir. L’humour et son côté théâtral désuet pourront peut-être gêner certains spectateurs mais si vous êtes amateur d’enquêtes, ne ratez surtout pas cette pépite du cinéma français.

L’assassin habite au 21 est disponible en Blu-ray et DVD chez Gaumont, avec en bonus :
– « Signé Clouzot ! » : Documentaire de Pierre-Henri Gibert, avec les témoignages de Serge Bromberg, Jean-Laurent Cochet, Jean Cosmos, Rosine Delamare, Claude Gauteur, Josette Pieuchot, Bernard Stora, Pascal Thomas et Nicole Trabaud.
– « L’assassin restauré » : Retour sur la restauration du film, avec Ronald Boullet (Laboratoires Eclair) et André Labbouz (Gaumont).

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